Mesures d’accompagnement: un vrai panier percé

Mesures d’accompagnement: un vrai panier percé

De son bref et lointain passage
à l’extrême gauche, Serge Gaillard, le patron de la
Direction du travail du Seco, a peut-être conservé le
goût de l’antithèse. Il a en tout cas
développé celui du paradoxe, qui lui permet presque
d’affirmer que l’augmentation des infractions aux mesures
d’accompagnement est une bonne chose, témoignant de
l’efficacité des contrôles !

Le rapport FlaM (français fédéral : FlaM
abrège ici Flankierende Massnahmen, soit mesures
d’accompagnement) du 3 mai 2011 concernant 2010 est d’une
lecture difficile pour le novice. Un irritant ton
d’autosatisfaction irrigue ces 66 pages, là où on
attendrait plutôt une autocritique. Pour le reste, le dispositif
des mesures de contrôle tient plus de l’usine à gaz
que d’une législation clairement et simplement applicable.
Les bases statistiques ne sont pas les mêmes d’une
année à l’autre, rendant les comparaisons
hasardeuses ; les données sont quelquefois manquantes. Les voies
de droit ne sont pas les mêmes selon la nationalité de
l’entreprise, donc les régimes de sanction non plus, les
failles sont apparentes. Les explications données sont ici
où là d’une éblouissante obscurité.
Ainsi, cette note de bas de page du tableau 5.5.2 :
« Toutefois, au cours des années précédentes
déjà, ce n’est pas le total du nombre des
contrôles effectués qui était retenu pour le calcul
du taux des cas de sous-enchère salariale, mais la somme des
contrôles effectués, qu’ils aient
débouché ou non sur des constats de
sous-enchère. »

Oui, la sous-enchère augmente clairement

Malgré ses arguties sur le renforcement des contrôles et
la banalisation des infractions, le Seco est bien obligé de le
constater : « De manière générale,
l’année 2010 a ainsi connu une augmentation des taux
d’infractions et de sous-enchère ». Mais la
suite ne tient pas la route : « probablement avant
tout imputable aux progrès réalisés par les
commissions paritaires en matière
d’exécution. » L’évolution des
infractions et des sous-enchères salariales est en effet
largement supérieure à celle des contrôles, que ce
soit des personnes détachées ou des entreprises suisses.
Le « probablement avant tout » est une
supposition en forme d’écran de fumée. Autre
explication bricolée par le Seco pour ne pas admettre la
dégradation des conditions d’embauche sur le marché
du travail : les Commissions paritaires (CP) instaurées
par les conventions collectives de travail (CCT)
déclarées de force obligatoire travaillent trop
bien ! D’abord, elles œuvrent souvent sur
soupçon et donc trouvent plus facilement des infractions. La
statistique démontre que l’hypothèse est
fallacieuse. Mis à part quelques exceptions mineures (les
métiers du jardinage ou du carrelage à Bâle-Ville
et Bâle-Campagne), le taux de contrôle sur la base de
soupçons ne provoque pas les plus grandes découvertes
d’infractions. Exemples : secteur principal de la
construction en Suisse : taux de contrôle à partir de
soupçons : 23 %; taux d’infractions :
34 %. CCT d’aménagement de plafond
d’intérieur : contrôle à partir de
soupçons : 100 %. Taux d’infraction :
18 %. En revanche : installations électriques et
installations des télécommunications : taux de
soupçons : 0 %; taux d’infractions :
42 %. Construction des voies ferrées :
soupçons : 0 %; infractions 43 %. On
pourrait allonger la liste, le fait est qu’il n’y a pas de
relation constante et univoque entre les soupçons et les
résultats des contrôles.

Le danger : les salaires minimaux !

Autre souci pour le Seco : les CCT contenant un salaire minimum
font qu’il y a un critère précis pour
définir l’infraction. Alors que les contrôles
effectués par les Commissions tripartites (CT) cantonales sont
plus dans le flou, recourant à la notion de salaire usuel dans
la branche et la localité. Du coup :
« Même les plus petits écarts par rapport aux
dispositions fixées par les CCT déclarées de force
obligatoire sont réprimés comme des infractions. En
revanche, dans les secteurs surveillés par les CT, une certaine
marge de manœuvre est admise, les salaires usuels étant
définis en général en fonction de la classe
inférieure de l’échelle des
salaires ». Elle est pas belle, l’arnaque ?

    Ces remarques sur le rôle joué par les
instruments conventionnels et les salaires minimums ne peuvent que
renforcer tout syndicaliste dans la conviction qu’il s’agit
maintenant de les généraliser et de se battre
quotidiennement pour leur application. Les CT sont bien trop coulantes
pour représenter une solution de rechange efficace. Du reste,
même les conventions collectives ne sont pas une arme absolue.
Partisan résolu du partenariat social et de la politique
conventionnelle, le coprésident d’Unia, Renzo Ambrosetti,
explique comment cela fonctionne : « Dans la
pratique, même les CCT prévoyant des salaires minimaux
sont régulièrement contournées […]. Ces
incidents montrent que les entrepreneurs généraux
responsables de tels chantiers confient sans le moindre contrôle
des travaux à des sous-traitants, qui les
délèguent à leur tour à des sous-traitants
de deuxième rang employant du personnel recruté en Europe
centrale ou orientale pour des salaires inférieurs aux
dispositions conventionnelles. » (Conférence de presse du
11.2010.) Cerise sur le gâteau, il n’est pas prévu
de for juridique pour les entreprises de détachement des
travailleurs dont siège est à l’étranger. La
Chambre de commerce de Constance a sauté dans la faille :
les amendes infligées sont « des sanctions de droit
civil étrangères au droit allemand », donc
pas besoin de les payer. Heureusement que le Seco veille et que les
contrôles se renforcent.

Daniel Süri