Passagers aériens sous contrôle

Passagers aériens sous contrôle

A travers les différents
accords installant un contrôle des passagers aériens,
l’Union européenne abandonne progressivement sa propre
légalité, afin de permettre au droit américain de
s’appliquer directement aux ressortissants européens sur
le territoire de l’Union. On assiste ainsi à la mise en
place d’un ordre juridique impérial qui a pour objet de
placer l’espace aérien transatlantique directement sous la
juridiction de l’Administration des Etats-Unis.

A la suite d’un accord intérimaire avec la Commission de
l’Union européenne, les douanes américaines ont,
depuis le 5 mars 2003, accès aux systèmes de
réservation des compagnies aériennes situées sur
le territoire de l’Union. Il s’agit de contrôler des
données liées aux comportements de passagers ordinaires,
c’est à dire de personnes non recensées comme
dangereuses ou criminelles, afin de vérifier, par rapport
à un schéma théorique, si tel passager pourrait
constituer une menace potentielle. Toute personne est traitée
comme un criminel en puissance.

L’objectif est d’établir des «profils à
risques». On détecte ainsi des individus présentant
un ensemble de caractéristiques qui pourraient
«justifier» une surveillance spéciale ou même
une arrestation préventive à l’arrivée sur
le sol américain.

Une violation de la vie privée.

Le Parlement européen a manifesté plusieurs fois son
opposition à cet accord, notamment dans une résolution
datant du 31 mars 2004, en déclarant que l’accès
des autorités américaines est «illégal aux
termes du droit national et du droit européen sur la vie
privée». Cet avis négatif n’a pas
empêché le Conseil de se soumettre à nouveau, par
une Décision du 17 mai 2004, aux injonctions des
autorités américaines.

La Cour européenne de Justice a cassé cet accord en mai 2006.1
Mais le jugement porte uniquement sur la forme et non sur le fond. Il
rejette le texte uniquement pour «défaut de base juridique
appropriée» et ne parle aucunement de la violation de la
privée.

Ce qui a permis que, le 23 juillet 20072, l’Union
européenne et les États-Unis signent, cette fois dans le
cadre de la coopération policière et judiciaire, un
nouvel accord sur le traitement et le transfert de données des
passagers.

Comme c’était déjà le cas en 2004, les
informations communiquées, appelées Passagers Name Record
(PNR), ne se limitent pas aux noms, prénom, adresse,
numéro de téléphone, date de naissance,
nationalité, numéro de passeport, sexe, mais comprennent
les adresses durant le séjour aux USA, l’itinéraire
complet des déplacements, les contacts à terre ainsi que
des données médicales. Y sont reprises des informations
bancaires, tels les modes de paiement, le numéro de la carte de
crédit et aussi le comportement alimentaire permettant de
révéler les pratiques religieuses.

Un accord dissymétrique

Les accords de 2007, comme le texte de 2006, aggravent encore les
dispositions de 2004. Selon un principe de disponibilité,
l’ensemble des données est consultable par toutes les
agences américaines chargées de la lutte antiterroriste,
alors que, sur le papier, les accords de 2004 réservaient cette
consultation aux seules agences de douane.

La période de rétention des informations passe de 3 ans
et demi à 15 années. En outre, ces données
pourront être placées pour une durée de 7 ans dans
des «bases de données analytiques actives»,
permettant un «profiling» massif.

Les autorités américaines ont maintenant la
légitimité de transmettre ces informations à des
pays tiers. Ces derniers auront accès aux données
transmises par les compagnies européennes selon les conditions
de sécurité fixées par le département
américain, l‘Union européenne ayant accepté
«de ne pas interférer» concernant la protection des
données des citoyens européens transférées
dans ces pays.

Le nouveau texte renforce un cadre dissymétrique
d’échanges entre les Etats-Unis et l’Europe. Les
compagnies sont tenues de traiter les données PNR
stockées dans leurs systèmes informatiques de
réservation selon les demandes des autorités
américaines, «en vertu de la législation
américaine».

