Ouvertures du dimanche des magasins

Ouvertures du dimanche des magasins : Un parlement d'extrême-gauche a-t-il fourni une «arme de destruction massive» aux syndicats du commerce de détail?

L’initiative législative cantonale genevoise «Touche pas à mes dimanches» (IN 155) aboutissait il y a deux ans, avec le soutien de la gauche et des syndicats, appuyés par une réelle mobilisation des vendeuses·eurs pour la récolte des signatures. Son traitement parlementaire s’est conclu ce 17 janvier par le vote d’un contre-projet.

Rappelons  que solidaritéS s’était énergiquement engagé à l’appui de l’IN 155 visant à fermer – pour Genève – la brèche ouverte par une modification par le Conseil fédéral de l’ordonnance d’application de la Loi sur le travail (OLT 2). Avec celle-ci, demain Genève, grande ville et canton frontalier, pourrait être reconnue comme zone touristique où les commerces pourraient ouvrir tous les dimanches, ceci sans consultation populaire!

Il y a un an, la majorité de droite du Grand Conseil disait non à l’initiative, décidant de lui opposer un contre-projet plutôt que de la laisser passer devant le peuple de suite. En effet, si l’initiative ne modifiait rien dans l’immédiat, la votation allait offrir une occasion aux partisans du maintien des fermetures dominicales de faire entendre leur message et de le voir, cas échéant, approuvé sur le principe dans les urnes.

 

 Il y a d’autres choses à faire un dimanche à Genève que de travailler ou de faire du shopping. Matteo Castelli

 

Travail du dimanche: non merci!

L’argumentaire des initiant·e·s, repris au parlement par nos député·e·s, notamment par Jean Batou et Pierre Vanek jeudi dernier, portait largement – au-delà des conditions de travail et de santé des vendeuses·eurs ainsi que des effets détestables de l’ouverture des dimanches, pour les femmes en particulier et les familles en général – sur la défense d’un espace commun, le moins marchand possible, de repos, de détente, d’activités culturelles et sociales indispensables à la population, sans parler des motifs écologiques plaidant contre l’extension sans rivages des heures d’ouverture…

Pendant le temps allongé de traitement de l’IN 155, ouvert par la décision d’un contre-projet, les partisans du dimanche marchand ne chômaient pas… Pour preuve, le PL 11715 signé par toute la droite l’été dernier prévoyait – sans compensation dans la loi – l’ouverture des commerces quatre dimanches par an (possibilité offerte par la loi fédérale, mais «inexploitée» à Genève jusqu’ici). Du côté du département du PLR Maudet, on s’est fait fort de concocter une matérialisation de l’ouverture quatre dimanches par an, avec des compensations et un accord des parties patronales et syndicales… qui serve – aussi! – de «contre-projet» à l’initiative.

Tour de passe-passe de Pierre Maudet

 

Il y avait là tour de passe-passe: en quoi l’ouverture quatre dimanches par an qu’elle soit «sauvage» ou négociée et compensée entre partenaires sociaux, représenterait-elle un «contre-projet» légitime à l’IN 155. Celle-ci vise en effet à bloquer des ouvertures tous les dimanches dans une possible «zone touristique» à Genève, en renonçant à l’application future de la nouvelle OLT 2. Le contre-projet imaginé traite un autre sujet, celui de quatre ouvertures dominicales par an, en application d’une disposition existante de la Loi sur le travail. En fait, les deux choses sont compatibles et sont opposées artificiellement.

Quoi qu’il en soit, le gouvernement a imaginé comme «contre-­projet» un PL, prévoyant l’ouverture le 31 décembre (jour férié à Genève) et 3 autres dimanches par an en plus, obtenant le soutien des patrons, mais sans convaincre les syndicats (UNIA et le SIT). En effet le projet ne prévoyait d’autre «compensations» que celles des «usages» professionnels… A noter que, pour ce qui est du 31 décembre, cette notion vague et sans pérennité, remplace l’exigence légale actuelle d’un «accord conclu entre partenaires sociaux» comme condition de l’ouverture en question.

 

 

Un compromis défensif a minima

En commission, une majorité de compromis s’était dégagée en février sur un contre-projet alternatif, acceptant pour le 31 décembre la seule compensation des «usages», mais conditionnant surtout l’ouverture des trois dimanches de plus par an à l’existence d’une CCT obligatoire et étendue au sens de la Loi fédérale sur l’extension des conventions collectives.

Ce «compromis» a rallié une majorité du parlement (Verts, PS et EAG) comme aussi, au final, les élu·e·s du MCG qui ont «lâché» le PLR à ce sujet. Celui-ci a bataillé avec énergie pour revenir à un contre-projet avec juste le respect des usages, voire la référence à une convention collective ad hoc, non représentative, que les patrons auraient pu signer avec des «syndicats» maison pour leur permettre d’ouvrir ces dimanches sans compensation du personnel, en contournant par ce biais les syndicats majoritaires.

A signaler encore qu’il ne s’est pas trouvé de majorité pour confirmer l’exigence, formulée dans un amendement de gauche, non soutenu par le MCG, d’annonce au moins trois mois à l’avance desdits dimanches.

Ainsi, nous avons contribué à «limiter les dégâts» en soutenant – avec le MCG – un compromis a minima. Ce minimum a eu le don d’enrager le PLR, leur rapporteur Jacques Béné, syndicaliste patronal, concluant son plaidoyer final contre ce compromis de façon assez délirante, alléguant que le parlement serait devenu «d’extrême-gauche», que l’exigence d’une CCT étendue fournirait aux syndicats une «arme de destruction massive» inacceptable, etc.

Pierre Maudet n’a guère été en reste, y voyant une entrave à son aspiration visant à faire de Genève un «Centre commercial à ciel ouvert» (sic!) et se plaignant que les initiant·e·s ne s’étaient pas engagés a priori à retirer leur initiative et que les syndicats tenaient le couteau par le manche à l’issue des débats. Affaire à suivre donc, la question du retrait ou non de l’initiative devant se débattre courant avril, notamment du côté des instances syndicales réunissant les premiers concernés.

Pierre Vanek