Pauvreté, précarité, inégalité, exclusion:les femmes en première ligne
Pauvreté, précarité, inégalité, exclusion:
les femmes en première ligne
Au-delà des questions
dégalité formelle et institutionnelle, les femmes
sont en première ligne des processus dappauvrissement et
de précarisation sociale. A loccasion du 8 mars, nous
publions ici un entretien avec notre camarade Jocelyne Haller. Ancienne
députée, mais surtout assistante sociale de terrain, elle
dénonce
On voit à Genève comme ailleurs une
précarisation générale des plus
défavorisés. Quelle est la place des femmes dans
celle-ci?
Les femmes représentent maintenant plus du 50% des personnes qui
bénéficient de lassistance sociale à
Genève. Plusieurs facteurs lexpliquent. Dabord,
les séparations ou divorces sont souvent un motif de
précarisation, quel que soit le statut social initial et le sexe
des personnes concerné-e-s. Toutefois, les femmes sont plus
vulnérables en la matière, en raison notamment des
inégalités persistantes en matière de salaire et
de promotion, des interruptions de carrière pour se consacrer
à la mise au monde et à léducation des
enfants, et de leur confinement dans des métiers peu
qualifiés. En général, les familles monoparentales
ou recomposées sont les plus fragiles. Elles
représentent, selon les statistiques genevoises près de
19% du nombre de personnes aidées alors que le recensement de
lan 2000 situe à 7% ces ménages dans la
population. Ça ne risque dailleurs pas de
sarranger. En 2006, le Grand conseil a modifié la loi sur
le Service davance et de recouvrement des pensions alimentaires
(SCARPA) en limitant la durée de ces avances. Ceci
générera, après 3 ou 4 ans, la
paupérisation des familles monoparentales ou recomposées,
qui subiront des diminutions drastiques de revenus.
Quelles sont les autres catégories les plus affectées par ce phénomène de précarisation?
Les jeunes en sont souvent victimes. Leur proportion dans les
statistiques de lassistance au cours des 10 dernières
années a augmenté de 40%! 19% des dossiers que traite
lHospice général concernent désormais les
18-25 ans. Plusieurs éléments lexpliquent: le
nombre de jeunes en «rupture scolaire» croît chaque
année. Il existe peu dinstruments daccompagnement
ou de repêchage. Lécole nest pas
armée pour affronter des difficultés qui demanderaient
une approche intégrée des problématiques
quils-elles présentent. Finalement, elle exclut ceux
dentre eux qui, pour une raison ou lautre,
narrivent pas à se conformer à ses exigences. Les
tensions familiales, sociales, que ces jeunes rencontrent hors de
lécole, principalement la précarisation ou la
vulnérabilité de leurs parents, pèsent sur leurs
rapports à celle-ci. Ceci signifie que la lutte contre
léchec scolaire se situe en amont et à la
périphérie de lécole, et surtout dans la
lutte contre les inégalités et la pauvreté.
Cet accroissement de certaines populations à laide
sociale trahit-elle une banalisation du recours à laide
sociale?
On constate une tendance à faire de laide sociale la
norme déterminant le seuil de pauvreté,
considérant que cette ligne de démarcation
différencierait celles-ceux qui ont besoin dune aide de
lEtat ou qui peuvent sen passer. Or la
réalité est intraitable, ceux-celles dont les revenus se
trouvent au dessus des montants limites de lassistance ne
peuvent pas se passer dune aide. Auparavant, pour celles-ceux
qui se trouvaient dans cette «zone frontière»,
diverses allocations catégorielles intervenaient pour leur
permettre de subvenir à leurs besoins sociaux. Or on vit un
changement de paradigme, comme si la satisfaction des seuls besoins
vitaux devenait la norme et non plus celle des besoins vitaux/sociaux
comme jusquici. Ainsi, on repousse vers le «bas» des
gens qui, par le passé, auraient bénéficié
de mécanismes de régulation sociale: avances sur pension
alimentaire, subsides à lassurance maladie, prestations
de lassurance chômage ou invalidité… La
stratégie des «caisses vides» du gouvernement et du
parlement prive les instances et assurances sociales de moyens. Or,
lHospice général na pas vocation
dêtre une instance de régulation sociale. Il a
été établi pour venir en aide aux personnes
momentanément dans lincapacité de subvenir
à leurs besoins vitaux. En les privant de leurs droits, ou en
les diminuant en continu, les partisans du «moins
dEtat» renvoient sans scrupules à laide
sociale toujours plus de gens.
Ces formes de précarité engendrent-elles de nouvelles formes de souffrance psychique?
Cest sûr! Il faut relever que ces prestations, même
si elles se fondent sur des droits et quelles ne relèvent
plus théoriquement de la charité, ont une connotation
culpabilisante ou disqualifiante. Cela entretient chez la plupart des
personnes aidées ce sentiment quelles ne peuvent se
défendre ou revendiquer de meilleures formes daide.
Dautre part, la relégation à laide sociale
entérine et alimente lexclusion, dès que
lon y oriente des personnes exclues durablement de leurs droits
sans leur offrir dalternatives. Faute despoir, de
vecteurs de protestation et de revendication, la souffrance,
quelle soit physique ou psychique, reste un dernier mode
dexpression. Les femmes, souvent plus isolées socialement
ou premières renvoyées à la maison, en sont les
premières victimes. La mise en rapport de la
précarisation matérielle avec les modes
dexpression de la souffrance psychique, par essence divers et
complexes, est toujours difficile, mais reste cruellement perceptible
Comment les victimes de cette précarisation vivent-elles
leur situation? De quelle manière, en particulier, les femmes y
font-elles face?
Dans cette société, la tendance est à
lindividualisation, et à la mise en concurrence
croissante des personnes. Cest le résultat de vingt ans
de politiques néolibérales, visant à faire
exploser les solidarités pour exploiter des individus
livrés à eux-mêmes. Ainsi, les gens tendent de plus
en plus à vivre leur détresse sociale isolément,
sans lappui dassociations ou de collectifs. Il y a encore
vingt ans, la précarisation à laquelle on assiste aurait
peut-être conduit à lémergence de nouvelles
formes dorganisations «par le bas». Par exemple, on
aurait pu imaginer que les difficultés croissantes que
rencontrent les femmes suscitent lapparition de crèches
autogérées, leur permettant de trouver du soutien dans
leur quotidien et davoir un peu de temps à consacrer
à leur réinsertion. Mais ce nest malheureusement
pas le cas aujourdhui. La gauche doit contrer cette
individualisation et favoriser lapparition de nouvelles
solidarités…