Antimilitarisme: faut-il supprimer l’obligation de servir?
Antimilitarisme: faut-il supprimer lobligation de servir?
Lors de sa dernière
assemblée générale, le Groupe pour une Suisse sans
armée (GSsA) a décidé, très
majoritairement, le lancement dune initiative supprimant
lobligation de servir dans le pays (voir encart).
solidaritéS donne ici la parole à deux de ses membres,
aux points de vue opposés, et se prononcera prochainement sur le
fond.
Pour labolition du service militaire !
La discussion au sein du GSsA sur le lancement dune initiative
pour supprimer le service militaire obligatoire a été
déclenchée par la réaction de la droite
pro-armée à la multiplication par trois du nombre des
demandes dadmission au service civil. Elles ont progressé
de 2 000 à 7 000 par an depuis quil
ny a plus besoin de passer devant une commission dexamen,
et cela, malgré le caractère pénalisant de la
durée du service civil, une fois et demie plus longue que le
service militaire.
Face à la majorité bourgeoise du
parlement, qui entend rétrécir à nouveau
laccès au service civil, le GSsA sest
demandé sil fallait sinvestir dans la
défense dun statu quo insatisfaisant ou si le moment
nétait pas venu de se défaire de
lobligation de servir, qui constitue le fondement
matériel et idéologique de larmée de masse
dont dispose aujourdhui encore la Suisse.
Des raisons de principe
Des raisons de principe plaident pour la suppression du service militaire obligatoire.
Dabord et fondamentalement, il sagit de refuser à
lEtat le droit dobliger tous ses citoyens (mâles)
à apprendre à tuer et, le cas échéant
à tuer ou à se faire tuer pour lui.
En 1926, après les effroyables boucheries de
masse de la Première Guerre mondiale, Georges Duhamel, Albert
Einstein, Gandhi, Romain Rolland, Bertrand Russell, Miguel de Unanumo
et H. G. Wells demandaient « […] la
démilitarisation de lesprit des nations
civilisées. La mesure la plus effective pour cela serait
labolition universelle de la conscription. […] À
travers la conscription, lesprit militaire
dagressivité est implanté dans lensemble de
la population mâle à son âge le plus
impressionnable. En sentraînant pour la guerre, les jeunes
en viennent à se dire que la guerre est inévitable et
même désirable. » En 1930, Sigmund Freud,
Thomas Mann, Victor Margueritte, Stefan Zweig et bien dautres
sajoutent aux signataires précédents pour
déclarer que « le temps est venu où
quiconque veut réellement la paix doit exiger labolition
de la préparation militaire et dénier aux gouvernements
le droit dimposer la conscription. […] Que tous les peuples de
tous les pays réclament labolition de la
préparation militaire! Labolition du service
militaire ! »
Le service militaire obligatoire masculin est aussi
un élément constitutif de la position dominante des
hommes dans la société. En 1938, le colonel dEtat
major Gustav Däniker défendait ainsi « le soldat
total » : « Être soldat
cest être Homme à la puissance maximale ;
léducation au soldat, cest
léducation à lHomme ».
Une obligation très partielle
Lobligation de servir en Suisse est devenue très
partielle et sélective. Seuls 40 % des jeunes suisses
accomplissent la totalité de leur service militaire. Les femmes
ny sont pas astreintes, de même que les immigrés.
Les jeunes des milieux urbains et mieux formés échappent
en majorité au service militaire, soit à laide
dun certificat médical ou dune demande
daccomplir un service civil.
La composition sociale de larmée
réduit considérablement largument selon lequel
larmée de conscription constituerait un instrument de
répression sociale moins dangereux quune armée de
volontaires.
Les exemples darmées de conscription
parfaitement utilisables par les États comme instrument de
répression sociale ou de conquête coloniale ou
impériale ne manquent pas. Cest sous Hitler que
lAllemagne a réintroduit la conscription en 1935 ;
lItalie et le Japon ont mené leurs conquêtes
coloniales avec des armées de conscription. Les conscrits de
larmée suisse ont mâté la grève
générale de 1918 et noyé dans le sang la
manifestation antifasciste du 9 novembre 1932 à Genève.
Et les armées de conscription nont pas
empêché les militaires dinstaurer des dictatures en
Grèce, au Chili et en Argentine. Les armées de
conscription ont plus de coups dÉtat à leur actif
que les armées de métier. Michel Auvray (1998 :
270), montre que pour la période 19451986, sur un total
de 259 coups dÉtat dans le monde, les armées de
conscription étaient responsables de 170 dentre eux.
On voit que larmée de conscription
offre des garanties bien trop faibles de
« démocraticité » ou de
« moindre efficacité » comme
instrument de répression sociale pour quon sy
accroche. Les armées de conscription forment sans trop de
problèmes des unités spécialement formées
pour la répression à lintérieur. Et les
armées de conscription ne constituent pas un obstacle majeur
à la participation dans les guerres néo-coloniales
daujourdhui. Le service militaire obligatoire en
Allemagne nempêche pas la Bundeswehr de combattre en
Afghanistan. Et aucun pacifiste aux Etats-Unis ne demande la
réintroduction de la conscription obligatoire comme au vieux bon
temps de la guerre du Vietnam…
La fausseté des mythes qui entourent le
service militaire obligatoire comme lexpression de
démocratie et dégalité, de ciment de la
nation ou pour la formation de lidentité masculine
mérite quon sy attaque.
Une initiative pour supprimer lobligation de
servir a aujourdhui énormément plus de chances
douvrir un vrai débat sur les priorités pour la
sécurité (sociale, environnementale…) des
habitant·e·s de la Suisse et de la planète
quune troisième initiative pour la suppression de
larmée.
Tobia Schnebli
Intertitres de la rédaction
Les citations sont tirées de louvrage de Michel Auvray
« LÂge des casernes histoire
et mythes du service militaire »,
Ed. de lAube, 1998.