« Alliance Sud » ouvre la voie au blanchiment de Nestlé en Colombie
« Alliance Sud » ouvre la voie au blanchiment de Nestlé en Colombie
Fruit dun dialogue avec
« Nestlé » et de deux missions
denquêtes menées sur les activités de la
multinationale en Colombie, lONG suisse « Alliance
Sud » vient de sortir un rapport qui porte sur la
période 2006-2011. Sur le conflit larvé qui oppose
« Nestlé » au syndicat
« Sinaltrainal », le rapport donne
limpression dune certaine objectivité. Mais les
origines de ce projet, son organisation, ainsi que sa
présentation savèrent être
défavorables, voire nuisibles pour le syndicat et pour la
population civile concernée. Le rapport ouvre ainsi la voie au
blanchiment public des activités controversées de
« Nestlé » en Colombie.
Aux origines de lenquête : Multiwatch
En 2005, la coalition dONG Multiwatch organise à Berne
une audience publique sur les activités de Nestlé en
Colombie. Il sagit alors de dénoncer les pratiques de
violation des droits sociaux perpétrées par Nestlé
dans ce pays. La multinationale est invitée à participer
mais elle sy refuse. Elle tente, par contre, par divers moyens,
dentraver la mise en place de cet évènement.
Toutefois, lécho de cette conférence dans les
médias est important. Suite à ces rencontres, un contact
bilatéral est engagé entre Nestlé et Alliance Sud
qui fait dailleurs partie de Multiwatch. Objectif: se mettre
daccord sur louverture dun dialogue concernant les
activités de la multinationale en Colombie, mais sous le sceau
de la confidentialité. Alors que les activités de
Multiwatch se fondaient sur une plateforme publique, ouverte,
démocratique et transparente, le
« dialogue » bilatéral entamé
entre Nestlé et Alliance Sud sest déroulé
à huis-clos. Cette proximité a eu pour conséquence
que la publication du rapport de lONG a dû obtenir
laval de Nestlé. La question qui se pose ici est de
savoir quel est le meilleur moyen de venir à bout dun
conflit qui oppose un syndicat à une énorme
multinationale dans un pays ravagé par la violence et par une
démocratie fragile.
En 2005, alors que, dun côté,
Nestlé dialoguait avec Alliance Sud, de lautre, elle
mandatait Securitas pour placer des taupes au sein dAttac Vaud.
Ces dernières avaient pour mission despionner un groupe
de militant·e·s qui écrivaient un livre critique
sur Nestlé. En 2008, la TSR révèle ce scandale et
en 2009 paraît le livre dAlec Feuz « Affaire
classée », enquêtant sur la manière
dont a été instruite la plainte pénale
déposée par Attac. Sur cette affaire, le silence
dAlliance Sud est absolu. Lauteur du rapport, Michel
Egger, le justifie par le fait que lONG se trouvait, au
moment des révélations, dans une phase délicate de
négociation avec Nestlé. Bien que la plainte civile sur
lespionnage soit toujours pendante, Alliance Sud na
toujours pas pris position.
«Un rapport de force très inégal»
Si Alliance Sud reconnaît que « la
constellation des relations [
] entre Sinaltrainal et
Nestlé est certes le reflet dun rapport de forces
(politique et économique) très inégal »,
il nous faut ajouter que la publication de son rapport contribue
à renforcer ce genre dinégalité. Elle le
fait, premièrement, en masquant les autres méthodes de
travail (comme celles de Multiwatch) ou, encore, en faisant fi de
laffaire despionnage qui se déroule, sous ses
yeux, en Suisse même. Deuxièmement, elle le fait en
présentant ses résultats dune façon qui
laisse croire que Nestlé était prête à des
changements tandis que Sinaltrainal, principale organisation syndicale
du secteur agroalimentaire en Colombie, sobstinait de
manière injustifiée.
