Migrations: la norme pénale, instrument utile contre le racisme?

Migrations: la norme pénale, instrument utile contre le racisme?

Le tout récent procès pénal du garagiste de Bex et
candidat UDC au Grand Conseil, poursuivi pour discrimination raciale,
pose une fois encore la question de l’utilité de la norme
pénale, l’article 261bis
du Code pénal (CP), pour combattre le racisme. Rappelons que ce
notable, élu communal radical passé à l’UDC,
a reconnu avoir fait, le 10 mai 2005, une dizaine d’inscriptions
la peinture blanche sur les murs de Bex, des inscriptions comme
«Nègres go home, non à la drogue, stop
FAREAS».

Offensive xénophobe contre l’article 261bis CP

Le 16 novembre 2006, l’UDC a revendiqué l’abrogation
de l’article 261bis CP, la dissolution de la Commission
fédérale contre le racisme et le retrait de la
ratification par la Suisse de la Convention internationale de
l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale du 21 décembre 1965, entrée en
vigueur en Suisse le 29 décembre 2004. En bref, le parti de
Christoph Blocher exige le démantèlement du dispositif
légal très limité en vigueur de lutte contre le
racisme. Cette exigence est partie prenante de la véritable
Blitzkrieg qui se développe depuis l’acceptation, le 24
septembre 2006, des lois contre les étrangers et l’asile
(LEtr et LAsi), avec à sa tête, le Chef du
Département fédéral de justice et police.
L’UDC demande donc l’abolition de la norme pénale au
nomde la liberté d’opinion. Son secrétaire
général,GregorA. Rutz, indique qu’ «avant la
votation, les partisans du projet (favorables à
l’introduction dans le Code pénal de l’art. 261bis,
réd.) ne cessaient de répéter que «ni
la Convention contre le racisme, ni la loi correspondante n’ont
lemoindre rapport avec la politique d’asile ou la politiquedes
étrangers». Or, c’est précisément
à ce niveau que se sont multipliés les plaintes
pénales abusives àmotivation purement politique»
.

Cette dissociation entre, d’une part, la lutte contre le racisme
et les discriminations et, d’autre part, la question des
immigré-e-s et des réfugié-e-s étaient en
effet majoritaire parmi les partisans de l’article 261bisCP lors
de la votation populaire du 25 septembre 2004. L’impasse faite
ainsi sur le lien pourtant étroit entre ces deux questions a
contribué à réduire l’action légale
contre le racisme à la seule adoption de l’art. 261bis CP.
Et ce n’est pas un hasard si, le jour même où les
Chambres fédérales approuvaient cette disposition
pénale, elles formulaient, en même temps, lors de la
ratification de la Convention de l’ONU, une réserve
à son article 2, 1er alinéa, lettre a, réserve
ainsi formulée: « la Suisse se réserve
d’appliquer ses dispositions légales relatives à
l’admission des étrangères et des étrangers
sur le marché du travail». De plus la portée de
l’art 261bis CP a été limitée, dès
lors qu’il n’englobe pas la discrimination fondée
exclusivement  sur l’appartenance nationale ou les
catégories juridiques «étrangers» ou
«requérants d’asile», et ce, contrairement
à la définition donnée par la Convention, à
son article premier, de la discrimination raciale. Et enfin, les
associations antiracistes ou représentant les victimes
n’ont pas été reconnues par le législateur
comme partie civile de plein droit, dans le cadre des procédures
ouvertes sur la base de cette disposition.

Les effets pervers de la norme pénale

L’introduction dans le Code pénal de l’article
261bis a eu tout d’abord pour effet de réduire
l’action légale contre le racisme aux seuls délits
poursuivis dans cette disposition. Le bien juridiquement
protégé par cette disposition est la dignité
humaine. L’article 261bis CP ne considère que l’acte
public. Le refus d’une prestation à une personne ou
à un groupe de personnes, en raison de leur appartenance
raciale, ethnique ou religieuse, concerne toutes les offres de biens ou
de services destinées au public, par exemple dans la
restauration, l’hôtellerie, les cinémas, les
discothèques, les transports, l’éducation. En ce
qui concerne les discriminations à l’embauche, dans le
cadre de rapports de travail ou dans la conclusion d’un contrat
de bail, l’application de la norme pénale est
problématique.

Mais surtout, le fait de limiter, en Suisse, la législation
antiraciste à la répression pénale conduit
à surestimer celle-ci, confortant la campagne menée
contre de prétendues atteintes à la liberté
d’expression. Ce d’autant qu’en réalité
l’efficacité, en terme d’application, de la
disposition pénale est très modeste. La majorité
des dénonciations qui sont faites sur cette base ne sont pas
sanctionnées et les plaignant-e-s peuvent même être
accusés de calomnie ou de diffamation. La propagande
mensongère de l’UDC trouve de ce fait un terrain fertile:
ce parti xénophobe fait appel à la
«responsabilité individuelle et à la
maturité des citoyens contre un flot de réglementation
», soit contre une norme pénale qui serait «un corps
étranger dans le droit suisse», toujours selon son
secrétaire général… Combattre à la
fois le racisme et la politique migratoire Pour sortir de cette impasse
et mener une action de fond contre le racisme, il est indispensable de
mettre en cause le droit des étrangers et la politique
migratoire de la Suisse, fondamentalement discriminatoires, dont la
mise en oeuvre constitue le terreau idéal pour tous les
préjugés. Rendre quasi impossible le séjour
légal de ressortissant-e-s d’Etat non membre de
l’Union européenne signifie en effet une forme de
reconnaissance officielle de la supériorité de
«l’homme blanc», qui serait seul à
mériter le droit de vivre et travailler dans ce pays! De ce
point de vue le garagiste de Bex n’est qu’un lampiste, dont
les insultes, totalement inacceptables à l’égard
des Noirs, ne sont que le prolongement de la politique menée par
les autorités, la mise en scène d’une
délinquance ethnique orchestrée par le conseiller
fédéral Blocher ou le conseiller d’Etat
vaudoisMermoud. Ce n’est pas essentiellement devant les tribunaux
qu’il est nécessaire de s’y confronter, mais dans la
société, pour reconstituer les solidarités
indispensables pour vivre ensemble, en reconnaissant dans les faits
l’égalité des droits pour toutes et tous, quelle
que soit la couleur de sa peau ou de son passeport.

Jean-Michel Dolivo

Karl Grünberg