Apprentissage: les hoquets du système dual
Apprentissage: les hoquets du système dual
Dans son principe, le système dual de lapprentissage en Suisse établit une identité entre lemploi et la formation des apprenti-e-s. Pour se former, il faut avoir une place dapprentissage. Si le fonctionnement du tandem emploi-formation a pu faire illusion durant les années de haute conjoncture, il nen va plus de même aujourdhui. Les jeunes qui restent sur le carreau sont de plus en plus nombreux, alors que laccès à la formation devient vital. Pourtant, les limites évidentes du système dual nempêchent pas lEtat de confier un rôle accru aux entreprises.
Dans le résumé de létude sur le «Coût/bénéfice de la formation des apprentis pour les entreprises suisse», les auteurs notent quil sagit dun «secteur de notre système éducatif marqué par léconomie de marché» et que «la condition première dune telle formation est la prédisposition de léconomie à créer des places de formation». Après avoir, au passage, tordu le cou au mythe des entreprises formatrices parce que philanthropes, létude établit les conditions et le moment de lapparition du rendement productif selon le type dapprentissage.
Cest donc lintérêt des entreprises qui dicte exclusivement lavenir de la grande majorité des jeunes de ce pays, puisque ils sont encore près des deux tiers à opter pour cette filière de formation, dont le fonctionnement, en terme de droit à une formation de qualité, est largement déficitaire depuis les années 80. Entre 1985 et 2001, environ 30000 places dapprentissage ont disparu, alors que 192400 emplois (équivalent plein temps) voyaient le jour; en même temps, la population sortant de scolarité connaissait une croissance régulière. Dans la même période, le canton de Zurich connaissait une croissance de lemploi de 8,4% et une réduction de 15% des places dapprentissage (- 5400).
Les scénarios de lévolution ces prochaines années prévoient, jusquen 2008 au moins, une augmentation de la demande de formation professionnelle entre 5 et 11%. Linadéquation, quantitative, entre loffre et la demande de formation est donc programmée. Le problème du nombre de places et de leur localisation se double dune dimension qualitative: les secteurs qui proposent des places dapprentissage ne sont pas ceux qui se développent en terme demploi; à linverse, ceux qui créent des emplois offrent moins de possibilités de formation. Un déséquilibre majeur, qui voyait récemment une banque de la ville de Zurich recevoir pas moins de mille réponses à une offre dapprentissage de commerce.
Les paramètres du système dual ne coïncident ainsi plus du tout: loffre de formation ne correspond pas à la demande et le marché de la formation nest lui-même plus en phase avec celui de lemploi. La main invisible du marché, chargée de la régulation de lensemble en bonne religion néo-libérale, souffre visiblement darthrose avancée.
Une simple faiblesse conjoncturelle?
Les autorités en charge de lapprentissage analysent plutôt la situation en terme conjoncturel, ce qui «justifie» en retour une absence dinterventions fortes dans ce secteur. Cest, au fond, la position de la «Task force» (un groupe de travail tripartite constitué à linitiative de lOffice fédéral de la formation professionnelle et de la technologie, OFFT), qui, mis à part les réseaux dentreprises formatrices, se replie surtout sur les campagnes de promotion de lapprentissage (comme lautocollant «entreprise formatrice»). Dautres estiment que le problème est dabord structurel, renvoyant à la tertiarisation de léconomie, soit au développement de lemploi dans le secteur des services privés face à un secteur industriel traditionnel en recul.
En réalité, la querelle est vaine. La fragilité conjoncturelle comme la transformation structurelle du marché de lemploi sont toutes deux lexpression de lintense réorganisation des conditions de valorisation du capital qui se trame à travers la mondialisation. Un des traits marquants de cette période est, pour nombre dentreprises, lincapacité de prévoir toute évolution à moyen terme. Ce que relève avec bon sens un commentateur de la HandelsZeitung (29.06.2004) planchant sur la formation professionnelle en Suisse: «Personne ne sait exactement quels seront les besoins de léconomie dans les cinq à sept prochaines années». Linvestissement dans la formation ne se justifiant que dans la durée et faisant concurrence à dautres besoins financiers des entreprises, une réduction des tensions napparaîtra pas de sitôt.
