Une nouvelle génération politique: entretien avec Olivier Besancenot

Une nouvelle génération politique: entretien avec Olivier Besancenot

Nous nous sommes entretenus avec Olivier Besancenot, porte-parole de la LCR et candidat aux élections présidentielles 2002. L’occasion pour lui de reveinir sur l’écho des idées anti-capitalistes en France, en particulier dans la jeunesse.

Quel écho tes différentes campagnes électorales ont-elles rencontré auprès des jeunes?

On assiste depuis quelques années, un peu partout dans le monde, à un profond renouveau des mouvements sociaux. Une nouvelle génération voit le jour, qui fait ses premiers pas en politique en résistant à la mondialisation libérale. Au moment des présidentielles de 2002, le message de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) a trouvé un écho important auprès des acteurs-trices de ce renouveau, puisque 15% environ des 18-25 ans ont voté pour nous. Nous avons également ressenti cet écho sur le terrain. Un grand nombre de jeunes, ainsi que des personnes issues des classes populaires, sont venus entendre nos propositions au cours des meetings.

Les européennes et les régionales ont en revanche représenté un échec électoral manifeste pour nous. La qualification de Le Pen au second tour des présidentielles a constitué un traumatisme pour beaucoup. Pour bon nombre de jeunes, il s’agissait de la première participation à un scrutin électoral. Ayant voté pour moi ou un autre candidat situé à la gauche du PS, ils ont été forcés de voter Chirac au second tour. A mon sens, ce malaise risque de durer jusqu’aux présidentielles de 2007. Tant que ces jeunes n’auront pas fait passer un candidat socialiste au second tour d’une présidentielle, ils ne se sentiront pas guéris du traumatisme Le Pen. Ceci étant, nos meetings n’ont pas pour autant désempli, et les messages de sympathie continuent à affluer. Nous ne sommes pas marginalisés vis-à-vis de ces jeunes, qui nous soutiennent et sont réceptifs à notre discours. Nombre d’entre eux/elles contribuent d’ailleurs à la souscription que nous avons lancée, bien qu’ils n’aient pas voté pour nous…

Serais-tu d’accord de dire que règnent parmi ces nouveaux militants des aspirations plus «libertaires» que par le passé?

Dans le mouvement altermondialiste, les idées libertaires ont effectivement une grande importance. Elles se traduisent par un refus de tout fonctionnement «vertical» et par un privilège accordé à des formes d’organisations souples et en réseaux. Tout ceci est très positif. La LCR n’a pas vraiment eu à s’adapter à ces nouvelles aspirations, pour la raison simple qu’elles sont aussi les nôtres, et qu’elles caractérisent notre fonctionnement depuis longtemps. Au moment d’entrer en politique, je me sentais joyeusement libertaire, et c’est exactement pour cette raison que j’ai adhéré à la LCR. Le communisme libertaire que j’avais envie de défendre, c’est à la LCR que je l’ai trouvé. Je n’étais pas «trotskyste», pour moi ça ne voulait rien dire…

Prenons l’exemple du mouvement zapatiste, qui est l’objet d’une grande sympathie chez les altermondialistes. L’un des mots d’ordre typiquement libertaires des zapatistes est celui selon lequel «le pouvoir corromp». A la LCR, nous ne pouvons être que d’accord avec cette idée, la critique des mécanismes du pouvoir, y compris dans notre propre organisation, étant centrale pour nous. Ceci étant, cela ne nous empêche pas d’être méfiants vis-à-vis de certaines réponses proposées aujourd’hui au problème du pouvoir. Nous sommes par exemple en désaccord avec la thèse de John Holloway, selon lequel les mouvements sociaux et les forces politiques qu’ils soutiennent doivent renoncer à prendre le pouvoir, et se borner à créer des «contre-pouvoirs» locaux et éphémères1. Nous pensons qu’il faut poser la question du pouvoir dès à présent; elle se posera d’ailleurs d’elle-même si nous ne le faisons pas. Les zapatistes eux-mêmes ont évolué sur cette question. Au moment de leur soulèvement, ils refusaient jusqu’à l’idée de créer un gouvernement rebelle au Chiapas. Aujourd’hui, ce gouvernement existe. On peut rejeter Holloway sans chercher dans Lénine le dernier mot sur le pouvoir révolutionnaire…

La LCR avait connu une vague massive d’adhésions après les présidentielles. Qu’en est-il aujourd’hui?

Nos effectifs ont doublé depuis 2002. Nous comptons actuellement plus de trois mille militant-e-s. Parmi les nouveaux adhérent-e-s, on compte beaucoup de jeunes, et aussi de nombreux salarié-e-s des entreprises privées. Ces militant-e-s ont fait leur premières armes dans un contexte politique très euphorisant. Tout ce que nous avions prévu à l’époque s’est réalisé: le troisième tour social après les élections, le puissant mouvement anti-guerre, les grandes mobilisations contre Le Pen… Puis sont venues ces deux claques électorales aux européennes et aux régionales, qui font que nous vivons actuellement des temps difficiles. Ce d’autant plus que nous avons également subi dernièrement un certain nombre de défaites sociales face au gouvernement Raffarin. Mais les gens tiennent bon.

