Davos, le bunker du fric
Davos, le bunker du fric
Un militant catalan, dresse un bilan politique des mobilisations anti-Davos de janvier dernier et appelle à poursuivre la mobilisation sur le thème «Wipe Out WEF!» (Balayons le WEF!).
La réunion récente du Forum Economique Mondial (WEF) de Davos, comme cest lhabitude, depuis quelque temps, a été la cible de nouvelles protestations et mobilisations contre la globalisation capitaliste. De même que lors des mobilisations antérieures, il convient de tirer un bilan de leur développement pour identifier leurs points faibles et leurs points forts afin de pouvoir renforcer encore la dynamique actuelle de croissance des mouvements opposés à la mondialisation.
Un nouveau contexte politique
Le contexte politique dans lequel se sont développées les mobilisations était substantiellement différent de celui qui entourait les mobilisations contre Davos durant les éditions précédentes du Forum. Pour la première fois, les protestations contre le WEF se sont déroulées dans le cadre dune dynamique de montée des mouvements sociaux antimondialisation de la période post-Seattle, et dérosion de la légitimité sociale des principales institutions du capitalisme global.
Cela représentait une différence substantielle avec les protestations organisées précedemment qui avaient gagné cependant une importance croissante au cours de trois dernières années. De surcroît, en cette occasion, le WEF devait faire front pour la première fois à la menace idéologique du Forum Social Mondial de Porto Alegre, qui prétendait adresser au monde un message non équivoque: face à la mondialisation capitaliste, un autre monde est possible. Pour toutes ces raisons, Davos a accueilli un Forum sur la défensive, nécessitant une auto-justification publique constante.
Mobilisation régionale clé
En ce qui nous concerne, lanti-Davos ne constituait pas une échéance de mobilisation de dimension politique et stratégique comparable à celles des grands rendez-vous internationaux de ces derniers mois en Europe (Prague et Nice), et ceci pour différentes raisons. Dune part, la localisation même de Davos, dont les accès sont aisément contrôlables par la police, handicape à lavance la convocation de grandes mobilisations. Dautre part, lattitude des autorités suisses ne laissait pas une grande marge de manuvre et rendait pratiquement impossible la mise sur pied de nimporte quelle manifestation ou action revendicative. Au cours des mois antérieurs, un puissant dispositif policier avait été mis en action, le plus important de lhistoire de ce pays, de laveu même de la police, dans le but dempêcher physiquement toute protestation à Davos et dans le reste de la Suisse.
Lensemble de ces éléments ont constitué un facteur dissuasif fondamental pour lorganisation des mobilisations de lanti-Davos. Par conséquent, celles-ci nont pas été choisies comme une priorité politique par les différents mouvements antimondialisation européens, comme Prague lavait été au préalable pour des réseaux internationaux comme lAction Mondiale des Peuples (AMP) et les mouvements anti-mondialisation de profil plus jeune, ou Nice pour des réseaux comme les Euromarches ou ATTAC.
La mobilisation était portée par les mouvements suisses et des régions frontières dautres pays, essentiellement de France, dAllemagne et dItalie. De lEtat espagnol, seulement un petit groupe dactivistes catalans était présent dans ces mobilisations. Lanti-Davos a donc constitué une mobilisation clé pour les mouvements de la région, mais il na pas eu la même signification au niveau international, même si limportance propre de lévénement officiel, la réunion du WEF, a donné à ces mobilisations une importance significative en terme politique.
Autour de la Coordination anti-WTO
Sur le mot dordre Wipe Out WEF! (Balayons le WEF!), les mobilisations ont été organisées fondamentalement par la coordination suisse anti-WTO, articulée autour des centres sociaux les plus dynamiques du pays. La composition de ces mobilisations était à dominante jeune, avec présence forte de collectifs autonomes et présence réduite dorganisations syndicales et politiques de gauche, bien quen quelques endroits comme Genève, des députés de solidaritéS aient participé activement à ces mobilisations.
Parallèlement, ATTAC organisait aussi différentes activités, dont un Forum alternatif à Zurich, lAutre Davos, avec la participation dun millier de personnes. Des problèmes dentente entre la Coordination anti-WTO et ATTAC ont empêché la constitution dun cadre unitaire pour toutes ces mobilisations.
