Une France 100%à droite?

Une France 100%à droite?

Au vu des résultats des élections présidentielles
et des deux tours des législatives, les électrices et
électeurs français semblent avoir donné tous les
pouvoirs à une doite décomplexée. En
réalité, c’est à un véritable
glissement à droite de tout le terrain politique institutionnel
auquel nous avons assisté. D’abord, une majorité
très nette en faveur d’un Président
étroitement lié au patronat et qui ne cache pas ses
intentions; ensuite, un PS qui prône majoritairement
l’«ouverture au centre», encouragé par le
succès sans précédent de François Bayrou;
enfin, une gauche antilibérale ou anticapitaliste
laminée, à l’exception de la LCR, et surtout
menacée de satellisation par un PS qui domine très
largement l’arc des forces anti-sarkozystes (José
Bové chargé de mission par Ségolène Royal;
le PCF allié au PS pour les législatives). Le
«monde politique» français marque ainsi une
adaptation qualitativememnt supérieure aux exigeances de la
mondialisation capitaliste et aux politiques néolibérales
qui lui sont intrinsèquement liées.

Après le NON majoritaire au Traité constitutionnel
européen (TCE), la révolte des banlieues et la bataille
du CPE, on pourrait croire que ce réalignement à droite
des principales forces politiques est le signe d’un divorce
croissant entre la société et ses
«élu-e-s», ceci d’autant plus que les
institutions françaises, façonnées par le
présidentialisme et l’absence de proportionnelle,
fonctionnent plus que toutes autres comme un prisme déformant.
C’est ce que pensaient certains partisans d’une candidature
antilibérale, qui pronostiquaient un résultat à
deux chiffres, voire meilleur que celui de Bayrou ou que celui du PS…
pour autant que les 125 propositions des Collectifs unitaires
antilibéraux soient portées par une candidature
unique.  C’est d’ailleurs ce que semble toujours
penser Yves Salesse, l’un des animateurs de la mobilisation
victorieuse contre le TCE, dans une tribune publiée le 11 mai
par Libération, et qui s’intitule: «La France
n’est pas à droite».

Et pourtant… ne faut-il pas interroger plus profondément la
sphère sociale pour mieux comprendre un tel glissement de
terrain politique? En effet, les avancées du capitalisme
mondialisé n’ont pas produit que des conflits de projets
(social-libéralisme contre altermondialisme); ils ont avant tout
causé de profonds traumatismes sociaux, dont les effets ont
été cumulatifs.  D’abord, depuis le
début des années 80, la répartition de la richesse
produite entre salarié-e-s et capital est passée de 70/30
à 60/40; le chômage s’est maintenu à un
niveau élevé et la précarisation des rapports de
travail n’a cessé d’augmenter. En même temps,
le déclin du salaire indirect ou social –
sécurité sociale, retraites, services publics
subventionnés, etc. –, corollaire d’une
défiscalisation rampante des nantis, a contribué à
fragiliser les mécanismes institutionnels de solidarité.
Enfin, le potentiel d’activité, d’organisation, mais
aussi d’attraction (notamment parmi les jeunes) des syndicats et
des associations liées au monde du travail, n’a
cessé de décroître, autant de signes incontestables
d’un déclin relatif de la conscience de classe.

Certes, plus qu’aucun autre pays, la France a connu de puissantes
mobilisations politico-sociales, ainsi qu’une multiplication de
luttes ouvrières très dures, bien que souvent
isolées. Et il est probable, que la mise en œuvre de la
politique annoncée par Sarkozy et sa majorité
parlementaire, provoque de nouvelles secousses du même type.
Cependant, si de telles résistances sont indispensables, elles
ne débouchent pas nécessairement sur un processus
d’accumulation d’expériences et de forces nouvelles
permettant la relance d’une prise de conscience anticapitaliste
cumulative, fondée sur l’action collective.

Pour cela, le vieux mouvement ouvrier doit être très
largement reconstruit sur des bases nouvelles, aptes notamment à
intégrer les couches de la jeunesse, les immigré-e-s, les
femmes, les précaires, mais aussi à remettre en cause le
crédo productiviste de ses aînés. Cela signifie
aussi que la gauche anticapitaliste doit réaffirmer clairement
la primauté du mouvement social extra-parlementaire sur la
tactique électorale, qu’elle doit garder une
indépendance politique sans faille par rapport aux partis
sociaux-libéraux, mais aussi que l’effort programmatique
visant à reconstruire un horizon socialiste crédible, en
lien avec les expériences de mobilisation, est une tâche
essentielle qui ne saurait être remise à demain.

Jean BATOU