Les jeunes semblent participer massivement au mouvement altermondialiste, mais la traduction politique de leur résistance au néolibéralisme ne semble pas toujours aller de soi…

Résister au néolibéralisme, c’est de fait entrer en politique. Il ne faut pas oublier que le mouvement altermondialiste est encore jeune. A mesure qu’il progressera se posera naturellement la question de sa traduction politique. Celle-ci est d’ailleurs déjà en cours. Le mouvement altermondialiste comprend au moins deux grandes tendances: l’une est «régulationniste», c’est-à-dire qu’elle souhaite humaniser le système existant, l’autre est plus radicale et ambitionne de le changer. La LCR se situe bien sûr dans la seconde de ces tendances. Or, des débats virulents existent déjà entre ces courants, autour de propositions politiques concrètes. A force de dire qu’un «autre monde est possible», on en vient logiquement à aborder la question de la nature de cet autre monde…

Les éléments qui fédèrent le mouvement altermondialiste sont aujourd’hui plus importants que ceux qui le divise. Tout le monde est d’accord sur une série de propositions de base, comme l’annulation de la dette du tiers-monde, la résistance à la guerre, la défense des services publics ou la taxation des mouvements de capitaux. Ceci doit encourager le courant radical que j’évoquais à l’instant à défendre clairement ses propres positions. Par exemple, nous sommes tous favorables à la taxation des mouvements de capitaux. Un débat important existe cependant, à l’intérieur du mouvement, sur la manière dont seraient employés le produit de cette taxe. Certain-e-s sont favorables à une gestion par les institutions économiques internationales existantes, comme le FMI ou la Banque mondiale. Nous sommes pour notre part totalement opposés à cette idée. Il faut à notre sens inventer une institution internationale nouvelle, créée et gérée par et pour les mouvements sociaux, et lui confier l’allocation du produit de la taxe.

Tu as récemment déclaré dans la presse que tu ne souhaitait pas rester porte-parole de la LCR éternellement…

La presse a quelque peu déformé mes propos, mais j’ai effectivement dis, et je le confirme, que je ne souhaite pas demeurer porte-parole de la LCR ad vitam æternam… Pour moi, et cela vaut je crois pour ma génération en général, cette idée n’a rien de surprenant. L’époque des portes-parole uniques et à vie est heureusement révolue. La question est réglée, à mon avis elle ne fait même pas débat. Ça aussi, c’est un signe des temps, une illustration du renouveau politique que nous évoquions. Je ne peux d’ailleurs pas imaginer que la LCR puisse continuer à croître à l’avenir, si elle ne parvient pas à changer régulièrement les personnes qui la représente publiquement. Ceci étant, ce n’est pas pour tout de suite, et je continuerai à occuper ce poste avec enthousiasme pour encore quelques temps.

De manière plus générale, je pense que la question des porte-parole pose le problème du statut de l’individu dans nos partis, et également au sein de la société. L’objectif ultime du projet marxiste révolutionnaire tel que je le conçois, c’est l’épanouissement de la personne. Notre but, après tout, est de rompre les chaînes qui entravent l’autonomie des individus. En même temps, une tâche tout aussi urgente aujourd’hui est de lutter contre certaines tendances individualistes – cette fois-ci au mauvais sens du terme – et de réhabiliter les réflexes solidaires et collectifs, notamment auprès de la jeune génération qui n’en a pas forcément l’habitude.

Tu disais précédemment que tu n’étais pas entré à la LCR par «trotskisme». Comment te situes-tu par rapport à l’héritage des luttes sociales que ton parti incarne à bien des égards?

J’assume, je revendique et je suis fier de notre héritage révolutionnaire. Il faut que nous continuions à le visiter, et en perpétuer la part positive. Pour qui cherche à refonder un projet d’émancipation sociale, qui portera d’ailleurs peut-être à l’avenir un autre nom que celui de «communisme» ou de «marxisme», ce travail est impératif. Pour moi, ce ne sont pas les noms ou les étiquettes qui sont importants, mais les idées fondatrices. Les projets de société révolutionnaires ne sont pas nés du cerveau de telle personne, ou même de quelques personnes. Il s’agit avant tout d’expériences collectives. Prenons l’exemple de la révolution d’octobre 1917, qui reste une référence importante pour nous. Les soviets, ce n’est pas une invention des bolcheviks. Il s’agit avant tout d’un instrument d’auto-organisation créé par des travailleurs-euses exploités désireux de se débarrasser du tsarisme. Nous avons besoin d’événements fondateurs, de grandes mobilisations sociales auxquelles nous puissions nous référer. Nous commençons d’ailleurs à en accumuler un certain nombre depuis la seconde moitié des années 1990.

Je ne me défini pas d’abord comme trotskiste, parce que je crois que cette dénomination ne correspond plus à la période que nous vivons. Être trotskiste, c’était avant tout être trotskiste face aux staliniens. Or, des staliniens, il y en a plus, et c’est tant mieux. Notre héritage, c’est d’abord celui des révolutions, et je me considère d’abord comme un révolutionnaire. Il nous faut opérer un retour en arrière sur toutes les révolutions, et essayer de comprendre ce qui a fonctionné ou échoué en elles. Ceci nous aidera à faire en sorte que la prochaine révolution, celle à laquelle nous et tant d’autres auront patiemment travaillé, ne soit pas, une nouvelle fois, trahie.

Il faut également insister sur le fait qu’il n’y a pas de tradition révolutionnaire sans que soit maintenue vivante, même si c’est de façon critique, la mémoire de cette tradition chez les militants actuels. A la LCR, nous avons l’intention de rétablir prochainement des écoles de formation pour les militant-e-s. A mon sens, c’est essentiel. Le but d’une organisation politique, c’est aussi de donner le goût de la lecture à ses militant-e-s, en particulier à ceux pour qui cela n’est pas forcément naturel. Posséder les «armes de la critique», ça passe aussi par le goût de la lecture, ça fait aussi partie de nos responsabilités…

Entretien réalisé par Razmig KEUCHEYAN

  1. Voir à ce propos John Holloway, Change the world without taking power, Pluto Press, 2002.