Le projet initial de mobilisation prévoyait des actions dans les villes principales du pays durant la semaine du 22 au 27 janvier, ainsi quune manifestation le 27 à Davos. Cependant, les actions préparatoires ont été finalement assez sporadiques, partiellement en raison du climat répressif, mais aussi à cause des difficultés dorganisation de lexpédition vers Davos. Le jour «J», bien quun certain nombre de manifestants soient arrivés à atteindre Davos, le gros des forces a été bloqué par la police à des kilomètres de la station. Le déploiement policier était tellement massif que, semble-t-il, Georges Soros lui-même, a eu des difficultés à accéder au Forum, stoppé par un policier mal dégrossi, peu au fait du Whos Who du capitalisme global.
Devant limpossibilité de se rassembler à Davos même, il a été décidé de se rabattre sur Zurich pour y manifester contre le WEF et contre lattitude des autorités suisses. La manif de Zurich sest ainsi transformée en acte central des mobilisations, elle a été également interdite et na pu normalement se tenir, compte tenu de la répression très dure à laquelle ont été soumis les manifestants. Plus de 120 arrestations attestent de cela, parmi lesquelles six camarades catalans, détenus quasiment pendant trois jours, comme les autres manifestants étrangers interpellés, sans être autorisés à voir un avocat ou appeler quelquun de lextérieur. On a dénombré aussi un certain nombre de blessés par les balles en caoutchouc.
Sous le feu croisé des manifs et de Porto Alegre
Le bilan politique des mobilisations est globalement positif. En dépit de la relative faiblesse des actions réelles, elles sont parvenues, de concert avec le défi lancé par le FSM, depuis Porto Alegre, à éroder limage et la crédibilité du WEF. La spirale répressive des jours précedant le Forum et les préparatifs policiers spectaculaires ont produit un contexte très hostile à son image. Différents secteurs de la société suisse se sont sentis de plus en plus mal à laise dans le climat politique et policier précédant le Forum, suscitant une certaine mise en cause publique de celui-ci, de même quun débat autour de lopportunité de continuer den abriter les futures éditions.
Pour toutes ces raisons, bien que les protestations naient pas atteint une force suffisante pour menacer la tenue même du Forum, comme lOMC à Seattle, ou le FMI et le BM à Prague, la démesure des autorités suisses, de même que lenlisement initial du WEF et de ses promoteurs, ont contribué à le délégitimer, avant même quil ne célèbre ses festivités officielles. Lorsque les protestations ont commencé, limage dun WEF retranché et sur la défensive était déjà inévitable. La forte répression policière du 27, critiquée par une bonne partie des médias et des organisations sociales et politiques, a seulement contribué à accentuer cette perception. Paradoxalement, lexagération et la démesure de la part du pouvoir ont contribué à accroître le prestige et à renforcer la dimension politique des mobilisations, bien au-delà de leur force réelle.
Global Leaders en quête dune nouvelle image
Avoir réussi à ce que le WEF se montre comme un réduit transformé en bunker par les grands de la planète, voilà sans doute le plus grand succès des mobilisations, ce qui nous permet dapprofondir la dynamique actuelle de délégitimation des principales institutions du capitalisme global, bien que nous nayons pas encore les moyens de nous opposer à ses orientations politiques.
Ceci étant, ces institutions ont réagi plus ou moins fortement face à leur crise de légitimité par des stratégies de maquillage cosmétiques, dans lintention de coopter quelques organisations sociales afin de relégitimer leur action. Le WEF ne fait pas exception à cette tendance et, pour cette raison, après avoir constaté limage lamentable quil avait donnée, des voix de plus en plus nombreuses se sont élevées, parmi ses participants, en faveur dune auto-réforme du WEF, réclamant une ouverture de celui-ci à la «société civile».
Lun des principaux avocats de cette posture, Jacques Attali, lex-conseiller mittérandiste, la exprimé clairement par la formule démagogique de «fusionner Davos et Porto Alegre». Face à ces chants de sirène, la nécessité de défendre une rupture radicale avec lordre des choses actuel doit représenter un horizon stratégique de fonds pour le mouvement antimondialisation.
Ainsi, notre message aux participants à la prochaine édition du Forum Economique Mondial devra être le même quen janvier 2001:
Wipe Out WEF!
* Membre de Batzac (nouvelle organisation de la gauche alternative catalane) et militant du Movimiento de Resistencia Global. Tiré de Viento Sur, journal de la Gauche Alternative de lEtat espagnol, mars 2001. Traduction et intertitres de la rédaction.