Se former ou se marier


Se former ou se marier ?


Le dilemme existe encore pour les jeunes femmes… Qui sont ces jeunes (on les estime à 47.000 en Suisse) qui ne se forment pas après la scolarité obligatoire et qui abordent les responsabilités d’adultes sans profession qualifiée ?

Maryelle Budry

Des femmes surtout … La pièce «les Amantes» de Elfriede Jelinek, récemment jouée au Théâtre de Poche de Genève, illustrait de façon corrosive ce qui se passe encore dans l’esprit des jeunes femmes et leurs familles, qui préfèrent investir dans la chasse au mari que dans les études.


Afin de mieux les cerner et de réfléchir à des actions stimulantes qui empêcheront ces jeunes femmes de tomber dans la pauvreté, la Conférence suisse des Déléguées à l’Egalité entre femmes et hommes a commandité une enquête empirique auprès de 950 jeunes de 21 à 25 ans. Les femmes représentent 62% des jeunes sans formation, on peut donc estimer leur nombre réel à 29.000, et un tiers d’entre elles (près de 10.000) sont déjà mariées avec des enfants.


La complexité d’une recherche d’apprentissage


Évidemment le milieu socio-culturel joue un grand rôle. Les jeunes non formé-e-s viennent plutôt de milieux modestes, de familles désintégrées ou immigrées récemment en Suisse. Les institutions chargées de l’orientation des jeunes n’exercent donc pas suffisamment leur fonction compensatoire… Quelles mesures prendre encore pour aider les jeunes et leurs familles à prendre conscience de la nécessité d’une formation, à choisir un métier selon leurs goûts, à rechercher la bonne voie? On se rend compte, sur le terrain, de la complexité des démarches de recherches d’apprentissage, qui comprennent un courrier abondant à gérer, de nombreux entretiens avec des employeurs ou chef-fe-s de ressources humaines, des examens de sélection, des stages d’évaluation (et parfois d’exploitation) et un taux important de refus inexpliqués, tout cela à mener à 15 ans, et seul-e, les parents étant souvent dépassés…


Entre les mauvais résultats scolaires qui leur interdisent de rêver à une poursuite d’études, les difficultés à trouver une place d’apprentissage et le besoin de vite gagner de l’argent, un certain nombre de jeunes (estimé à 13.000) renoncent à se former, et d’autres échouent dans leurs recherches, malgré leurs efforts, car encore faudrait-il que les places d’apprentissage existent en suffisance! À Genève, elles ont diminué de 10% cette année!


La place trouvée, les difficultés parfois se multiplient: horaires trop lourds, travail physique trop pénible, allergies aux produits, solitude, manque d’explications, programme théorique trop ardu, etc. Les jeunes filles sont souvent des cibles privilégiées pour les lourdes plaisanteries, les gestes déplacés, sans compter les remarques sexistes pour les pionnières. Dans de nombreuses entreprises, on ne dispose pas de temps pour former les jeunes et le climat dégénère vite, face aux inévitables manquements, retards, impertinences des adolescent-e-s… Le plus grand groupe des jeunes sans formation (25’000) ont interrompu un apprentissage…


Une remobilisation délicate


Les personnes interrogées dans l’enquête, surtout les femmes, disent qu’elles aimeraient bien reprendre une formation. Mais à plus de 20 ans, il est extrêmement rare d’être accepté-e en apprentissage, il est aussi pénible de suivre les cours avec des adolescent-e-s et, enfin la paie symbolique ne suffit plus à un-e adulte. Alors la remobilisation vers une formation est longue et délicate. A Genève, quelques institutions, trop rares, offrent un soutien aux jeunes adultes voulant réinvestir une formation: l’Université ouvrière propose un atelier de français et de mathématiques du niveau cycle d’orientation pour adultes, Voie F 2 une offre spécifique de pré-formation pour les femmes pas ou peu qualifiées et d’approche ludique de l’ordinateur pour les jeunes «décrocheuses» de 16 à 20 ans.


Deux messages bien distincts


Pour les jeunes hommes décrocheurs, le soutien existe depuis plus longtemps, dans les ateliers de réinsertion professionnelle, comme par exemple l’Atelier X, où des éducateurs les encadrent dans une reprise de travail sur des chantiers. Le discours de notre société prône l’absolue nécessité pour les hommes de choisir un métier et de gagner leur vie, ainsi que celle de leur future famille. Le message aux jeunes filles n’est pas du tout aussi ferme. L’éventualité du mariage est toujours évoquée. «La matrice est l’outil de travail de la femme» proclame un des personnages des «Amantes». Comme les Autrichiennes, quantité de jeunes Suissesses -ou résidantes en Suisse- sont encore élevées dans cette idéologie. Peu leur importe leur propre formation, ce qui compte c’est d’épouser un homme qui ait, lui, un avenir et les capacités de nourrir une famille. Elles s’engouffrent dans la conquête de l’Homme, sans plus penser à elles-mêmes, à leur autonomie.


Quant aux jeunes filles qui se forment, elles restent majoritairement bien traditionnelles en se dirigeant toujours vers des professions moins payées, moins valorisées, moins organisées. En se cantonnant dans des rôles secondaires, d’assistantes, elles se conforment à l’image mythique de la féminité, qui leur paraît la condition au mariage.
Comment aider les jeunes femmes à affronter la réalité? car elles aussi devront être en mesure de gagner leur vie, pour élever leurs enfants, certes mais surtout pour assumer leur indépendance, leur liberté…


Toujours en dénonçant les fausses vérités, en informant des réalités, en soutenant les efforts vers une vie plus libre et plus riche.