Ni marché, ni État: société solidaire
Ni marché, ni État: société solidaire
Le programme dun parti socialiste [les auteurs* parlent ici du Parti des Travailleurs du Brésil] ne peut jamais sarrêter aux frontières du capitalisme; il doit favoriser la transformation de la société dans la direction du socialisme en se caractérisant comme un programme de transition vers le socialisme. De surcroît, bien que les forces bourgeoises en général, et le néolibéralisme en particulier, dominent aujourdhui le monde, des transformations sont en cours qui ouvrent un espace croissant pour la défense du socialisme.
Proposer des mesures avec un contenu de transition vers le socialisme nimplique en aucune manière la conception que la construction du socialisme puisse être purement graduelle et se passer dun processus révolutionnaire. (…) [Cependant, tout ce qui renforce la conscience et lauto-organisation des travailleurs/euses, qui développe les valeurs dégalité, de démocratie authentique, de coopération et de solidarité, qui soppose à la logique du marché et de la concurrence, marche en direction du socialisme. (…)
Rapports de force et socialisme
Pour défendre le socialisme aujourdhui, en tant qualternative, il faut le concevoir comme la construction, par la population organisée, dun contrôle sur les mécanismes de gestion économique et politique de la société, et comme la création des conditions pour que la solidarité se substitue à la concurrence, comme forme de relation fondamentale entre les gens. Cela implique la création dinstitutions fondées sur la «libre association des travailleurs/euses», lactivité autonome, la démocratie et la souveraineté de la population, en lieu et place du marché capitaliste et de lEtat bourgeois.
Il faut refuser le choix entre lEtat et le marché. Nous rejetons létatisme, comme tentative de promouvoir un processus de transformation sociale du haut vers le bas, avec une participation populaire contrôlée par les appareils dEtat; nous rejetons aussi la domination du marché, parce quil subordonne les besoins populaires à une logique qui leur est étrangère en favorisant les détenteurs du capital. Le socialisme ne peut se fonder que sur la solidarité humaine, comme valeur fondamentale, et sur la capacité des citoyen/nes de décider de leur propre destin sur lauto-gouvernement des travailleurs/euses.
Ainsi, sur le long terme, il est indispensable de défendre la conception de Marx, selon laquelle une société vraiment libre devra éliminer la production de marchandises et, par-là, le marché et toutes les catégories marchandes; elle sera parvenue aussi à faire disparaître lEtat, comme appareil politique autonome, qui sera résorbé par la société auto-organisée. Cependant, comme horizon pour la période actuelle, il convient de présenter une perspective plus limitée, à condition quelle progresse réellement dans cette direction: il faut développer toutes les formes possibles dauto-organisation populaire et de contrôle social sur lEtat et sur le marché.
Contrôle social sur lEtat et sur les marchés
La critique simultanée de lEtat et du marché ne peut pas se faire de façon symétrique. On ne peut défendre ni la disparition de lEtat aujourdhui ce qui est évident ni son dépérissement. Ce quil faut, cest le transformer afin quil soit contrôlé de façon croissante par la population organisée et consciente, quil se constitue chaque fois plus en une véritable chose publique. Il faut laffaiblir dans ce sens.
Que cela soit possible, au moins de façon initiale, ceci a été montré par quelques expériences de développement de la démocratie participative dans les administrations municipales, en particulier à Porto Alegre, et par lextension de ce processus au gouvernement du Rio Grande do Sul. Il a été établi que cette façon de traiter lEtat est aussi démocratique quefficace.
Comme aimait à le faire remarquer le théoricien socialiste Ernest Mandel, les transformations en cours dans le domaine des communications et de linformatique réduisent drastiquement les difficultés qui entravaient jusquici lexercice social de la démocratie. La discussion des questions fondamentales, à chaque niveau de la société (national, régional ou local), peut être mis à la portée de tous les citoyen/nes, permettant des délibérations à chaque fois plus directes.
En ce qui concerne les marchés, il est nécessaire de mieux les contrôler (sans prétendre bien évidemment les éliminer, à court ou à moyen terme). Ces contrôles doivent être exercés par des organismes publics, qui ne peuvent être, dans cette période, que des organismes dEtat soumis au contrôle populaire. Dun point de vue démocratique, cela naurait aucun sens de réduire lEtat pour renforcer les marchés capitalistes; cela conduirait à un recul de la capacité de décision populaire et, par-là, à une régression, du point de vue de la démocratie. Mais cela na pas de sens non plus, dun point de vue démocratique, de renforcer lEtat, sans que ne se renforcent en même temps les mécanismes de contrôle de la société sur lEtat.
Si le développement de lintervention de lEtat se combine par ailleurs avec le contrôle social de ses activités, les citoyen/nes acquerront plus de pouvoir de décision sur leurs propres conditions de vie. L«élargissement» de lEtat contribuera au processus de sa disparition à long terme, cest-à-dire à la réabsorption de lEtat par la société organisée. (…)
Renforcement de léconomie solidaire et construction dun mouvement socialiste
Une autre manière daffaiblir la logique marchande-capitaliste et de renforcer la logique socialiste, cest de stimuler toutes les formes dauto-organisation et dautogestion dans léconomie, cest-à-dire toutes les formes dassociation et de coopération. Le mouvement coopératif a cru de façon significative, ces dernières années, au Brésil, autant à la campagne impulsé par le MST que dans les villes, ce qui est une réalité très prometteuse.
Le fonctionnement des coopératives dans le cadre de léconomie capitaliste suppose des pressions pour sadapter à la logique des marchés et nest pas toujours anticapitaliste. Ces pressions peuvent les conduire à adopter une logique entrepreneuriale.
La possibilité de résister à une telle logique sera dautant meilleure, que le mouvement coopératif fait partie dun mouvement socialiste qui lui sert de référence, de cadre idéologique et éthique, dappui social et économique. (…)
Le renforcement de léconomie solidaire remplit trois objectifs fondamentaux dans une stratégie de construction dune alternative socialiste: renforcer lorganisation des travailleurs/euses, développer leur expérience de gestion, les rendre plus à même dexercer leur propre gouvernement; renforcer la vision dun monde de coopération, par-là même socialiste; élargir la sphère de léconomie qui se trouve hors de la logique du capitalisme. Tous ces objectifs convergent dans lidée de renforcer le mouvement socialiste. Le grand défi, cest que léconomie solidaire soit vraiment solidaire, quelle demeure hors de la logique du capital; cest de montrer que lefficacité ne se confond pas avec la compétitivité mercantile.
Elargissement des droits des travailleurs dans les entreprises privées
Transformer lEtat et stimuler les formes de léconomie solidaire, voilà des mesures indispensables pour transformer les relations économiques et sociales. Pourtant, elles natteignent pas le coeur des relations capitalistes et de lexploitation, que sont les entreprises capitalistes. Lélargissement radical des droits des travailleurs/euses sur les entreprises privées représente une mesure fondamentale pour promouvoir une profonde transformation des rapports de force entre les classes. Autrement dit, la réduction radicale des droits des propriétaires capitalistes.
* Extraits dune contribution intitulée «Atualidade de um programa socialista», signée Raul Pont (ex-Maire de Porto Alegre), Heloísa Helena, João Machado et Joaquim Soriano, et publiée dans le deuxième cahier de thèses, Processo de Eleições Diretas SORG Nacional PT, São Paulo, 2001. Notre traduction.