Minarets: une initiative d’une (fausse) simplicité... biblique

Minarets: une initiative d’une (fausse) simplicité… biblique

Nous publions un article de
François Brütsch qui éclaire les enjeux du lancement
d’une initiative visant à interdire la construction des
minarets par un aéropage de personnalités
ultra-réactionnaires de ce pays, emmené par une trentaine
de parlementaires fédéraux UDC. SolidaritéS
appelle ses lectrices et lecteurs à combattre cette initiative
et à dénoncer la campagne nauséabonde, raciste et
liberticide qui l’accompagne. Nous y reviendrons. (jb)

Aujourd’hui 1er mai débute en Suisse la période
officielle de récolte des signatures pour une initiative
populaire qui doit faire rêver de Villiers ou Le Pen. Si 100000
électrices et électeurs donnent leur nom avant le 1er
novembre 2008, les autorités auront l’obligation de
soumettre au peuple1le texte suivant: «Initiative
populaire fédérale “contre la construction de
minarets”. La Constitution fédérale du 18 avril
1999 est modifiée comme suit: Art. 72, al. 3 (nouveau) 3: La
construction de minarets est interdite.»

On ne sait ce qu’il faut admirer le plus, l’économie
de moyens dans la rédaction, l’hypocrisie de la
proposition ou, peut-être, la manière finalement
apaisée dont les institutions de la démocratie directe
canalisent et ordonnent un débat passionnel qui fait
actuellement rage dans une bonne partie des pays occidentaux (au
Royaume-Uni, c’est le changement d’affectation d’une
église méthodiste en mosquée qui a fait jaser
récemment), et qui déborde évidemment la seule
question des lieux de culte pour poser celle de la compatibilité
avec les droits fondamentaux de la personne humaine des usages et
règles respectés ou prônés au nom de la
religion musulmane. Précisons, pour le contexte, que les deux
premiers alinéas de l’article 72 ont le texte suivant:
Art. 72 Eglise et Etat2. 1: La réglementation des rapports entre
l’Eglise et l’Etat est du ressort des cantons. 2: Dans les
limites de leurs compétences respectives, la
Confédération et les cantons peuvent prendre des mesures
propres à maintenir la paix entre les membres des diverses
communautés religieuses.

Ironie de l’histoire, si elle était adoptée,
l’initiative prendrait la relève dans
l’intolérance d’un alinéa 3 abrogé en
votation populaire le 10 juin 2001: la soumission de
l’érection d’évêchés à
l’autorisation de la Confédération. Alors avait
disparu le dernier de ce qu’il était convenu
d’appeler pudiquement les «articles confessionnels»;
les autres étaient l’interdiction de l’abatage des
animaux sans étourdissement préalable (visant
l’abatage rituel juif)3, la proscription de
l’ordre des jésuites et l’interdiction des couvents
(déjà une forme architecturale à fonction
religieuse).

Qu’est-ce qu’un minaret? Ce n’est pas une
mosquée (et par exemple, dans ce communiqué, on se rend
bien compte que ce n’est pas le minaret qui gêne…). La
Wikipédia, le résumé de
l’Encyclopédie Universalis et le Portail religion.com le
confirment avec un bel ensemble: c’est une tour utilisée
par un dignitaire religieux pour l’appel à la
prière. En d’autres termes c’est un accessoire,
certes symboliquement et visuellement important, mais ni
nécessaire ni suffisant de l’exercice de la religion
musulmane4. Et rien d’autre. Donc en théorie
pas du tout le débat sur l’intégration possible ou
non de l’islam dans un ordre libéral et
démocratique, alors qu’il était au départ
question, avec les articles confessionnels de formaliser la
reconnaissance du monopole de la force légitime par l’Etat
ou de l’égalité des filles et des garçons
dans l’éducation.

Au demeurant, cela suffit pour qu’une telle initiative, qui se
limite à désigner un bouc-émissaire en exutoire
à des peurs irraisonnées qui se mêlent à des
préoccupations légitimes, soit combattue parce que
contraire à cet ordre libéral et démocratique. On
peut simplement reprendre les arguments de la commission du Conseil
national et du gouvernement à l’appui de
l’abrogation  de la disposition sur les
évêchés: discriminatoire, contraire à la
liberté religieuse, contraire au droit international (la
Convention européenne des droits de l’homme qui consacre
cette liberté même si la Constitution
fédérale ne le faisait pas).

La contrariété au droit international dépasse la
seule controverse politique et pourrait même conduire le
parlement à invalider l’initiative, car l’article 5
alinéa 4 de la Constitution fédérale proclame le
principe de la supériorité du droit international5;
et même le peuple souverain est lié par cette règle
qu’il a approuvée. C’est moins satisfaisant
qu’un rejet de l’initiative en votation. Mais c’est
moins ambigu qu’une éventuelle acceptation suivie de
controverses sans fin sur l’application de la disposition6

Et comme tout ce qui précède est diablement
sérieux, signalons pour terminer que si la croix figurant sur le
drapeau suisse est pour certains un argument en faveur de cette
initiative, d’autres la mettent volontiers ailleurs
également! 

François Brutsch*

* Tiré du site Swissroll, avec l’autorisation de son auteur.


1 Sous réserve toutefois d’un contrôle de la
validité de l’objet, on y viendra tout à
l’heure.

2 Placé dans un chapitre relatif aux tâches des
autorités fédérales et cantonales. La
liberté religieuse, elle, trouve place dans le chapitre des
droits fondamentaux à l’article 15 (liberté de
conscience et de croyance).

3 Cette disposition résultait elle-même d’une
initiative populaire, la toute première, qui fut
approuvée par le peuple et les cantons le 20 août 1893.

4 Détail ironique dans la Wikipédia: «Il faut
savoir toutefois qu’il existe aujourd’hui certains
individus minoritaires qui condamnent l’existence des minarets
sous prétexte que cette innovation imite les clochers des
églises chrétiennes.»

5 Le droit positif, les traités et conventions reconnus par la
Suisse, pas le fourre-tout idéologique que l’on sert
souvent sous cette expression.
 
6 Comme on en a en ce moment une illustration à propos de la
mise en oeuvre de l’internement à vie pour les
délinquants sexuels.