La nouvelle loi renforce la prédominance des entreprises
Face aux difficultés patentes du système dual, qui existent du reste aussi dans les autres pays qui y ont recours, comme lAllemagne ou lAutriche, le patronat helvétique et donc lOFFT, ont joué la carte de ladhésion étroite de la formation aux desiderata des entreprises.
Plusieurs dispositions de la nouvelle Loi sur la formation professionnelle (LFPr) visent à renforcer le rôle des entreprises, pourtant défaillantes. Dabord par la place donnée à la notion de compétence (art. 15), qui, par définition, prend largement en compte les besoins immédiats des entreprises dans la formation transmise. Ensuite par le rôle potentiel qui leur est attribué dans la validation des résultats ( «lexamen de fin dapprentissage peut comprendre un travail personnel ayant trait à lentreprise formatrice et que celle-ci peut diriger en commun avec lécole», Message du Conseil fédéral sur la LFPr, 6.9.2000). Par ailleurs, la LFPr instaure les cours interentreprises et les «autres lieux de formation comparables» (art. 23). Lenquête de lOFFT sur les coûts et bénéfices de lapprentissage pour les entreprises rappelle quil sagit-là dune poursuite de la politique dexternalisation (outsourcing) de certains services des entreprises, dans le but évidemment den réduire les coûts. La flexibilité de la formation est aussi un des buts recherchés par ce moyen; au sein dune même profession, loffre de formation peut varier en fonction des entreprises: «malgré la conception uniforme des règlements dapprentissage, la pratique de la formation peut prendre des formes très variées et corollairement répondre aux attentes et aux souhaits les plus divers formulés par les employeurs».
Les «autres lieux de formation» peuvent prendre des formes très diverses: ce peut être un pôle de formation prenant en charge, contre paiement des entreprises, la première année dapprentissage, réputée la moins rentable (24 Heures, 8.1.2004). Cela peut aussi prendre la forme du CYP, «Center for Young Professionals in Banking», créé par les membres les plus influents de lAssociation suisse des banquiers ( UBS, Crédit suisse, Banque Julius Bär, Banques Raiffeisen, Banque cantonale de Zurich), qui souvrira ensuite aux banques cantonales et qui va, dans un premier temps, soccuper de la connaissance de la branche (trente jours sur trois ans) pour les apprenti(e)s du secteur. Il concernera aussi les porteurs de maturité et de diplômes que les banques formeront en interne. Aux frictions avec les écoles professionnelles risque de succéder une concurrence de fait. Le cadre unitaire de la définition et de la validation des qualifications pourrait être ébranlé. Selon votre parcours de formation, selon lentreprise qui vous aura engagé, votre CV deviendra plus important que votre CFC (certificat fédéral de capacité). On aura ainsi une sélection redoublée dans un système qui nen manque pas et sur laquelle nous reviendrons.
Daniel SÜRI
Sources:
Office fédéral de la statistique, Monitorage de léducation en Suisse . Parcours vers les formations postobligatoires. Les deux premières années après lécole obligatoire. Résultats intermédiaires de létude longitudinale TREE. Neuchâtel, 2003, 158 p.
Jeannine Silja Volken, Carlo Knöpfel, Risque de pauvreté no 1 : une mauvaise formation ! Les parcours des personnes touchées par la pauvreté en Suisse. Lucerne, Ed. Cariitas, 2004, 124 p.
OSEO, Les jeunes ont besoin de travailler. Dossier sur le chômage des jeunes. Lausanne, 2004, 32 pages.
Office fédéral de la statistique, Elèves du degré secondaire II : scénarios 2003-2012, Neuchâtel, mai 2004.
Office féféral de la formation professionnelle et de la technologie, Places dapprentissage 2003. Tendances Chiffres- Mesures, mai 2003.
Kanton Zürich, Lehrstellenmangel in Dienstleistungsbranchen. Statistik-info 7/2004.
Bildungsdirektion des Kantons Zürich, Schulstatistik: mehr Jugendliche am Ende der obligatorischen Schulzeit ohne Anschlusslösung, Novembrer 2003.
Laufabhnzentrum der Stadt Zürich, Befragung von Schulabgänger/innen in der Stadt Zürich ohne Anschlusslösung im Sommer 2002, Februar 2003.