Entre compassion, chiffre d'affaires et solidarité
Entre compassion, chiffre daffaires et solidarité
Les ONG de coopération du Nord et le développement social au Sud
Les ONG de développement des pays du Nord jouent un rôle considérable dans le système international. En 1998 elles ont géré près de 6 milliards de dollars, soit plus de 10% de laide au développement1. Sous la dénomination dONG on regroupe aujourdhui des institutions aussi diverses quune petite association de quartier, mue par une personnalité en contact direct avec son projet dans le Sud ou à lEst, que des grosses entreprises comme Plan International qui administre près de 300 millions de dollars par an et du personnel par milliers.
De gros moyens financiers
Sous le terme dONG de développement nous nous référerons ici principalement aux institutions dune certaine dimension: lOCDE en recense dans les pays européens quelques 40002, alors que les petites associations de proximité se comptent probablement par dizaine de milliers. En fait, ces 4000 ONG concentrent entre leurs mains la plus grosse part des moyens financiers, tant ceux récoltés dans le public que les contributions gouvernementales. Ces 4000 institutions ont donc la possibilité dinfléchir les positions gouvernementales, mais en même temps dêtre influencées par celles-ci.
Ainsi schématisé, cet univers reste néanmoins extrêmement hétérogène. Il sied de remonter aux origines des ONG et de les replacer dans leurs contextes nationaux pour essayer de mieux comprendre les enjeux et les défis auxquels elles se trouvent confrontées.
Mis à part le mouvement de la Croix Rouge et Caritas, nés à la fin du XIXe siècle, beaucoup de ces institutions sont fondées après les deux guerres mondiales. Elles sont le plus souvent le résultat dun mouvement de compassion face aux victimes des guerres. Il sagit de dispenser une aide directe, matérielle, en nourriture et en habillement. Notons que plusieurs ONG dorigine syndicale, encore actives aujourdhui, se fondent en 1936 sur des motivations également politiques, en solidarité avec la République espagnole, dans les pays nordiques et en Suisse notamment.
Sattaquer aux causes
Les années 1960 et la décolonisation vont donner lieu à une première mutation de ces institutions ainsi quà la création dune nouvelle génération dentre elles. Le slogan de la FAO «Donne-lui un poisson, il mangera un jour, apprends-lui à pêcher il mangera toute la vie» fait tâche dhuile3. Il faut sattaquer aux causes et non pas aux conséquences de la pauvreté. La solidarité avec les nouvelles nations du Sud et les mouvements de libération nationale marque cette époque. Le changement et la justice sociale sont à lordre du jour. Les églises réajustent tant bien que mal leur approche jusque-là exclusivement missionnaire. Les Etats du Nord envoient des volontaires et des experts techniques, puis mettent sur pied des ministères de la coopération au développement. Dans les pays germaniques, nordiques et en Hollande les gouvernements suscitent la création dinstitutions privées en mettant à leur disposition des fonds rapidement croissants. Des ONG sont réorientées ou créées par les Eglises, les syndicats, des groupes non-confessionnels pour canaliser ces nouveaux moyens financiers.
Les années 70 et 80 sont marquées par un impact croissant au Sud de la polarisation Est-Ouest. Après la victoire du Vietnam en 1975, les conflits de lAngola, de la Palestine et dautres voient certaines ONG européennes jouer un rôle de diplomatie informelle et de médiation, intervenant souvent parallèlement à des mouvements de solidarité et à des gouvernements sociaux-démocrates européens. Aux Philippines, au Chili et en Afrique du Sud, par leur soutien à des acteurs locaux, elles jouent un rôle non négligeable dans la chute des régimes en place. Au Nicaragua sandiniste, elles accompagnent sur le terrain par de multiples projets lélan de solidarité occidentale et contribuent ainsi de manière significative à rompre le blocus économique et politique établi par les Etats-Unis. Dans les autres pays dAmérique Centrale elles contribuent aux transitions démocratiques4.
Cest lépoque où de grandes mobilisations en Europe mettent en avant légalité entre hommes et femmes, la protection de lenvironnement, la défense des droits humains. Si les ONG de développement sont elles-mêmes peu actives dans ces mouvements, elles reprendront cependant ces thèmes plus tard lors des grandes conférences internationales des années 1990: femmes, développement durable, droits humains figurent aujourdhui dans tout programme de développement qui se respecte, quil soit gouvernemental ou non. On doit reconnaître aujourdhui aux ONG de développement le mérite davoir repris ces questions et de les avoir introduites à lordre du jour et dans le discours de la communauté internationale.
