Barrage antinucléaire aux mégawatts sans complexes
Barrage antinucléaire face aux mégawatts sans complexes
La controverse autour de la position du Conseil dEtat genevois sur le projet de Loi fédérale sur lénergie nucléaire à peine calmée, larticle anti-atomique de la constitution (160C) a été invoqué à nouveau par les antinucléaires genevois dont ContrAtom. Au sujet de lautorisation de construire accordée fin octobre par le Canton à une start-up informatique musclée ayant entrepris dimplanter lun de ses centres dhébergement internet, potentiellement fort gourmand en mégawatts électriques – à Meyrin – dans les ex-locaux de lentreprise Filinter.
par Pierre Vanek
En fait, cette autorisation – donnée à la société Digiplex dans le cadre de ce quelle nomme son «agressive roll-out» européen – et contre laquelle ont recouru les organisations comme le WWF et ContrAtom, groupées dans la Coordination Energie, est la pointe dun iceberg. C´est en fait 4 ou 5 sociétés de la branche qui envisageraient des implantations du même type. La suivante – LDCOM 1 – a loué les locaux du cigarettier BAT aux Acacias, pour y créer son centre.
Consommations: un demi en plus ?
Le feuilleton démarre cet été: des infos littéralement «incroyables» circulent alors à Genève sur des demandes électriques à venir, dentreprises actives à linterface informatique/télécoms, et dont le total cumulé atteindrait 200 MW de puissance, de lordre de 50% de celle alimentant – en pointe – le Canton de Genève tout entier!
Courant juin en effet, les élu-e-s membres de la commission de lénergie du Grand Conseil sont alertés par le responsable de lOffice cantonal de lénergie (OCEN), sans que des chiffres ou un calendrier clairs soient disponibles, sur ce développement de nature à dynamiter toutes les mesures de politique de lénergie dans le domaine électrique.
Rappelons que larticle 160C de la Constitution genevoise prévoit une politique de lénergie fondée sur la conservation de celle-ci et le développement prioritaire des renouvelables.
La Conception générale de lénergie votée dans ce sens par le parlement genevois2 prévoit quant à elle – notamment par lencouragement de programmes dits de «gestion de la demande» ou DSM3 – des objectifs de baisse de la consommation électrique de 10% à lhorizon 2005 et de 20% en 2010 !
ContrAtom s´en mêle
Début juillet cette association – qui doute encore quant à lampleur du phénomène – décide, à son AG annuelle, de plancher sur la question de ces «opérateurs télécoms» dont le spectre hante lavenir énergétique du Canton et de rassembler les données pour monter au front le cas échéant.
En septembre, dans le même sens, la Commission énergie du Grand Conseil invitait – pour les entendre – des membres de la Commission cantonale de climatisation (appelée à confirmer linterdiction constitutionnelle de la climatisation ou à accepter quon y déroge par exception) présidée par un délégué de lOCEN. Cette commission était en effet appelée à examiner les projets en question, puisque chacun de ceux-ci implique une «climatisation» surpuissante pour évacuer ses rejets thermiques massifs. Un cas «type» présenté alors pour une installation de cette nature: environ 35 MW de puissance installée pour les ordinateurs et une climatisation exigeant une puissance électrique de lordre de 5 MW, soit en tout 40 MW par centre.
Lors de cette première séance de travail «parlementaire» sur cet objet, les éléments dune position a minima sétaient – semble-t-il – dégagés, autour de lidée dune intervention de lEtat, visant à garantir que les installations en question soient optimisées sur le plan énergétique, en clair que toutes les économies possibles aient été faites et que cela soit démontré, ainsi que sur lidée quil faut sassurer – en cas de consommations «incontournables» – que celles-ci soient fournies de source renouvelable, à trouver du côté de lhydraulique. Un suivi, sur le plan de linformation – encore dun vague extrême – devait être fait auprès de la commission de lénergie avant fin 2000.
Dérapage incontrôlé
Or depuis lors, comme relevé dans des interpellations lors de la séance du Grand Conseil4 à mi-novembre et mis sur la place publique le 22 novembre par le point-presse de la Coordination Energie tenu lors dun de ces rassemblements où fleurissent les panneaux de ContrAtom, les événements se sont précipités de manière non maîtrisée.Ceci avant que la commission parlementaire sétant saisi de laffaire nait été informée ou ait pu poursuivre ses travaux.
En effet, lautorisation de construire à été délivrée le 23 octobre à Digiplex, sappuyant sur un préavis favorable de la commission cantonale de climatisation, délivré hâtivement le 10, sans concertation, et surtout sans que linstallation projetée ait subi un audit énergétique crédible, de nature à identifier des économies possibles. En clair, le «verrou» légal – et même constitutionnel – constitué par le préavis sur la climatisation a été bradé – en secret et sans contrepartie – ceci pourtant sous le «règne» dun magistrat vert, Robert Cramer, qui nétait – comme dans le cas de la Loi fédérale sur le nucléaire – pas suffisamment …au courant!
Développement durable ?
Coïncidence dans lordre du «faites ce que je dis, pas ce que je fais…» cest le lendemain de cette décision anti-écolo au possible dune instance étatique – soit le 11 octobre – que le même gouvernement genevois déposait un projet de loi disposant que «lensemble des activités des pouvoirs publics sinscrit dans la perspective dun développement de la société, à Genève et dans la région, qui soit compatible avec celui de lensemble de la planète et qui préserve les facultés des générations futures» !
Lautorisation à Digiplex a entraîné le recours «préventif» évoqué, qui a incité le DIAEE 5 à patronner une négociation qui devrait conduire à une rencontre avec les responsables de Digiplex, lors de laquelle les recourants devraient réaffirmer la triple position – polie mais ferme – formulée par ContrAtom dans sa lettre du 7 novembre à cette société. Faisant un peu le travail dautorités «absentes», ContrAtom y revendiquait:
- linformation du public et une réelle glasnost sur lensemble du projet et ses incidences énergétiques.
