Les pièges du temps partiel
Une des formes les plus répandues de la flexibilité est le travail à temps partiel. Dans l’Union européenne, on compte trois fois plus de femmes que d’hommes avec un emploi à temps partiel. C’est devenu la norme d’emploi pour les femmes dans certains pays d’Europe du Nord : 80 % des femmes aux Pays-Bas, plus de la moitié au Royaume-Uni, entre 40 et 50 % en Allemagne, en Suède et en Belgique.
Même dans les pays où il passe sous la barre de 20 % de l’emploi féminin, l’écart entre hommes et femmes est considérable. En Finlande, on compte 18 % des femmes avec un travail à temps partiel contre 9 % des hommes et en Grèce, 10 % des femmes travaillent à temps partiel contre 3 % des hommes. |
Pour les femmes, le temps partiel ne libère pas de temps pour le développement personnel en dehors de la sphère du travail domestique. Le temps total du travail domestique et du travail rémunéré à temps partiel pour les femmes correspond au temps total pour les hommes qui ont un emploi à temps plein. Au contraire, pour les hommes, travailler à temps partiel n’implique qu’une augmentation modeste du travail domestique. Leur temps se libère pour des projets de vie personnelle différenciés (études, activités artistiques, sport, etc.) et qui se concentrent sur une partie de la vie (surtout parmi les plus jeunes ou en fin de carrière). La situation familiale (nombre d’enfants en jeune âge) n’a qu’une influence limitée sur le temps partiel masculin. C’est pourquoi la distinction entre temps partiel choisi et temps partiel contraint est assez simpliste. Elle néglige le fait que, pour un certain nombre de professions, le choix est tout simplement inexistant parce que les offres d’emploi se limitent au temps partiel. Elle suppose un choix individuel sans tenir compte des rapports sociaux qui le déterminent. Comme l’observent les économistes espagnoles Carrasco et Mayordomo, « les décisions des femmes par rapport à l’organisation de leur temps de travail (tant sur le marché que pour le travail domestique) prennent généralement en compte le bien-être des autres membres du foyer comme conséquence de leur « disponibilité » du fait de devoir répondre aux besoins des autres. Les possibilités d’emploi pour les femmes sont dès lors restreintes par les différentes forces sociales qui dessinent leurs limites : la tradition patriarcale, l’environnement familial (nombre de personnes dépendantes à la maison, statut financier, réseaux possibles d’aide qu’elles peuvent créer ou auxquels elles peuvent participer), fourniture de services publics de soins aux personnes ainsi que les règles et les caractéristiques du marché du travail ». (1) […]
Le temps partiel implique souvent des niveaux de revenu trop bas pour permettre une pleine autonomie des personnes. Il y a un cercle vicieux qui tend à enfermer les femmes dans la dépendance de la famille tout en leur imposant une charge de travail domestique majeure. Cette situation réduit également les revenus de remplacement découlant de la sécurité sociale. Les allocations liées à la maladie ou à l’invalidité sont moindres, les allocations de chômage sont refusées ou réduites à des niveaux incompatibles avec une vie indépendante, la pénalisation en matière de pensions est extrême en raison de la conjonction fréquente entre des périodes d’emploi à temps partiel et des interruptions de carrière.
« HesaMag » no 5, 1er semestre 2012
1 Carrasco C. et Mayordomo M. (2005) Beyond Employment: Working time, living time, Time and Society, n° 14, p. 23
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