Pirates somaliens: à l’école des bonnes manières occidentales
Pirates somaliens: à lécole des bonnes manières occidentales
Dabord, on avait cru à
un gag : Pascal Couchepin et Micheline Calmy-Rey envisageaient
denvoyer des pioupious suisses jouer les Navy Seals à
bord des bâtiments helvétiques croisant au large de la
Somalie. On avait même lunité prête à
affronter tous les périls, le détachement de
reconnaissance de larmée 10, la crème des forces
spéciales suisses. Restait plus quà commander les
stocks de Mercalm et à apprendre la différence entre le
lac de Constance et le golfe dAden à nos vaillants
soldats…
Mais si lon se penche un peu sur lorigine de la piraterie
dans cette région, la contribution suisse à
lopération aéronavale
« Atalante » de lUnion
européenne devient bien moins amusante. Car les pirates ne sont
pas nécessairement ceux que lon croit.
Une pêche très INN
Notons premièrement quil existe une piraterie,
industrielle celle-là, qui se pratique en matière de
pêche. Officiellement, on lappelle la pêche INN
(illicite, non déclarée et non
réglementée). Elle ne fait pas les gros titres des
journaux télévisés, bien quelle soit
diablement efficace. Cette pêche pirate utilise des chalutiers
naviguant sous des pavillons de complaisance (Taiwan, Belize, Honduras,
Panama, Malte, etc.), contournant les accords internationaux sur la
pêche. Ils uvrent le plus souvent sans signes
didentification (pavillon, nom de bateau, etc.), avec des
équipages souvent armés, quelquefois masqués. Ils
opèrent soit en haute mer, soit là où les Etats
côtiers nont pas les moyens matériels de
défendre leur zone de pêche. Leurs propriétaires
coulent des jours heureux en Floride ou sur la Costa Brava.
Ils ont ainsi largement pillé les côtes
de lAfrique de lOuest, celles des Etats insulaires de
lOcéan Pacifique, mais aussi celles de la Somalie.
LONU estime que ce pays perd de ce fait
léquivalent de 300 millions de dollars chaque
année. Comparé aux 100 millions de rançons obtenus
en 2008 par les pirates, le solde reste positif. Ce nest
évidemment pas contre cette piraterie-là que
lEurope mobilise, puisquelle en profite : on
estime à 500 000 tonnes de poissons illégalement
pêchés ce qui parvient sur ses marchés chaque
année, représentant une valeur de plus dun
milliard deuros.
Un tsunami révélateur
Mais lUnion européenne na pas fait que participer
à la mise à sac des ressources halieutiques de la
Somalie, réduisant ses pêcheurs côtiers à la
misère et les poussant au banditisme. Elle a aussi laissé
un cadeau somptueux à cette région, afin quon y
apprenne durant des générations les bienfaits de la
civilisation occidentale.
Lorsque le tsunami de janvier 2005 frappa les
côtes de la Somalie, il souleva des tonnes de déchets
radioactifs, chimiques et toxiques des fonds marins et les
déposa sur les plages. Des dizaines de milliers de personnes
furent rendues malades par cette invasion et 300 en moururent. Une
enquête de lONU révéla que des entreprises
européennes avaient déversé, depuis le
début des années 90, un cocktail létal
duranium, de métaux lourds, de déchets
industriels, chimiques et hospitaliers. Lenquête indiquait
que les « rapports provenant des villages mentionnent un
large éventail de problèmes médicaux, tels que
saignements de bouche, hémorragies abdominales, troubles
dermatologiques inhabituels et difficultés
respiratoires ». Ces entreprises avaient profité de
la guerre civile en Somalie, puis du mandat de lONU et de
lintervention américaine pour négocier un contrat
léonin dans lequel les coûts du déversement des
déchets se montaient à 1,70 £ la tonne, contre
670 £ en Europe. Lenquête de lONU,
malgré les éléments de preuve découverts, a
été abandonnée. Il ny a eu ni compensation,
ni poursuites. Et les déchets sont toujours
déversés.
Un chaos entretenu par limpérialisme
Depuis la chute du dictateur Mohamed Siad Bare en 1991, la Somalie
na plus connu dEtat central stable ni
véritablement de paix. Ni le mandat de lONU de 1992
à 1995, encore moins lopération militaire
américaine Restor Hope en 1992-93, sous le prétexte du
« droit dingérence
humanitaire », namélioreront la situation.
Les pitreries de Bernard Kouchner, débarquant sur les
côtes de Somalie un sac de riz sur lépaule, ne
cacheront pas longtemps une politique de défense des
intérêts spécifiques des grandes puissances
occidentales. Lintérêt stratégique du pays,
les ressources naturelles (dont le pétrole) condamneront la
population somalienne au chaos rythmé par les affrontements
entre « seigneurs de la guerre », mouvement
de lUnion des tribunaux islamiques (UTI) et interventions
étrangères. La dernière en date, celle, directe,
de lEthiopie (2006-2009), a été soutenue par les
Etats-Unis, eux-mêmes parrains des « seigneurs de la
guerre ». Ils font en effet obstacle à lUTI,
que la logique simpliste de laxe du Mal range dans le camp
terroriste, parmi les organisations proches dAl Qaida. Deux ans
doccupation éthiopienne ont laissé le pays dans
une situation humanitaire catastrophique, chassé 700 000
personnes de la capitale, Mogadiscio, et renforcé laile
radicale (salafiste) de lopposition islamique. La situation est
suffisamment grave pour que lenvoyé spécial de
lONU juge quil y a en Somalie « un
génocide qui ne dit pas son nom, avec des
générations entières
sacrifiées » à la guerre (Le Monde du
22.12.08). Le Conseil de sécurité de lONU,
après un forcing des Etats-Unis, vient de voter une
résolution ouvrant la voie au renforcement et à la
transformation de lactuelle Mission de lUnion africaine
en Somalie (Amisom) en mission de maintien de la paix. Or
jusquà maintenant, lAmisom (3 400 hommes)
sest contentée de se protéger elle-même. Et
surtout, personne ne voit, dans la situation actuelle, quelle forme de
paix elle pourrait bien maintenir. Il ne sagira donc que
dune autre forme de poursuite de la guerre entretenue par les
pirates occidentaux.