Le féminisme est politique

Le féminisme est politique

Le tournant libéral pris par la
gauche n’explique pas seul son échec. On ne résoudra pas
la crise de la représentation politique sans intégrer l’égalité femmes-hommes à tous
les niveaux, dans toutes les sphères et dans tous les domaines. Dans
le cadre de la journée de réflexion ouverte organisée
par solidaritéS, le
1er avril, sur les relations entre lutte contre le capitalisme et lutte
contre le patriarcat, nous reproduisons les réflexions d’une chercheuse
et militante féministe française
.

Une fois de plus, les résultats
des élections présidentielle
et législatives ont confirmé l’intensité de la crise
du politique, qui ne cesse de s’approfondir. Si ces événements
ont marqué la fin d’un cycle, c’est bien celui du modèle
léniniste de la forme parti, qui doit être interrogée
et repensée. Cependant, nous ne pouvons nous satisfaire de la référence
partagée selon laquelle le tournant libéral pris par la gauche
au pouvoir expliquerait en grande partie son échec.

La domination masculine: une question politique

D’autres contradictions
internes aux forces de gauche elles-mêmes
doivent être relevées. De nouvelles discriminations provoquées
par le capitalisme et le libéralisme ont été dénoncées
par les mouvements sociaux au cours des trente dernières années.
Parmi eux, le mouvement féministe radical des années 1970 s’est
différencié sur plusieurs points en s’affirmant d’emblée
comme un mouvement politique («le privé est politique»):
il part de l’acquis fondamental que le rapport de domination hommes-femmes
est à l’origine de toutes les autres formes de domination et de
discriminations; il déconstruit le patriarcat comme système;
il dénonce un universel neutre et masculin et prône une conception
horizontale de l’organisation. Ses analyses ouvrent un autre paradigme
dans l’analyse de la domination, qui devraient être considérées
comme une référence essentielle à l’analyse de la
question de la transformation sociale.

Or, pour les organisations politiques
et les forces de gauche, la domination masculine n’est pas posée
comme une question politique, puisque ces dernières continuent de traiter
les femmes comme une question spécifique,
une «catégorie», dont les droits relèveraient du
domaine du social, sans en tirer de conséquences. Cela les conduit à réaménager
les tabous pour en rendre la survivance plus acceptable. À cela, depuis
1995, les féministes opposent une approche différente de la question
de l’égalité: la dimension intégrée de l’égalité femmes-hommes
qui doit intervenir à tous les niveaux, dans toutes les sphères
et dans tous les domaines.

Citoyenneté et exclusion des femmes

Cette démarche est aujourd’hui
incontournable, elle permet de considérer les réalités
sociales avec un nouveau regard, par exemple: quels vont être les impacts
de mesures proposées
sur l’égalité femmes-hommes dans tel domaine? De quelle
manière les solutions envisagées vont-elles affecter la vie des
femmes et des hommes pour les retraites, les 35 heures, les emplois jeunes,
etc.?

Pour les féministes, la crise de la représentation politique
s’origine dans le moment constitutif de l’exclusion des femmes
de la citoyenneté. Cette contradiction flagrante inscrite au cœur
de la Révolution française devrait interpeller tout mouvement
politique parce qu’elle influence encore, de nos jours, la vie politique,
les partis, les institutions et le système de valeurs qui les fonde.
Cet événement, dont le caractère paradoxal est rarement évoqué,
demeure une partie intégrante de la culture du mouvement ouvrier, sans être
questionnée dans ses fondements.

Pour les partis politiques et les mouvements
de gauche, les valeurs portées
par le féminisme ne produisent pas de sens en politique. C’est
parce qu’ils les ignorent que la transformation en profondeur de la société ne
saurait provenir des partis tels qu’ils sont, et d’eux seuls. Afficher
les valeurs sur lesquelles repose le féminisme politique aujourd’hui
dans nos pratiques sociales quotidiennes est un enjeu du changement social.

Parité et
changement social

Un autre enjeu de la période serait de travailler à créer
les conditions permettant la construction d’un autre type de formation
sociale correspondant à la réalité de notre époque.
Ni les partis politiques, ni les mouvements sociaux ne sont porteurs à eux
seuls des changements ou de solutions pour sortir de la crise du politique.
C’est du lien à construire entre démocratie de représentation
et démocratie directe – paritaires – que pourront être
appréhendées de nouvelles transformations sociales.

L’actualité montre
que des pratiques sociales alternatives existent et tentent d’expérimenter
de nouveaux rapports au politique: les mobilisations de Seattle, du Forum social
de Porto Alegre (malgré leurs
limites à intégrer la dimension de l’égalité entre
hommes et femmes), celles des ONG de femmes dans les conférences mondiales,
de la Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et les violences
sont autant de signes d’opposition et de résistances à la
globalisation; et même si chacun de nous se heurte à ses propres
limites, ces mobilisations confirment qu’un nouvel espace est possible.

Pour
répondre à une profonde mutation culturelle, il est nécessaire
de toucher aux représentations mentales de la société patriarcale.
Nos luttes féministes ont montré qu’il n’y a pas
de démocratie sans la participation des femmes aux postes de décision,
c’est la raison pour laquelle une formation sociale nouvelle sera, à l’évidence, à l’épreuve
d’une réelle parité de fonctionnement social et politique.

Monique
DENTAL*

* Coresponsable du Centre d’enseignement, de
documentation et de recherche pour les études féministes de l’université de
Paris VII, Monique Dental est fondatrice du collectif de pratiques et de réflexions
féministes Ruptures, et animatrice de ses activités en réseau.
Cet article est daté du 26 décembre 2005. Il est extrait
du site de la revue Politis (www.politis.fr/article401.html). Les intertitres
sont de notre rédaction.