Continuité et rupture du nationalisme à la française
Continuité et rupture du nationalisme à la française
Avec la publication de A quoi sert lidentité nationale1,
lhistorien français spécialiste de
limmigration Gérard Noiriel livre une réflexion
sur les récentes mutations du populisme de droite, en revenant
sur la dernière campagne présidentielle française
ayant conduit à la victoire du candidat Nicolas Sarkozy.
Cest un des tournants de la campagne présidentielle que
Gérard Noiriel prend pour objet danalyse: lannonce
par le candidat Sarkozy de la création dun
«Ministère de lImmigration et de
lIdentité nationale». En replaçant cette
déclaration et sa concrétisation, une fois le candidat
élu, dans une perspective historique, Noiriel montre à la
fois ce que ce nouveau ministère a dinédit dans
lhistoire de la République, mais aussi dans quelle mesure
lutilisation de la thématique «identitaire»
par la droite ne date pas dhier: «Depuis le début
du XXe siècle, la droite a toujours tiré sur la corde
nationaliste pour capter les voix dune fraction des classes
populaires». Face aux véritables problématiques
sociales que les incantations identitaires ont pour tâche de
faire oublier, problématiques sociales qui cependant menacent
toujours de revenir sur le devant de la scène, la droite est
condamnée, aux yeux de Noiriel, à remettre sans cesse sur
le tapis le thème de «lidentité
nationale»: dès lors, «pour éterniser le
«problème» le plus sûr était de
létatiser». Cest ce qua fait Sarkozy,
avec pourtant le risque, inédit en France depuis Pétain,
que «lorsque les mots entrent dans le langage de lEtat,
leurs effets sont infiniment plus redoutables que des propos de
campagne.
Lassociation «immigration et identité
nationale», dorénavant inscrite dans la loi, est devenue
une catégorie de pensée et daction qui
simpose à tous, quelle que soit lactualité
du jour.» Cest cette réalité qui a conduit
Gérard Noiriel, et huit autres de ses collègues, à
démissionner du conseil scientifique de la Cité nationale
de lhistoire et de limmigration, tout en lançant
une pétition de protestation qui a récolté quelque
10 000 signatures en moins dune semaine.
Le «nous» et le «eux»
Noiriel retrace dans la première partie de son ouvrage la
genèse de la notion didentité nationale, et les
grandes étapes de son instrumentalisation politique;
instrumentalisation qui toujours sert à marquer la distance
entre le «nous» français et un «eux»
censé menacer lintégrité de la
communauté nationale (lAllemand après 1870,
lAlgérien après-guerre, le jeune des banlieues et
son «communautarisme» dès les années 80). Au
chapitre de la genèse, le lecteur découvre que
«lidentité nationale» na pas toujours
été lapanage de la droite réactionnaire.
Ainsi, en 1789, la «nation» est le terme employé par
les révolutionnaires pour désigner le Tiers état,
par opposition aux monarchistes qui récusent ce vocabulaire, de
même quils contestent la légitimité du
suffrage universel et le principe dégalité entre
tous les citoyens. On ne sétonnera pas que cette
dimension historique ait échappé à Sarkozy qui
fait reposer la notion «didentité nationale»
française sur une mythologie historique pour le moins fumeuse,
comme le montre Noiriel dans la seconde partie de son ouvrage
consacré à lanalyse minutieuse des discours du
candidat de lUMP.
Ainsi, limportance de la Révolution française
semble tout simplement avoir échappé à Nicolas
Sarkozy, puisque ce qui se dégage de ses six derniers discours
de campagne (où les termes «France» et
«Français» apparaissent respectivement 395 et 212
fois!), cest que, analyse Noiriel, «les valeurs de la
République existaient déjà au temps des rois,
puisque même les Vikings se sont
«intégrés» dans la nation
française.»
Noiriel, sil inscrit sa réflexion dans une perspective
historique fort éclairante, récuse toutefois nettement
les amalgames qui mettraient sur le même plan lAction
française et le Front national, les discours nationalistes de
Maurice Barrès et ceux de Nicolas Sarkozy. Cest que
lhistorien cherche aussi à saisir les singularités
du nouveau populisme français: le rôle des intellectuels,
les collusions politico-médiatiques, les liens existant entre la
droite et lextrême droite, les allusions et les
suggestions xénophobes incessantes dans les discours de Sarkozy,
dessinant la figure du «clandestin» ou le spectre du
«communautarisme». Autant daspects originaux sur
lesquels sattarde Noiriel dans son riche ouvrage.
1 Gérard Noiriel, A quoi sert lidentité nationale, Agone, Marseille, 2007, 154 p.