Minergie® ou Maxorgie?
Minergie® ou Maxorgie?
«Minergie» –marque déposée– est un paquet de mesures constructives sensées réduire entre
la moitié et le quart, la consommation dénergie de chauffage des bâtiments neufs ou rénovés
en supprimant les fuites dair chaud par le calfeutrement des fenêtres et les pertes thermiques
des parois par le renforcement de leur isolation.
François Iselin
En Suisse, plusieurs centaines de
bâtiment construits ou rénovés selon
ces principes ont obtenu le label «Minergie» (www.minergie.ch) accordé
sur la base de leurs plans et calculs, la
preuve de leur basse consommation
nétant pas apportée par une obligation
de résultats en cours doccupation.
Alors que la Confédération et de
nombreux cantons sont acquis à Minergie,
Genève débat actuellement de lopportunité
de ladopter. Un projet de loi
a été déposé à cet effet le 12 juin dernier
«Instaurant lapplication du standard
Minergie® pour les constructions publiques
ou bénéficiant de laide de lEtat».
Linitiative de lassociation Minergie®
est louable mais soulève plus de problèmes
quelle nen résout:
Les leçons de 50 ans
Les bâtiments dhabitation, locatifs et
villas, en Suisse brûlent près de la moitié
de lénergie importée – principalement
du mazout1 – et «réexporte» dans
latmosphère terrestre le 42% des gaz à
effet de serre (La haute qualité environnementale
dans le bâtiment, Observatoire
Mont-Blanc Léman). La première
question que ne pose pas Minergie® est
de savoir quels errements ont conduit
lindustrie du bâtiment à provoquer en
un demi-siècle un tel gâchis énergétique
et écologique, la consommation
dénergie de chauffage des ménages
sétant accrue depuis 1950 de 7 fois!2
Cette critique de larchitecture contemporaine
– désespérément absente dans
les médias et les institutions – permettrait
de réviser la façon de construire, de
rénover et de chauffer le parc immobilier
existant. Mais cette révision tant
nécessaire demeure bloquée par la contradiction
entre la satisfaction des besoins
vitaux des habitants actuels et futurs
au moindre coût écologique et
lavidité les marchands de matériaux
disolation, de main dœuvre de chantiers,
dhuile de chauffage ou de plans
darchitectes. Si les fournisseurs disolants,
de fenêtres étanches et dinstallations
daération double-flux – labélisés
«Minergie» – en tirent profit, il est douteux
que les locataires et propriétaires
qui les payent y trouvent le leur. La
«minergisation» accroît les coûts de
construction ou de rénovation de 6% au
minimum, somme qui nest amortie
quaprès 25 ans… à condition toutefois
que les économies escomptées soient
effectives ce qui nest pas prouvé.
Mais la critique de Minergie® doit
être placée dans le contexte mondial –
lensemble des êtres humains qui peuplent
la Planète – et dans la durée – les
générations futures qui la peupleront
après nous. Or la consommation
dénergie par habitant en Suisse est environ
4,5 fois supérieures à celle de la
moyenne des habitants des pays «en
voie de développement» – 80% de la
population mondiale! – et lémission de
CO2 y est 3 fois supérieures.3
Ce ne sont là que des moyennes trompeuses
puisque parmi ces pays, certains
«consomment de dix à cent fois moins
dénergie». De plus, les économies attendues
par Minergie® ne préviennent
nullement lépuisement des ressources
fossiles car «en tout état de cause, on
peut assurer que la fin des temps du pétrole
bon marché est proche».4
Energie sous contrôle public
Minergie® en tant quinitiative conduite
par des entrepreneurs privés peut
moins encore que les pouvoirs publics
résoudre le problème du chauffage économe
des bâtiments. Le président de
lAssociation Minergie, Pierre Kohler,
justifie le moins dÉtat en ces termes:
«Il apparaît aujourdhui politiquement
et économiquement inopportun de renforcer
encore davantage les prescriptions
légales pour atteindre des résultats
équivalents aux exigences du label
Minergie» (www.minergie.ch). Pourtant
des solutions très efficaces étaient
développées et préconisées il y a un
quart de siècle lorsque suite aux «chocs
pétroliers» des années 70, la Confédération
et ses institutions multipliaient
les programmes de recherche,
de formation et dincitation aux économies
dénergie.5 Minergie, qui nest
que la version privatisée de ces progrès
scientifiques et techniques en matière
déconomies dénergie, arrive trop tard,
trop modestement et surtout privée des
bases légales contraignantes et du
contrôle public indispensable à chauffer
les bâtiments sans détruire les ressources
pétrolières allogènes – près de
80% de «notre» énergie est importée –
ni polluer latmosphère par lémission
de gaz à effet de serre. Léchec des initiatives
publiques visant à économiser
lénergie – depuis les chocs pétroliers,
la consommation de combustibles fossiles
en Suisse à augmenter de 10%
(SGN / Office fédérale de lénergie) –
sexplique par laffaiblissement progressif
des services publics et nullement
par leur incapacité à le faire.
