Laissez faire, Laissez passer


«Laissez faire, laissez passer»


Voici un poème qu’Eugène Pottier 1, l’auteur de l’Internationale, avait adressé à ses anciens amis de la Commune, alors qu’il était réfugié en Amérique. Il est daté du 29 juillet 1880, et reste pourtant très actuel…



De tous les droits

que l’homme exerce

Le plus légitime au total

C’est la liberté du commerce

La liberté du Capital

La loi c’est «l’offre et la demande»

Seule morale à professer

Pourvu qu’on achète et qu’on vende

Laissez faire, laissez passer !


Et que rien ne vous épouvante

Car y glissa -t- il du poison

Si le marchand triple sa vente

Il prouve net qu’il a raison

Que ce soit morphine ou moutarde

Truc chimique à manigancer

C’est l’acheteur que ça regarde

Laissez faire, laissez passer !


Les travailleurs ont des colères

Dont un savant n’est pas touché

Il faut bien couper les salaires

Pour arriver au bon marché

Par un rabais de deux sous l’heure

Des millions vont s’encaisser

Et puis croyez-vous qu’on en meure

Laissez faire, laissez passer !


Pour le bien des corps et des âmes

Doublons les heures de travail

Venez enfants filles et femmes

La fabrique est un grand bercail

Négligez marmots et ménage

Ça presse pour vous prélasser

Vous aurez des mois de chômage

Laissez faire, laissez passer !


L’étranger à l’article en vogue

Trouve un rapide écoulement

N’écoutons pas ce démagogue

Qui nous prédit l’engorgement

Il faut bravant ces balourdises

En fabriquant à tout casser

L’inonder de nos marchandises

Laissez faire, laissez passer !


Par essaims, le Chinois fourmille

Ils ont des moyens bien compris

Pour s’épargner une famille

Et travailler à moitié prix

Avis aux ouvriers de France

Dans leur sens, il faut s’exercer

Pour enfoncer la concurrence

Laissez faire, laissez passer !


Sous le Siège dans la famine

J’ai défendu la liberté

Voulant fidèle à la doctrine

Rationner par la cherté

Chaque jour et sans projectile

Par vingt mille on eut vu baisser

Le stock des bouches inutiles

Laissez faire, laissez passer !


Qu’on accapare la denrée

Qu’on brûle greniers magasins

Que pour régler des droits d’entrée

On se bombarde entre voisins

Que le faible soit la victime

Bonne à tromper piller sucer

L’économie a pour maxime

Laissez faire, laissez passer !



  1. Tiré du Grain de Sable, Courrier d’information d’ATTAC-France, n° 239.



A Contre-Courant


Un nouvel éditeur est apparu sur la scène en Suisse romande: «A Contre-Courant». Un beau nom par les temps que nous vivons. Il se donne une lourde tâche: faire connaître et diffuser des oeuvres poétiques. Son premier titre: Les chaînes du présent de Manfred KEEL. Quand on sait que l’éditeur est logé à la rue de l’Avenir… Une page presque au hasard…

L’industrie du vide

Voir le monde à l’écran

suffit à nos idées,

Gavées comme des oies

d’images débridées.

Le clavier numérique,

nouvel art de vivre,

Crache son prêt à penser

pour que l’on s’enivre

Du savoir en miettes,

bel effet de surface

Qui de pensées profondes

gomme toute trace.

Le discours dominant

est parfaitement limpide,

«Branchez donc vos esprits sur l’industrie du vide». «Créer n’est pas communiquer mais résister», clamait Zarathoustra aux âmes apprivoisées.


  • Manfred KEEL, Les chaînes du présent. Poèmes Antidote de la mondialisation, Editions A Contre-Courant, Genève, 2001.

Vente au prix de 10 Fr.

A Contre-Courant

16, rue de l’Avenir,

1207 Genève

Tél: 022 786.70.84