Quand la Banque Mondiale découvre les ONG
Les années 70 et 80 connaissent ainsi une croissance spectaculaire du poids et de la reconnaissance des ONG. Elles représentent pour les agences gouvernementales de coopération européennes des agents privilégiés de sensibilisation du public, en particulier des écoles, à la problématique Nord-Sud. Au milieu des années 80, en parallèle à la remise en question des modèles nationaux de développement, la Banque Mondiale découvre dans les ONG des institutions plus proches des pauvres, moins chères, moins corrompues et plus efficaces que les canaux gouvernementaux traditionnels. Les ONG du Nord canalisent en effet leurs moyens financiers vers des institutions locales dans le Sud qui connaissent à leur tour une multiplication et une croissance impressionnantes mais restent très dépendante de cette aide extérieure. Cest lépoque triomphante du catéchisme néolibéral connu sous le label de «consensus de Washington», celle des recettes uniformes pour le développement: les ONG, assimilées parfois au secteur privé, viennent souvent substituer lEtat démantelé dans ses fonctions sociales.
Les ONG qui maintiennent un discours critique sur le système et une analyse des causes de la pauvreté5 ont de plus en plus de peine à faire la différence sur le terrain. Jusquoù leurs actions ne sont-elles que le filet de sécurité des mesures dajustement structurel mises en uvre par les institutions de Washington, jusquoù des actions au niveau local peuvent-elles encore représenter un défi au modèle dominant? Comment multiplier des approches innovatrices au niveau local, pour quelles ne restent plus isolées? Comment influencer les politiques régionales ou nationales qui minent souvent les progrès réalisés localement?6
En parallèle à ces nouveaux rôles dans la coopération au déve-loppement, lirruption massive dun nouveau marché de laide humanitaire à partir de la famine en Ethiopie en 1984 va également influencer de nombreuses institutions. Ainsi la distributions de rations alimentaires dans un camp de réfugiés est plus facilement mesurable en terme de résultats et en terme dimpact médiatique que la transformation des perceptions par le pouvoir dun groupe de femmes pauvres mais non sinistrées.
Deux approches
Beaucoup dinstitutions se lancent dans lhumanitaire, plus par opportunité que par conviction. Lapproche dans les deux domaines est évidemment très différente, pour ne pas dire contradictoire: lhumanitaire demande dagir vite, soi-même la plupart du temps, alors que le développement devrait impliquer une écoute des besoins des partenaires et un accompagnement en second plan. Plus grave, dans le sillage des médias, lhumanitaire amène des ONG à simplifier voir à caricaturer leur discours sur le Sud et limage quelles en transmettent.
Les ONG qui ont connu la croissance la plus importante ces 20 dernières années et qui constituent aujourdhui de véritables entreprises transnationales7 ont basé leur récoltes de fonds sur lhumanitaire et sur le mécanisme du parrainage denfants: pour une somme modique par mois, variable selon le pouvoir dachat dans le pays du donateur, vous pouvez sauver un enfant, et établir une contact direct avec lui: cette méthode est non seulement lourde du point de vue administratif et paternaliste, mais elle peut aussi créer des conflits dans les familles et les communautés entre les parrainés et les non parrainés, et surtout elle véhicule une image simpliste et fausse de la pauvreté, de ses causes et des moyens de la combattre.
(Nous publierons le 2e volet de cet article dans notre prochain numéro)
- OCDE, Coopération pour le Développement, Rapport 1999, OCDE, Paris, 2000.
- OCDE, Répertoire des Organisations Non Gouvernementales actives dans le Domaine du Développement Durable, OCDE, Paris 1996.
- Mabub Ul Haq, esprit fondateur du rapport sur le développement humain du PNUD aimait ajouter: «Encore faut-il savoir qui est le propriétaire de létang!».
- Voir Kees Biekart, The Politics of Civil Society Building, European Private Aid Agencies and Democratic Transitions in Central America, International Books and the Transnational Institute, Amsterdam, 1999
- Voir «Les ONG: instruments du néo-libéralisme ou alternatives populaires?», Alternatives Sud, vol. IV, 4, 1997.
- Voir Michael Edwards et David Hulme, Non-Governmental Organisations, Performance and Accontability, Beyond the Magic Bullet, Earthscan, London, 1996.
- Comme World Vision, Plan International ou CARE.
Pour en savoir plus :
- Vous pouvez lire ou télécharger les annexes de cet article, décrivant brièvement les grandes ONG de développement, en visitant www.edinter.net/docs/docs.htm
- Vous pouvez chercher plus dinformations sur le sujet à partir dune page de liens à www.edinter.net/fr/linksf.htm
- Pour connaître le programme dun cours entièrement en ligne sur ce thème proposé par lauteur, Olivier Berthoud, visitez www.edinter.net.