Aux habitants de décider
Plus inquiétant, Minergie® nassocie
pas les principaux intéressés – les usagers
des bâtiments dhabitation, de travail,
de formation, etc. – maintenus
dans lignorance de comment fonctionne
leur «biotopes humains»: ces habitations
où nous passons pourtant près
du 85% de notre existence. Or le
contrôle de la consommation dénergie
par les consommateurs est un puissant
facteur déconomie puisque quon estime
que de simples mesures individuelles
permettraient de réduire les
consommations dun tiers. Ces mesures
sont par exemple labaissement des stores
pendant les absences prolongées, le
réglage fin des chauffages, le vitrage
des balcons en saison froide, linstallation
de capteurs solaires en toiture ou
linstallation de chauffage à bois. Mais
ces initiatives impliquent que les habitants
puissent sapproprier de leur logement,
immeuble et quartier sans que
ceux qui prétendent pouvoir décider à
leur place ne les en empêchent ou les
délogent. Ce dont chaque habitant a besoins
cest, de quelques dizaines de m3
dair à 20°C (les structures du bâtiment
nont pas à être chauffées!) une dizaine
de litres deau à 60°C par jour, quelques
dizaines de m2 éclairées artificiellement
et un peu délectricité pour actionner
une dizaine dinstallations domestiques.
Vraiment pas de quoi brûler
annuellement plusieurs centaines de litres
de mazout par habitant: le solaire
sous ses formes thermiques, électriques
ou ligneux ferait laffaire!
Réduire les grosses pertes
Minergie® agit au coup par coup et ne
sattaque pas aux premiers gaspilleurs
dénergie thermique que sont les propriétaires
de magasins, de résidences ou
de sièges sociaux qui pour le prestige,
la publicité ou lesbroufe brûlent en
toute impunité «la chandelle par les
deux bouts». Ils justifient leurs gaspillages
en sappuyant sur leurs idéologues
de la «maxergie» ou en masquant
leurs imposants brûleurs par quelques
ridicules capteurs solaires ou pompes à
chaleur. La fixation dune limite de
consommation dénergie de chauffage
par habitant serait plus efficace que la
réduction des consommations de quelques
locatifs «minergisés» sur les
dos des salarié·e·s. On ne voit pas
pourquoi une minorité pourrait impunément
se moquer dune limitation
de la consommation dénergies
non renouvelables alors que la limitation
de vitesse de circulation doit
être respectée par tous.
Dautres «économies»
Minergie® ne réponds que très partiellement
aux crises qui se sont multipliées
depuis les chocs pétroliers.
Les exigences de sécurité et de confort
que lhabitation est sensée satisfaire
se sont compléxifiées depuis 25
ans et ne peuvent être réduites
quaux seules économies dénergie.
Après celle du pétrole, une série de
crises bien plus graves sont venues
nous rappeler que les constructions
des «trente glorieuses» posaient de
sérieux problèmes:
- Difficulté, voire impasses, dans lélimination les déchets des ménages, de construction ou de démolition ainsi que des eaux usées.
- Risques accrus pour la stabilité et la sécurité des immeubles suites aux accidents majeurs de lindustrie chimique, nucléaire et des transports aériens et terrestres auxquels sajoutent la vulnérabilité des immeubles aux catastrophes pseudo-naturelles en augmentation telles quinondations, coulées de boues, tempêtes, érosion des sols, séismes et incendies.
- Raréfaction des ressources vitales: leau potable, les combustibles fossiles, certains métaux et terrains à bâtir.
- Vieillissement et obsolescence prématurée de la moitié de notre parc immobilier qui a été construit au cours du dernier demi-siècle.
- Accroissement des nuisances sonores dans les bâtiments bordant les voies de circulations terrestres et aériennes.