Primauté du droit américain

Le droit américain est primordial. L’administration des
Etats-Unis se réserve le droit d’avoir sa propre
interprétation de l’accord conclu entre les deux parties.
Cette lecture est contenue dans la lettre, placée en annexe. Ce
qui a un double avantage pour le Département à la
sécurité intérieure. D’une part, il peut
définir unilatéralement le contenu (conditions de
traitement, de transfert, de destruction et d’extension du champ
des données) de certains engagements auxquels l’accord
fait référence. D’autre part, les engagements
formels de protection des données et de défense des
droits des passagers européens n’ont aucune valeur
contraignante et peuvent être modifiés
unilatéralement.

Le cadre à travers lequel les données PNR peuvent
également être utilisées ne se limite pas à
la lutte contre le terrorisme, mais peut être aussi
utilisé pour «tout objectif additionnel». Des
informations concernant l’origine raciale, les opinions
politiques, la vie sexuelle peuvent être utilisées dans
«des cas exceptionnels» et c’est le
Département de la sécurité intérieure
lui-même qui détermine ce qui est un cas exceptionnel.

Ces accords sont à peine signés que les Etats-Unis ont
annoncé leur intention d’insérer davantage
d’exceptions dans le Privacy Act3 en ce qui concerne
la gestion de l’Automated Targering System. Ce système est
prévu pour lutter contre le terrorisme, mais il couvre aussi
«toute activité qui viole la loi américaine».
Il contient notamment les données PNR des passagers
aériens. Tout changement dans la gestion de ce système va
automatiquement modifier unilatéralement le contenu de
l’accord PNR. Le projet prévoit que l’ensemble de
ces données pourront faire l’objet d’une seconde
inspection, c’est-à-dire être vues par
d’autres agences disposant de listes globales de surveillance et
croisées avec des banques de données venant de pays
tiers…

A travers ces modifications légales, il s’agit
d’augmenter les pouvoirs du Département de la
défense (Department of Homeland Security). L’objectif
fixé est de n’autoriser la personne à voyager
qu’après que ses données PNR ont été
contrôlées et «éclaircies».

Vers des listes d’interdiction de vol vers les USA?

Il s’agirait là, si ce projet est adopté,
d’une mutation qui modifie la nature même du système
de contrôle et, ainsi, de l’accord qui vient
d’être signé avec l’Union européenne.
Les autorités administratives américaines auraient la
possibilité d’interdire arbitrairement de vol vers les
Etats-Unis tout ressortissant européen, même si la
personne dispose de tous les documents nécessaires. On
rejoindrait ainsi le système américain. Aux Etats-Unis,
les listes de passagers aériens permettent à
l’Administration de déterminer arbitrairement qui peut
utiliser l’avion et se déplacer. Ainsi, plus de 110 000
personnes, dont une majorité de citoyens américains, ont
leur mobilité perturbée ou sont interdits de vol, car
elles sont reprises, soit sur une liste «de personnes à
surveiller» («watch list»), soit sur une liste
«interdit de vol» («no fly» list). La
chaîne de télévision CBS avait réussi, en
2004, à se procurer un exemplaire de la liste «à
surveiller». Elle faisait 540 pages et contenait les noms de
«75 000 personnes à fouiller avec beaucoup
d’attention et éventuellement à ne pas laisser
monter à bord d’un avion».4 Les opposants à la guerre en Irak sont des cibles privilégiées de cette procédure.

La liste «des personnes à surveiller» a
été établie à partir de 2003, à la
suite d’une directive présidentielle adressée aux
agences de renseignement. Cette directive leur ordonne
d’identifier et surveiller «les personnes dont on peut
craindre qu’elles aient des intentions ou des contacts
terroristes». La CIA/NSA et le FBI établirent une liste de
noms qui fut remise à toutes les agences aériennes.5

A cette liste, on doit ajouter 45 000 personnes interdites de
vol, car inscrites sur une «No Flight List». Cette
dernière, qui n’incluait que 16 personnes avant le 11
septembre, a d’abord été étendue aux
personnes soupçonnées d’être en contact avec
des organisations terroristes puis aux opposants politiques, qui sont
ainsi bloqués dans leurs déplacements et, dans les faits,
interdits de sortie du pays par la Transportation Security
Administration. Ainsi, les personnes ayant critiqué la politique
du gouvernement sont fouillées intégralement,
intimidées, arrêtées administrativement ou
interdites de vol.

