Exploitation et morbidité:la classe ouvrière à la casse
Exploitation et morbidité:
la classe ouvrière à la casse
Il y a quelques jours, le 28 avril
dernier, nous commémorions la Journée mondiale de la
sécurité et de la santé au travail. Des
organisations de la classe ouvrière rendaient hommage aux
millions de travailleurs-euses blessés, malades ou tués
pour un salaire. Une occasion de rappeler le calvaire que vivent un
nombre croissant de salarié-e-s en Suisse et dans le monde.
Faute de réussir à juguler la pandémie des
maladies professionnelles, les organisations ouvrières
multiplient leurs enquêtes et recommandations. UNIA vient de
publier la sienne sur létat de santé des
travailleurs-euses du bâtiment en Suisse1. Elle reprend ainsi celle de militant-e-s vaudois, datant de 1999, qui portait sur 258 travailleurs2,
et quUNIA omet de mentionner, bien quelle lui ait servi
de référence. Cette étude démontrait que
«65% des interrogés subissaient stress, angoisse, fatigue
anormale ou maux de tête», que «70% souffraient du
travail sous la pluie, poussière, bruit ou
vibrations
» et que «50% souhaitaient une
amélioration de la formation [
] ou une meilleure
organisation du travail». Conclusions dramatiques que lon
retrouve, mot pour mot, huit ans plus tard
mais en pire.
Lenquête dUNIA
Un an après, cest lenquête genevoise de lOCIRT3,
qui révélait, entre autres tragédies,
quà Genève, 40% des travailleurs du bâtiment
devenaient invalides, et que 21% mouraient avant lâge de
la retraite, chiffres qui, à len croire, ont
incité UNIA à lancer son enquête officielle.
Après avoir questionné 1466 ouvriers du bâtiment,
UNIA constate, comme on le savait, que «les atteintes à la
santé constituent un problème nettement plus grave que
les risques daccidents»; elle relève aussi
«la forte corrélation entre le stress et la
précarisation de lemploi»4.
Les leçons quelle en tire laissent cependant perplexe,
puisquUNIA préconise «une réglementation
raisonnable (sic) relative à lembauche de personnel
temporaire sur les chantiers» et part de
«lidée que les entrepreneurs sérieux (resic)
formant la majorité soutiendront ici
ladoption de mesures raisonnables (reresic)». Au vu des
résultats alarmants de son enquête, le fait quUNIA
espère trouver une majorité de patrons
«sérieux» ou «raisonnables»
relève de la croyance aux miracles, car enfin, qui dautre
que ces mêmes patrons ont rendu, sous pression des lois du
marché et de leur propre cupidité, le travail
pathogène et mortifère?
Implorer leur clémence revient à renoncer au seul moyen
de protéger la vie des travailleurs par le boycott de tout
travail qui vexe, stresse ou blesse. Cette action collective peut
prendre la forme darrêts de travail pour en évaluer
les risques, pour soutenir un collègue en difficulté ou,
comme cela était jadis acquis, pour rendre visite à
lun des leurs, hospitalisé, ou participer à
lenterrement dune victime. Comme nous le disions dans
notre enquête de 1999: «Il sagit, très
concrètement, dexiger que le temps nécessaire
à poser et résoudre collectivement les problèmes
lancinants ou imprévus de sécurité, de
prévention et de protection de la santé soit reconnu
comme faisant partie intégrante du temps de travail»5.
Travailler peut donner le cancer
Ailleurs quen Suisse, les publications touchant à la
«santé au travail» se multiplient. Outre
louvrage incontournable dAnnie Thébaud-Mony:
«Travailler peut nuire gravement à votre
santé», dont il a été question dans la
précédente édition de solidaritéS,
mentionnons «Les cancers professionnels, une plaie sociale trop
souvent ignorée», qui vient dêtre
publié par léquipe de Laurent Vogel.6
Car laffaire est grave: il y a eu plus dun million de
décès dus au cancer au sein de lUE en 2006, dont
un pourcentage non chiffrable, mais non négligeable, a
été causé par lexposition des
travailleurs-euses à des cancerigènes sur les lieux de
travail, lamiante notamment. En effet, selon
lOrganisation mondiale de la Santé7,
200?000 personnes meurent annuellement dans le monde de cancers
liés à leur travail. Sur les 125 millions de
travailleurs-euses exposés professionnellement à
lamiante dans le monde, chaque année 90?000 en
meurent, la majorité dans les pays dits
développées
qui lont pourtant
abandonné.
LOrganisation internationale du travail8 quant
à elle dénombre 2 millions de morts causés
annuellement par le travail dans le monde, dont 1,7 million des suites
de maladies professionnelles, un chiffre qui ne cesse
daugmenter.
Ces sinistres bilans nous éclairent mais, faute de mobilisations
organisées par les organisations de travailleurs-euses,
premières concernées, contre les patrons, premiers
responsables, ils continueront à salourdir
et les
enquêtes ny pourront rien.
- Syndicat Unia, NoStress!, Hygiène / sécurité
au travail dans la construction: La parole aux ouvriers du
bâtiment, 20 mars 2007. Téléchargeable sur www.unia.ch/ - SIB et Raisons dagir sur le lieu de travail, Pietro
Carobbio et François Iselin, Enquête sur les conditions de
travail dans la construction, Canton de Vaud, printemps 1999, 90 pages. - Etienne Gubéran et Massimo Usel Mortalité
prématurée et invalidité selon la profession et la
classe sociale à Genève, OCIRT, mars 2000, 55 pages. - Conférence de presse dUNIA du 28 mars 2007.
- SIB et Raisons dagir sur le lieu de travail, op. cit. p. 42.
- Anne-Marie Mengeot, Les cancers professionnels, une plaie sociale
trop souvent ignorée, Santé et sécurité au
travail, 2007, 60 p. 10 . - OMS, «Elimination des maladies liées à lamiante», www.who.int/mediacentre
- OIT, Un travail pour construire sa vie, pas pour la détruire , 27 avril 2007.