1968: l’Offensive du Tet, un tournant décisif de la guerre du Vietnam
1968: l’Offensive du Tet, un tournant décisif de la guerre du Vietnam
L’offensive du Tet [Nouvel An
vietnamien] de janvier-février 1968 a scellé la
défaite US dans la guerre du Vietnam. Paradoxalement, les forces
insurgées — l’Armée du peuple et le Front
national de libération (FNL) — ont atteint peu de leurs
objectifs militaires ou politiques et souffert de lourdes pertes.
Cependant, le niveau spectaculaire de l’offensive, ainsi que les
images de batailles urbaines diffusées par les
télévisions du monde entier ont convaincu l’opinion
publique internationale et états-unienne, que Washington ne
pouvait pas gagner la guerre. Ils sont parvenus à
ébranler l’arrogance et l’optimisme public du
gouvernement US et de ses chefs militaires sur le terrain. Dans les
cinq mois qui ont suivi le début de l’offensive, le
Commandant-en-chef états-unien, le général William
C. Westmorland, était limogé, le bombardement du Nord
Vietnam était interrompu, et le Président
américain Lyndon Johnson annonçait qu’il ne
briguerait pas un second mandat.
La décision US de faire du Vietnam un test et de ne pas y
tolérer une victoire communiste n’a pas été
prise par Johnson, mais beaucoup plus tôt, en 1962, par John F.
Kennedy. Choqué par des événements comme la
révolution cubaine, le développement d’un
nationalisme de gauche au Congo et ailleurs, ainsi qu’une
série de luttes de guérilla dans les colonies portugaises1,
les élites politiques et du renseignement US ont commencé
à s’inquiter du fait que «Moscou»,
«Pékin», ou «les communistes» plus
généralement, développent une stratégie de
luttes armées de libération dans le Tiers Monde.
Contre la «subversion» au Sud
Le principal danger d’«agression communiste»
changeait de visage, d’une invasion soviétique totalement
mythique de l’Europe de l’Ouest, à un danger
réel de soulèvements de guérillas en Asie, en
Afrique et en Amérique latine. Dans le discours inaugural de son
mandat, Kennedy affirmait ainsi, que les Etats-Unis «payeraient
n’importe quel prix, qu’ils assumeraient n’importe
quelle charge, feraient face à n’importe quelle
difficulté, soutiendraient tout ami, et s’opposeraient
à tout ennemi, afin d’assurer la défense et la
victoire de la liberté». Qu’est-ce que cela
signifiait et qui serait requis pour «payer n’importe quel
prix», voilà qui allait devenir très clair au
Vietnam.
Dès 1965, il y avait un demi-million de soldats US au Vietnam.
Et il avait fallu attendre que les troupes états-uniennes
atteignent un tel effectif pour que des unités de
l’Armée populaire soient détectées au Sud
Vietnam; avant cela, les combats avaient été
portés principalement par les guérillas à temps
partiel du FNL. La stratégie US tournait autour de deux
tactiques:
- Une tentative de punir les Nord Vietnamiens pour leur soutien au
FNL en détruisant leurs infrastructures par des bombardements
aériens (opération «Rolling Thunder»
[Roulement de tonnerre]). - Les missions «Search and Destroy» [Chercher et
détruire] dans la campagne vietnamienne afin de punir les
paysans pour leur soutien au FNL par la destruction de centaines de
villages, visant par là à forcer le FNL et
l’Armée populaire à des batailles à
découvert. L’objectif-clé était de causer
des pertes maximales à l’ennemi dans une guerre
d’épuisement.