En conséquence, le Conseil de l’Union européenne a
engagé ses ressortissants dans un système de
contrôle des passagers aériens à destination des
USA, qui donne aux autorités américaines la
possibilité de faire évoluer cette procédure selon
leurs propres finalités et ainsi, à terme, s’il
n’y a aucune réaction, d’empêcher
arbitrairement tout passager européen d’embarquer vers les
Etats-Unis.

Jean-Claude Paye, auteur de Global War on Liberty, Telos Press 2007

  1. Journal Officiel de l’Union européenne, L298, le 27.10.2006.
  2. «MEPs fear that new PNR agreement fails to protect citizens’ data», Statewatch News Online, 12/07/2007, http://www.statewatch.org/news/2007/jul/04ep-pnr-resolution.htm
  3. Overview of Privacy Act of 2004, May 2004, http://www.usdoj.gov/oip/04_7_1.html
  4. Noami Wolf, «Are you on the Government’s No Flight List», http://www.alternet.org/rights/62407/
  5. Grégoire Seither, «L’administration
    Bush se sert de la liste noire des ‘’interdits de
    vol’‘ pour harceler et punir ses opposants»,
    Mondialisation.ca, le 10/9/2007
    .

Syndicats : La réalité contredit le gouvernement colombien

Dans une nouvelle lettre adressée au président Alvaro
Uribe, Guy Ryder, secrétaire général de la
Confédération syndicale internationale (CSI) accuse le
président colombien de supercherie lorsqu’il se targue
d’une prétendue amélioration de la situation des
syndicalistes en Colombie.

Les trois assassinats survenus en septembre et en novembre de cette
année, ciblés sur des dirigeants syndicaux du secteur de
l’enseignement et des militants syndicaux, infirment
catégoriquement les déclarations du gouvernement. La
réalité est qu’une trentaine de syndicalistes, dont
6 dirigeants syndicaux, ont été assassinés en
Colombie depuis le début de l’année, portant
à environ 560 le nombre total de syndicalistes abattus dans le
courant du mandat présidentiel d’Alvaro Uribe, au pouvoir
depuis 2002. Seule une fraction minuscule –tellement infime
qu’elle en est pratiquement insignifiante – de ces crimes a
été élucidée. Quant aux auteurs qui ont
effectivement été traduits en justice, leur nombre est
encore plus dérisoire. En 2006, 78 syndicalistes ont
été assassinés en Colombie, d’après
le Rapport annuel des violations des droits syndicaux de la CSI.

[…] Le 2 novembre, Leonidas Silva Castro, dirigeant du syndicat
des enseignants et président de la sous-direction de
l’Association syndicale des instituteurs de la
municipalité de Villacaro, dans la province de Norte de
Santander, a été assassiné.

Cette tragédie fut suivie de l’assassinat, le 3 novembre,
dans la municipalité de Toro, dans le département de
Valle, de Giraldo Rey, président de la sous-direction du
Syndicat national des travailleurs de l’industrie
fruitière, Sinaltraifrut.[…]

Le 7 novembre, Mercedes Restrepo Campo, institutrice de
l’Institut Hernando Botero O’Byrne et membre de la
sous-direction du Syndicat unique des enseignants de Valle (SUTEV) fut
assassinée.

Comme l’a signalé Guy Ryder dans sa lettre au
président Uribe, le gouvernement mène depuis un certain
temps déjà une politique de destruction
systématique du mouvement syndical qui consiste à imposer
de plus en plus de restrictions au libre exercice des droits syndicaux.

(CSI en ligne)