Le théâtre représente le territoire oùpeut se vivre la provocation à la résistance des corps etdes esprits

Le théâtre représente le territoire où
peut se vivre la provocation à la résistance des corps et
des esprits

Qu’il soit de droite ou de gauche

le pouvoir reste le pouvoir

c’est donc à lui qu’il faut s’en prendre…

Mais pour s’en déprendre

comment inventer le truc

qui servira à le suspendre…

Il n’est pas illusoire d’obtenir un accord, au-delà
du compromis hystérique, entre une théorie officielle
d’un pouvoir en place et la pratique des agissements du
gouvernement.

Aussi, lorsque la voix directrice d’une société
nous clame sans cesse que tout est au mieux, nous sommes en droit
d’attendre qu’un bras, lui-même directeur, ne nous
matraque pas incessamment sous le prétexte d’un crime de
«lèse-société».

Etrange logique du pouvoir! En période d’expansion
nationale, de sérénité sociale, de triomphe
économique, ce pouvoir tolère parfaitement les
«déviations idéologiques» que le
théâtre, par exemple, peut prendre à charge de
véhiculer. Ces manifestations sont généralement
considérées comme peu dangereuses: ou elles
n’intéressent qu’un nombre infime
d’«agités permanents» (relevant plus de la
psychiatrie que de la politique, pense le pouvoir), ou elles ne servent
aux autres que d’agitation partielle et salutaire,
d’exutoire dérivatif, de folklore exotique (ces
idées n’ayant, croit-on en haut lieu, aucune prise sur la
relative satisfaction populaire).

Mais la situation se gâte singulièrement lorsque
règne un climat de mécontentement, d’incertitude
financière (disons salariale), d’injustice fiscale, voire
judiciaire, dans un malaise généralisé de la
population.

Alors, il faut bien convenir que la circulation des idées tend
à devenir parfaitement réglementée: seules ont le
droit d’être diffuses celles qui n’ont aucune
possibilité d’alimenter les inquiétudes
légitimes, même lorsqu’elles sont simplement
latentes. Ce qui était anodin, sans gravité, superficiel,
devient tout à coup provocateur, subversif, pervers et
contagieux. Et c’est au nom de cette contamination possible que
se déploie le cordon sanitaire de la répression.

Mais où l’argumentation pèche, où la
directivité imposée bafouille, où le pouvoir se
fourvoie, c’est lorsque, tout à la fois, il nie et combat
le diagnostic de sa maladie, et affirme et exalte une idéologie
de sa «bien-portance». Cette attitude de
«bien-portant imaginaire» est spécialement
aberrante: le malade qui s’ignore, qui cherche à tout prix
à désavouer sa maladie, n’a ainsi, à plus ou
moins long terme, aucune chance de guérison. Toute
société réellement bien-portante n’a
d’autres moyens, pour le prouver, que d’accepter la libre
circulation des idées et des images…

Le théâtre ne doit pas montrer des idées, mais
comment les idées arrivent…, ni montrer des actions, mais
pourquoi les actions se produisent…

Dès l’origine, et à toutes les étapes de son
cheminement, le théâtre n’a, en
réalité, jamais parlé que d’une chose, il
n’a jamais relaté, raconté, évoqué,
voire fantasmé, autre chose, autre cause, que celle de la
liberté. Aussi n’a-t-il jamais posé, exposé,
comme concept et comme pratique de base, sur toutes les scènes
du monde, sous une forme ou sous une autre, qu’une seule question
sur un seul objet: le Pouvoir.

Toute la théâtralité proposée sur les
planches (qu’elles soient, ces planches de bois, ou de marbre, de
terre, de béton, bricolées ou machinées…)
passe résolument par la question du Pouvoir, et sa propre
théâtralité: des oppressions qu’il engendre
– et même, parfois, des défaites qu’il
subit…

Donc, seul obstacle – ou presque – à
l’engourdissement généralisé, à
l’acceptation béate des aliénations et des
conditionnements, à la quiétude insidieuse du
dénominateur commun et électoraliste, le
théâtre représente, parmi d’autres pratiques
signifiantes, mais plus vivement, le territoire où peut se vivre
la provocation à la résistance des corps et des esprits,
où peut encore se manifester la force active de
l’inquiétude.



André Steiger militant, comédien, metteur en
scène, écrivain, et pédagogue est né
à Plainpalais. Il se forme au Conservatoire de Genève,
puis à la Rue Blanche (Paris) et à la section
théâtre de la Sorbonne.

En 1957, il fonde à Paris la Compagnie André Steiger. Il
codirige la Comédie du Centre-Ouest et le Théâtre
Populaire de Lorraine, le Théâtre National de Strasbourg
et le Théâtre du Parvis à Bruxelles.

Il rentre en Suisse en 74, où il fonde le T’ACT, groupe
autogéré. André Steiger est très
engagé dans des activités de pédagogie et
d’animation. Il enseigne à l’Ecole du TNS (France),
à l’INSAS (Belgique) puis comme doyen responsable des
études à la SPAD (Conservatoire de Lausanne).
Actuellement, il intervient à la Manufacture, Haute école
de théâtre de Suisse romande. Il anime des stages de
formation-production tant en milieu professionnel («formation
continuée»), qu’en milieu universitaire ou amateur.
Après plus de 250 mises en scène, il a créé
et interprété récemment aBBcédaire, Suchard
et Le principe d’incertitude de Michel Beretti, La pension
Cerisaie de Bernard da Costa. Sous le titre «Coup de
théâtre», André Steiger publiera
désormais une rubrique mensuelle régulière dans
notre journal.