Or, le combat du syndicat Sinaltrainal visait en
particulier à conquérir des droits qui devraient
être ancrés structurellement, par exemple dans des
contrats collectifs. Mais Nestlé sest toujours
refusé à mettre en uvre les recommandations
dAlliance Sud qui, selon la multinationale helvétique,
relevaient des négociations collectives. On peut observer que
Nestlé préfère se restreindre à une gestion
prétendument bienveillante, par exemple en mettant
ponctuellement un frein à laccroissement des travailleurs
temporaires. Mais pour combien de temps? De telles
réformes cosmétiques sont pourtant des changements
loués par le rapport dAlliance Sud et repris par certains
journaux de manière totalement dépourvue desprit
critique.
Il semble que tout dialogue entre Nestlé, les
syndicats et la société civile ne soit possible que dans
la mesure où cest la multinationale qui donne le ton. En
effet, cest elle qui fixe les conditions cadre du dialogue et,
ainsi, guide le tout dans une dynamique de top down (den haut en
bas). Alliance Sud, qui plaide pour « une approche
davantage bottom up » (den bas en haut) sest
pourtant laissée approcher par Nestlé, pour ensuite
accepter la voie du dialogue bilatéral et celle du huis-clos;
elle a de plus conditionné la publication de son rapport au
consentement de Nestlé.
«Des accidents et des problèmes ponctuels» ?
Selon la critique de Sinaltrainal, Nestlé commercialisait des
produits contaminés ou périmés et pratiquait le
rempaquetage fautif tout comme létiquetage trompeur.
Monsieur Egger résume : « Etant
donné les standards élevés
développés par Nestlé en matière de
sécurité sanitaire et de contrôle de
qualité, il est difficile cependant de conclure à une
politique délibérée visant à
accroître ses profits sur le dos de la sécurité et
de la santé du consommateur. Ces irrégularités
semblent avant tout constituer des accidents et problèmes
ponctuels. » (p.7). De tels
« accidents » et
« problèmes ponctuels » ne sont-ils
pas inhérents à un système, dont Nestlé est
la digne représentante, qui place le profit à la pointe
de ses priorités ? Parmi les recommandations
énoncées par Alliance Sud, Nestlé a refusé
« celles susceptibles daffecter sa compétitivité »
(p.15). Or cest précisément cette
compétitivité qui conduit à de telles
« irrégularités ».
Alliance Sud constate pendant sa 2e mission en 2010
que Nestlé a mis en uvre à peu près la
moitié des recommandations de lONG avancées
après la 1ère mission de 2008. Ces améliorations
sont louées par certains médias. Néanmoins, Egger
conclut le rapport par une interrogation majeure. Il mentionne que le
nouveau président de Nestlé Colombie sest
fixé le but de « rendre Nestlé plus compétitive et [
] doubler son volume daffaires ». Egger sinterroge donc: « Comment
Nestlé entend-elle conjuguer cet ambitieux objectif
économique avec la volonté de sengager davantage
pour le développement communautaire, la réduction de la
pauvreté et l « empowerment »
des populations qui constituent la clé de la création de
la valeur partagée ? » (p.16). Cette
question, pertinente, montre la contradiction entre les
véritables ambitions dune multinationale comme
Nestlé et limage quelle veut donner
delle-même. Cette contradiction ne peut pas être
résolue, mais elle peut passer inaperçue grâce
à des rapports comme celui-ci, qui font miroiter à ses
lecteurs que des choses sont en train de changer et qui
réduisent à peau de chagrin un potentiel critique
précieux. Le fait que rien na changé au niveau
structurel dans la politique agressive de Nestlé sexprime
par « la discorde de fond » qui demeure la
même entre la multinationale et les syndicats, comme le rapport
le souligne dailleurs dans son introduction (p.1). Et cela
nest pas propre au cas de la Colombie, mais est
avéré dans la plupart des situations de conflit dans
lesquelles, ailleurs dans le monde, Nestlé est impliquée
contre les syndicats.
Béatrice Schmid
Rapport dAlliance Sud disponible sur: www.alliancesud.ch