Empreinte terrestre et migrations humaines
Empreinte terrestre et migrations humaines
L«empreinte écologique» désigne la portion de nature nécessaire à la survie de chaque humain. On calcule létendue de surface terrestre disponible, sa répartition et lénorme part appropriée par les pays dominants. Déséquilibre expliquant lampleur des migrations de populations dépossédées. On est en plein dans la relation entre écologie et politique.
Concrètement, quelle est la surface nécessaire à satisfaire les besoins vitaux habitat, aliments, matériaux de base, énergie, absorption des déchets dune personne sur terre? Même en négligeant lempreinte indispensable aux autres espèces, les volumes atmosphériques, les espaces nécessaires à la reproduction durable de la nature… cette empreinte dépend du mode de production/consommation: le productivisme capitaliste la élargie pour ses bénéficiaires et réduite pour ses victimes.
La surface moyenne aujourdhui disponible pour un humain est estimée à 1,7 hectare. Or, lempreinte minimum physiologiquement nécessaire est proche de 2 ha ! Le rapport entre surfaces exploitée et disponible est inégal: 5 pour lAmérique du Nord, 2 pour lEurope, 1 pour lAmérique latine, les Caraïbes, le Moyen-Orient et lAsie Cen-trale, et inférieur à 1 pour lAsie Pacifique et lAfrique. Ainsi, les deux tiers de lhumanité, en Asie et en Afrique, sont en dessous du seuil dauto-approvisionnement. LInde, plus dun milliard de personnes, ne dispose que de la moitié (0.8 ha par hab.) des capacités nécessaires.1
Empreinte impériale…
Lempreinte de lEtats-Unien moyen est de 9,6 ha, alors que ce pays dispose de 5.5. ha par habitant. Son déficit écologique est donc de 4.1 ha par hab., surface presque équivalente à celle des USA. Pour la Suisse, la charge écologique est à peu près la même que la France (5 ha) mais ses surfaces nécessaires à la production de biens vitaux et à lélimination des rebuts sont insuffisantes (1.8 ha).2 La Suisse exploite donc 2,8 fois plus despace que son territoire. Pour ce qui est des seuls aliments, le tiers provient dempreintes délocalisées. Les énergies non renouvelables sont toutes puisées hors du périmètre national.
La planète étant finie, ces empreintes de compensation sont exploitées grâce à lexpansion coloniale/impériale, la con-quête, loccupation, le pillage de ressources, lexpropriation, lachat à vil prix de marchandises produites hors-frontières et transportées à un coût écologique exorbitant. La mise à sac de la Palestine par le pouvoir israélien sioniste, qui la caractérisait comme «une terre sans peuple pour un peuple sans terre», en est un exemple caricatural.
La Suisse nest pas en reste et les racistes UDC, affichant des mains «étrangères» pillant des passeports suisses, ou les défenseurs de lEurope policière de Schengen, occultent les mains suisses pillant nourriture, pétrole, métaux, fo-rêts chez autrui! Parler de «production nationale», d«indépendance énergétique», de «produit intérieur (sic) brut» est un écran de fumée du capital pour masquer la supercherie.
Un exemple. Vaud crie misère, sabre les dépenses publiques et veut expulser manu militari des centaines de requérants, alors qu«entre 1981 et 2001, la fortune brute déclarée dans le canton est passée de 36 à 126 milliards, [parce que] la Suisse est peuplée dentreprises transnationales sachant profiter de la mondialisation néo-libérale».3 Face à cette contradiction, les Etats recourent au racisme pour faire croire que les richesses pillées viennent de «terres sans peuples» et, lorsque ceux-ci se manifestent, les taxer de mendiants inintégrables et les refouler.
Le bilan des empreintes écologiques montre que le «bien-être» des pays prédateurs est atteint au détriment des populations pauvres et des générations futures. Des flux inégaux de matières premières et de marchandises, il résulte une gigantesque «dette écologique» envers les populations, qui leur rend la vie de plus en plus précaire et les force à lexode. Le remboursement de cette dette ne devrait-il pas passer par laccueil de migrant-e-s en nombre correspondant aux exclu-e-s de lempreinte? Pour la Suisse ça en ferait plus de 2 millions. Ce remboursement de la dette écologique implique aussi le remplacement des ressources et appareils de production démantelés.
Contre-empreinte migrante
Pour faire du profit, les ressources extraites de lempreinte confisquée sont transformées en marchandise, nécessitant en plus de lénergie du travail humain. Ainsi lempreinte écologique se double dune empreinte démographique: le pillage des ressources naturelles se combine avec lexploitation du travail des dépossédés. Les migrant-e-s appauvris suivent lévasion de leurs richesses, comme un passant détroussé poursuit un voleur. Les réfugié-e-s, divisés par les xénophobes en «vrais» et «faux», sont doublement pénalisés: le pillage de leurs ressources les force à sexpatrier et leur statut dexilé-e-s à brader leur force de travail pour survivre.
Ainsi, 175 millions dhumains doivent vivre hors de leur pays. Les deux tiers des habitant-e-s de la planète sont contraints à la misère ou à lexil. La faim, plus forte que la peur des naufrages, refoulements ou emprisonnements, les force à chercher au Nord un peu de ce quils ont perdu. Ce mouvement ne cessera que si lon rembourse ces dettes contractées et que les nantis cessent dendetter le monde. Rien pourtant ne les fera céder spontanément. Laccumulation de dettes non remboursées aux générations présentes et non remboursables aux futures est un fondement de laccumulation capitaliste. Ainsi, le renversement de ce système est la seule issue.
Le capitalisme soppose à sa remise en cause avec ses «lois» économiques, sa justice, sa police et son armée. Il gère lépuisement des ressources non renouvelables en occupant militairement les régions qui en disposent et la souffrance des exploité-e-s et opprimé-e-s en les réprimant; les migrations en marginalisant, expulsant et emprisonnant ceux qui ne contribuent pas assez à son enrichissement. Mais cette répression ne freine pas les migrants. Elle transforme les requérant-e-s en clandestin-e-s, quand elle ne les tue pas. Les USA ont bâti un mur à leur frontière avec le Mexique, ont posé barbelés et systèmes de mouchardage. Cette frontière répressive na fait quaugmenter le nombre de policiers, dimmigré-e-s tués (environ 3000 par an), le pouvoir des mafias et les menées dites «terroristes».4 Cet ignoble cordon sanitaire étranglant le monde passe au sud des pays à forte empreinte écologique: au sud des USA, de lEurope, par le mur de la honte qui étouffe la Palestine, par les côtes Australiennes LEurope de lexclusion, na pas tué moins de 2000 clandestin-e-s entre 1993 et 2000!
Une guerre est déclarée aux portes des forteresses impérialistes contre l«invasion» des damnés de la terre. Des millions daffamés, spoliés, méprisés, avancent vers les frontières où siègent les multinationales, pour réclamer, leur dû. Tous viennent pour recueillir au moins les miettes de la table des voleurs de leur pain. Cest avec eux/elles, au cur du monstre, que nous changerons le monde!
François ISELIN
- Voir: WWF International, Living Planet Report 2000, Gland, sept. 2000.
- Mathis Wackernagel, William E. Rees, Notre empreinte écologique, Ed. Ecosociété, 1999.
- André Mach, «Une suisse de plus en plus riche et inégalitaire», Le Courrier, 28.9.2004.
- Augusto Zamora, «Emigración y capitalismo global», La Insignia, 3.1.2004.