Stress au travail, la hantise des délais
Stress au travail, la hantise des délais
Basée sur un questionnaire et une série dentretiens, une étude1 concernant des PME de la mécanique et surtout du bâtiment dans le canton de Fribourg montre que les nouvelles formes dorganisation des entreprises sont génératrices de stress, même dans les secteurs les plus traditionnels. Flux tendus et réductions du personnel font que lon travaille de plus en plus dans lurgence. Donc dans les tensions et lusure.
Les délais. Tenir les délais. Exécuter la tâche dans les délais. Les délais et lorganisation du travail: les réponses au questionnaire désignent clairement ce qui fait le plus mal dans le travail aujourdhui. Ou comme lexprime un cadre: «Ben disons que le problème, cest quil faut toujours faire plus de volume de travail avec les personnes quon a, toujours plus vite, alors au bout dun moment, euh…». Un autre, après avoir noté que plus on discute de prévention du stress, moins on lapplique, complète le tableau: «Parce queffectivement on nous demande dans une entreprise toujours plus, ça cest certain, on a de moins en moins les moyens de payer du personnel, donc on regroupe les tâches sur certaines personnes, toujours plus, et ça cest valable pour ladministratif comme pour le productif, et, de plus en plus cest toujours plus difficile de dire non à quelquun, à un chef qui vous donne une tâche, dans ce cas-là. Et malheureusement, ben, chaque tâche qui se rajoute, cest clair, cest un facteur de pression, et il y a un moment où on arrive plus à suivre, cest clair.»
Pannes et retards: tensions à gogo
Dans ce contexte, les pannes, les réparations et les réglages prennent une dimension dramatique lorsque la planification du travail ne les prévoit pas: «bon, si un jour, il y a une panne ou une connerie comme ça, la semaine cest raide, quoi» (un cadre).
Cest dans ces circonstances quapparaît un indice manifeste de laccumulation de tensions: la personnalisation du rapport à la machine. Autrement dit, quand un prolo cause à sa bécane, cest que ça coince: «Sinon, on fait les pièces mauvaises, il faut que je regarde à la machine, et puis quelle corrige, et puis elle fait encore les pièces pas bonnes, alors on sénerve, en tout cas moi et puis, euh, je lui dis quelle ménerve: «Hier tu travaillais bien, et puis aujourdhui tu déconnes, alors!». Comme les auteures le notent, garantir un travail dans les délais, alors même que lon ne maîtrise pas toutes les étapes qui le permettent peut savérer extrêmement stressant. Quand les tensions saccumulent, lambiance de travail et les relations personnelles en subissent les conséquences: «Sil y a des pressions, les gens deviennent de mauvaise humeur parce quon est poussé et que tout dun coup, il y a une erreur qui se fait et puis voilà, cest la petite étincelle qui commence à mettre une mauvaise ambiance (…) Puis, les gens viennent et commencent à être encore plus stressés, ils ont peur de faire encore une erreur, ça peut mettre un climat tellement malsain.» (chef de chantier). La dégradation peut aller jusquà laffrontement physique: «On avait même des bagarres, pour vous dire. A la fin de la journée, tellement ils étaient à leur maximum de capacité. Au bout dun moment, lêtre humain, il craque, ça se bagarre.» (chef de chantier).
Laccident des uns, la faute des autres
Parmi de nombreux éléments intéressants, létude met en évidence la perception différenciée du stress (mot passablement passe-partout, du reste) quont les ouvriers et les cadres. Pour les premiers, le stress est principalement lié à des situations de délais non respectés et à la sous-évaluation du temps de travail, avec laugmentation de la charge et des cadences de travail qui y correspondent, alors que les seconds ont plutôt tendance à minimiser le stress lié à lorganisation et à la façon dont il se répercute aux divers échelons de la production. Par contre, linvestissement psychologique et émotionnel de la personne dans le travail est vu comme une donnée «naturelle» pour lencadrement, alors que le personnel dexécution ne fait «que» vendre sa force de travail. Dans ce cas, linstrument de travail privilégié de louvrier, cest son corps. Doù une réticence certaine à parler de lusure et des atteintes physiques (si mon corps ne fonctionne plus bien, je ne vaux plus grandchose). Doù aussi une intégration du risque, de laccident, comme élément de la culture professionnelle, ce qui permet de ne pas trop y penser et den faire une fatalité. Le risque daccident, ça fait partie du boulot, voilà tout. Même si le rôle de la précipitation, de la surcharge et des délais ne peut être nié. Pour les cadres en revanche, laccident provient essentiellement dun manque dattention de lemployé ou du non-respect des normes de sécurité. Les dirigeants imputent donc les accidents avant tout à des erreurs des ouvriers.
Ici aussi, la position sociale détermine la représentation de la réalité.
Relevons enfin quindépendamment de leur position hiérarchique, la majorité des individus souffrent des même types de troubles: douleurs dorsales et rhumatismales, fatigue, troubles du sommeil, raideur de la nuque et des épaules. Et contre cette situation de travail qui les fait souffrir, les enquêtés font preuve de bon sens. Un grand nombre douvriers et de responsables de secteur rêvent de voir davantage de personnel engagé pour faire le même volume de travail: «une grande solution à notre stress, cest aller moins vite, donc il ny a pas vraiment de solution à part engager plus de personnes» (un cadre intermédiaire). Qui donc disait «Travailler tous pour travailler moins»?
Daniel SÜRI
- Diane Baechler, Stéphanie Emery, Karina Kristensen, Travail et santé: quel stress pour qui? 2003. 88 pages. Réalisée à la demande de la Fondation Charlotte Olivier, elle peut être consultée sur son site: www.fcho.ch.