- une maximisation de lutilisation rationnelle de lénergie dans l´installation, passant par une expertise indépendante.
- des garanties contractuelles à long terme sur un approvisionnement fondé sur des contrats «hydrauliques».
Parallèlement, le Grand Conseil a été saisi du projet de budget des Services Industriels de Genève (SIG). Or ce document, sil reflète une situation satisfaisante de la régie publique sur bien des plans, contient un élément énergétiquement inquiétant: une prévision de hausse de la consommation électrique de 5.8%! (Dont le 50% environ lié aux télécoms.) Le caractère problématique de ce boom na pas échappé aux SIG eux-mêmes, qui ont décidé du principe de lancer un service de DSM pour aider à y répondre.
Et motion…
Du côté «gauche/verts» du Grand Conseil, il a été déclaré que le budget des SIG ne pourrait être approuvé sans signal – clair et simultané – allant dans le sens de la gestion de la demande. Sur le plan de la mise en oeuvre concrète de la politique de lénergie par lEtat, ainsi que sur celui des instruments législatifs et opérationnels de celle-ci, ces semaines ont aussi montré quil y avait lieu de resserrer – sérieusement – les boulons.
Cest dans ce sens que lADG, le PS et les Verts ont déposé une motion (dont nous reproduisons les invites dans l´encadré ci-dessous) à débattre lors de la séance du parlement de mi-décembre. Débat sannonçant chaud, les libéraux ayant préparé le terrain lors de la séance à fin novembre par plusieurs interpellations, dénonçant lintervention de ContrAtom en général, soi-disant inadmissible et « contre léconomie et lemploi », ainsi que laction «subversive» du soussigné en particulier qui a le culot de considérer son activité au parlement, avec ContrAtom et au sein des organes des SIG, où il a été délégué par lADG, comme faisant partie dun continuum dont lun des axes forts est lexigence de lapplication de lart.160C de la constitution genevoise, issu du vote populaire sur une initiative intitulée rappelons-le l«Energie notre affaire» !
1 LDCOM filiale suisse de Louis Dreyfuss Communications
2 V. à ce sujet le rapport RD 319-A au mémorial du Grand Conseil genevois en passant par www.geneve.ch
3 DSM = Demand Side Management.
4 Par le soussigné et par Caroline Dallèves, verte.
5 Département de lIntérieur, de lAgriculture, de lEnvironnement et de lEnergie présidé par R. Cramer
Le Financial Times du 30.10.00 annonçait que la société Digiplex (anciennement Hubco S.A.) – fondée au Luxembourg par un entrepreneur norvégien nommé Geir Ramleth, mais basée à Zurich, et dont le 60 à 70% des actions sont entre les mains de deux sociétés US de capital-risque (Carlyle Group et Providence Equity Partners) – venait de réussir à lever plus de 200 millions de dollars de couverture financière (notamment avec la Deutsche Bank) pour ses opérations qui comprennent la mise en place de cinq «Hôtels Internet».
Qualifiés de Megaplexes dans le jargon de la compagnie, ces centres dhébergement et de raccordement de services Internet pour des tiers, devraient être opérationnels à Francfort, Genève, Milan, Oslo et Munich «avant la fin de lannée».
La compagnie veut profiter de la conjonction en Europe entre la «libéralisation» des télécoms et lexplosion dInternet. Sur le plan électrique cette société annonçait cet été un «accord stratégique» avec une la compagnie Lectrix (émanation notamment de Siemens) pour que celle-ci gère cet aspect de son activité dont Digiplex reconnaissait dans un communiqué du 30 août quelle nécessitait «dénormes niveaux de puissance électrique», non seulement comme source « primaire » mais également pour assurer lininterruptibilité de lapprovisionnement.
Proposition de motion pour une gestion de la demande en matière électrique conforme aux objectifs environnementaux de la politique cantonale de lénergie
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève (…) invite fermement le Conseil dEtat :
- à considérer que la mise en oeuvre effective de la politique cantonale de lénergie est un des grands chantiers prioritaires sur lesquels il se doit de sengager, dengager des moyens et dobtenir des résultats.
- à poursuivre et à accentuer les efforts entrepris pour arriver à des solutions de réduction de la demande et à des garanties contractuelles à long terme quant à lapprovisionnement en énergie de source renouvelable en ce qui concerne les implantations des centres informatiques évoqués ci-dessus.
- à intervenir auprès des SIG pour veiller à ce que cette entreprise de service public – qui est un acteur clé de notre politique énergétique – mette en place et rende opérationnel dans les meilleurs délais un service consacré à la gestion de la demande (DSM).
- dans le même esprit, à intervenir auprès des SIG, pour que cette entreprise aille de lavant rapidement pour être en mesure de proposer à ses client-e-s des contrats dapprovisionnement en électricité fondés sur des sources à 100% renouvelables (notamment dorigine hydroélectrique)
- à soumettre à un examen critique lensemble du dispositif législatif cantonal et des procédures administratives touchant au domaine de lénergie8 et à proposer rapidement au Grand Conseil toutes les mesures nécessaires pour éviter les dysfonctionnements et renforcer lefficacité de celui-ci.
- à se souvenir que larticle 160C de la Constitution est issu dune initiative populaire approuvée par le souverain et intitulée l«Energie, notre affaire» et à sassurer que lensemble de la politique énergétique, tant au niveau de lEtat que des SIG, se base sur une information complète au public et des comptes rendus aux citoyen-ne-s, ainsi quà leurs représentant-e-s à tous les niveaux.