Capital globalisé et travail surexploité

Capital globalisé et travail surexploité


Les multinationales possèdent le tiers des capitaux investis dans le monde et accaparent beaucoup plus du tiers de la plus-value produite. Pourtant, elles n’emploient que 3 à 5% de l’ensemble de la population active du globe. Mystère? Non, accumulation capitaliste.
Zones franches et maquiladoras mettent à nu les rouages de l’exploitation du travail, en particulier de celui des femmes. Au Salvador, «vous pouvez embaucher Rosa Martinez pour 57 cents de l’heure…», proclame un annonceur nord-américain.
La récolte des fraises de Californie n’est pas mécanisable – trop fragile – mais «mexicanisable». Deux bras venus de l’autre côté de la frontière ne coûtent que 200$ par semaine. Ça peut rapporter 20 000$ à l’hectare, à condition d’investir quelques millions…
(jb)


Les multinationales et la plus-value


En 1993, l’ensemble des multinationales employaient, directement, 73 millions de personnes dans le monde, soit 2 à 3% de la population active totale. Selon le BIT, il faudrait doubler ces chiffres pour tenir compte des emplois qu’elles génèrent en sous-traitance.


Ainsi, avec un tiers du capital investi à l’échelle planétaire, les multinationales seraient directement ou indirectement responsables de 5% des emplois. Alors que l’ensemble du capital à leur disposition a été multiplié par 7, de 1975 à 1993, le nombre de leurs employé-e-s n’a fait que doubler. Une étude datant de 1993 a même montré que les 300 plus grandes multinationales employaient effectivement moins de monde qu’au début des années 80.


Visant à se spécialiser dans les opérations de haute technologie, sur lesquelles elles disposent d’un quasi monopole, elles ont été amenées à externaliser de plus en plus les interventions intensives en travail en direction de petits producteurs.


Le BIT estime qu’elles emploient autant de monde indirectement que directement. Ainsi, en 1993, Nike n’avait engagé directement que 9000 salarié-e-s, principalement dans le design et la vente, alors qu’en réalité, le géant de la chaussure de sport exploitait indirectement – c’est-à-dire drainait aussi l’essentiel de la plus-value produite par – quelque 75 000 personnes. Les multinationales exploitent ainsi quelque 20% de la main-d’œuvre industrielle de plusieurs pays émergeants (Argentine, Mexique, Malaisie, Philippines, Sri Lanka etc)
CNUCED, World Investment Report, Genève, 1994 et 1996.


UNRISD, States of Disarray : The Social Effects of Globalization, Genève, 1995.

P. Bailey et al. (éd.), Multinationals and Employment : The Global Economy of the 1990s, OIT, Genève, 1993.


Les vampires des maquiladoras


En 1990, le monde comptait 230 zones franches (export-processing zones) dans 70 pays en développement, sortes de plateformes offshore conçues pour l’exploitation transnationale sauvage de 4 millions de femmes et d’hommes des pays les plus pauvres à des fins d’exportation. A cela, il faudrait ajouter les quelques dizaines de millions de travailleurs des régions administratives spéciales de la Chine. Les conditions de travail y sont particulièrement dures, on n’y reste guère après l’âge de 25 ans ; au Mexique, le turnover y atteint 8% par mois.
En Amérique latine, les maquiladoras mexicaines comptent ainsi quelque 3000 usines d’assemblage hors-taxe, localisées essentiellement à la frontière des Etats-Unis. Elles représentent la moitié du produit industriel du pays. La main-d’œuvre y est en majorité féminine, les salaires, particulièrement attractifs pour les investisseurs (1,85 $ l’heure, toutes charges comprises, en 1995). Les maquiladoras ont une pré-dilection pour l’emploi de jeunes femmes, entre 16 et 25 ans. En 1990, la revue commerciale de l’industrie de la filature américaine, Bobbin, publiait une annonce à la gloire de la travailleuse salvadorienne type : «Vous pouvez embaucher Rosa Martinez pour 57 cents de l’heure. Rosa n’est pas seulement pittoresque, elle et ses collègues sont réputées pour leur acharnement au travail, leur fiabilité et leur aptitude à apprendre rapidement».


P. Stalker, Workers Without Frontiers, Boulder (Col.), Londres et Genève, 2000.


Les fraises de la misère


La Californie produit au-jourd’hui un quart des fraises vendues dans le monde pour un chiffre d’affaires d’un demi milliard de dollards. En raison de la fragilité de ces fruits, la récolte n’a pu jusqu’ici être mécanisée. Elle a donc été «mexicanisée». Le jeu de mot se passe de commentaires.
Le travail d’un hectare de fraises exige une mise de fonds de 50 000 $ par an, dont 20 000 $ pour payer les 5000 heures nécessaires (200 $ par semaine). Le bénéfice escompté peut atteindre 20 000 $, mais il nécessite la mobilisation de capitaux très importants. Ainsi, une ferme de 100 hectares sollicite un investissement annuel de 5 millions $ et peut rapporter 2 millions $. C’est pourquoi la fraise marie si bien le capital californien avec le travail mexicain !


The Economist, 27 mars 1993.

P. Schlosser, «In the Strawberry Fields», Atlantic Monthly, novembre 1995.