- Toxicités reconnues de certains matériaux de construction tels quamiante, fibres minérales artificielles, formaldéhyde ainsi que celles des divers polluants domestiques tels que moisissures allergènes, suies, détergents, colles, peintures. Le bourrage des bâtiments minergisés par des tonnes de fibres de verre, de mousse synthétiques ou de PVC et les suppressions de leur aération permanente ne peut quaccroître la concentration de polluants et dhumidité.
- Menaces pour la santé physique ou psychique des habitants de logements soit parce quils sont devenus insalubres (cest le cas dun nombre croissant de logements neufs, nouvellement rénovés ou isolés) soit quils soient frappés par le «malaise» des habitats périurbains et des immeubles locatifs dans lesquels doivent habiter les 2/3 des personnes en Suisse.
- Accidents domestiques qui sont la cause de 47% de tous les accidents et de 53% des décès accidentels.6 La suppressions des obstacles et barrières architecturales est une des priorités.
- Accidents et maladies professionnelles des ouvriers du bâtiment dont lespérance de vie est réduite de 4.4 ans par rapport à celle des professions libérales et dont 40% deviennent invalides entre 45 et 60 ans.7
Si des directives pour la construction
et la rénovation du parc immobilier devaient
être édictées – ce qui est nécessaire
et urgent –, elles doivent répondre
à lensemble de ces problèmes. Dune
part, il ne sagit plus de réduire mais de
cesser définitivement de détruire les
ressources non renouvelables qui restent
à lhumanité, soit des ressources
fossiles et fissibles (pétroles, gaz, charbons,
uranium) et dautre part, dintégrer
aux économies dénergie léconomie
des déchets, des matériaux non
renouvelables, des soins médicaux, des
pénibles travaux sur les chantiers, économie
enfin des souffrances tues des
mal logés… Minergie® ne préconisant
que la seule réduction de la consommation
de pétrole et démission de gaz à
effet de serre pourrait bien se faire
lapôtre complaisant dun recours accru
au nucléaire: AREVA, le «Géant mondial
du nucléaire […] au service du
mieux-être» naxe-t-elle pas sa publicité
sur le slogan «lénergie nucléaire
ne dégage pas de gaz à effet de serre».
Lécologie est décidément un thème
porteur y compris pour les pollueurs les
plus dangereux!
Dans cette société capitaliste
qui se dit
dabondance, le diktat
des ironiquement dénommés
«Kmers verts»
déconomiser lénergie
sapparente à une provocation
autant culpabilisante
quillusoire. Les
ressources pétrolières
on atteint en 1960 un palier
où les réserves sont
moindres que les quantités
extraites à ce jour.8
Dici à une vingtaine
dannées, les premiers
symptômes de pénurie
fossile appa raîtront sous
forme dune flambée
sans pré cédents des prix
du pétrole, de conflits
armés pour laccaparement
des derniers forages fertiles et de
lentrée en crise du procès de production
capitaliste qui a fait du fossile son
feu et son sang. Face à cette échéance
incontournable, les économies de mazout
sont dérisoires. Nen déplaise aux
accapareurs des ressources dautrui,
aux exploiteurs des forces de travail,
aux percepteurs de rentes et de loyers et
aux détrousseurs des deniers publics.
Ce nest pas de Minergie® quil nous
faut mais dune Maxorgie dénergie solaire
que nous gaspillerons sans remords,
ni retenue. Mais cette abondance-
là ne sobtiendra quen privant la
classe dominante du droit régalien de
sapproprier le bien commun, de décider
arbitrairement du sort des êtres humains
et de réprimer qui bon lui semble.
Une sacrée économie pour lhumanité!
- Stratégie du groupe daction combustibles, Énergie 2000, polycopié, Lausanne 1993
- H. Burgi et P. Raaflaub, «Rénovation de bâtiments selon le standard Minergie», 1998
- PNUD, «Rapport Mondial sur le développement humain 1999», De Boek, 1999, données de 1997
- J.-L. Bobin et al. Lénergie dans le monde bilan et perspectives, EDP, 2001, p. 25
- Manuel détudes et projets», OFQC, 1983
- Bureau suisse pour la prévention des accidents – 1999
- E. Gubéran, M. Usel, Mortalité prématurée et invalidité… OCIRT., Genève, 2000
- A. Perrodon, Quel pétrole demain?, TECNIP, 1999