Succès mitigés des bombardements sur le Nord
«Rolling Thunder», au fil de trois ans de bombardements
permanents, avait atteint son objectif en détruisant la plupart
des infrastructures du Nord Vietnam. Lorsque Johnson suspendit les
bombardements sur le Nord, les planificateurs de l’Air Force
avaient de la peine à trouver des cibles encore dignes
d’être frappées. Paradoxalemement, «Rolling
Thunder» s’était confronté à une
réplique anti-aérienne parmi les plus efficaces de
l’histoire. Plus de 1200 avions US avaient été
abattus, parmi lesquels des dizaines de bombardiers géants B52
et des centaines de chasseurs-bombardiers. Un millier d’aviateurs
US avaient été tués et des centaines d’entre
eux faits prisonniers. Il semble probable que la Chine ait fourni
quelques unités anti-aériennes dans la première
phase de la campagne, mais les missiles sol-air décisifs avaient
été fournis par l’URSS. Quelques avions US avaient
même été abattus à l’issue de duels
enragés avec les MIGs de l’aviation vietnamienne, mais
l’accusation selon laquelle quelques-uns de ses chasseurs
étaient pilotés par des Soviétiques n’a
jamais été étayée.
En dépit des succès de ces efforts anti-aériens
extraordinaires — en comparaison des standards des deux guerres
contre l’Irak2 —, vu son envergure, cette
campagne de bombardements ne pouvait pas être stoppée. Des
dizaines de milliers de civils nord-vietnamiens ont ainsi
été tués. Michael Maclear, un journaliste canadien
qui a visité le Nord Vietnam pendant l’opération
«Rolling Thunder», estime le nombre de civils morts
à 180 000.3 Il note: «Mon voyage mit en
évidence que cinq villes avaient été
anéanties. Du nord au sud, il s’agit des villes de Phu Ly,
de Ninh Binh, de Thanh Hoa, de Vinh et de Ha Tinh, toutes
peuplées au départ de 10 000 à
30 000 hab. La troisième ville du Nord, Nam Dinh —
peuplée de 90 000 hab. — avait été
largement détruite, même si elle restait reconnaissable.
Dix-huit autres centres classés comme villes avaient
été détruits».4 Mais cela
n’a pas empêché, ni même sérieusement
entravé, la fourniture de soldats et de matériel vers le
sud, par la piste Ho Chi Minh à travers le Cambodge.
Aucune victoire décisive au Sud
La stratégie d’épuisement US au Sud a
anéanti la structure sociale des campagnes vietnamiennes et
tué jusqu’à un million de personnes5
— des civils pour la plupart. Bien qu’elle n’ait
jamais réussi à écraser le soulèvement, la
guerre contre la paysannerie l’a rendu beaucoup plus difficile.
Les Etats-Unis ont dépassé la sauvagerie coloniale des
Anglais en Malaisie et des Français en Algérie dans le
massacre systématique des villageois. Nombre de ceux-ci ont
été déportés dans des «hameaux
stratégiques», sur le modèle malaisien; mais
après l’échec de cette stratégie, des
centaines de milliers d’entre eux, fuyant les bombardements, ont
cherché une sécurité relative dans les grands
centres urbains, désormais saturés de
réfugié-e-s.6
De 1965 à 1967, des dizaines de batailles ont
été menées par les soldats et marines US contre le
FNL et l’Armée populaire. En dépit de
revendications croissantes de succès, étayées par
le compte quotidien des cadavres [body count], le commandement US
était cependant incapable d’infliger une quelconque
défaite décisive aux Vietnamien-nes. Durant cette
période, le mouvement anti-guerre se développait dans le
monde entier — et de façon décisive aux Etats-Unis
— tandis que des nouvelles sur la sauvagerie de la guerre
filtraient, et que le total des morts US croissait.
Débat au sein du PCV
Il paraît clair aujourd’hui, qu’un débat a
éclaté au sein du Parti communiste (PCV) en 1967, sur la
meilleure façon de se confronter à un ennemi qui,
grâce à une artillerie lourde et à des
bombardements aériens extrêmements puissants,
combinés au déploiment d’hélicoptères
transporteurs de troupes très mobiles, dépeuplait les
campagnes, rendant ainsi la victoire des insurgé-e-s difficile.
Quelques auteurs ont tenté d’attribuer des positions
très tranchées à des leaders particuliers du PCV,
affirmant que Le Duan était à la tête des
«militant-e-s» qui gagnèrent finalement la bataille
en faveur d’un soulèvement général, contre
ceux et celles qui voulaient une «guerre populaire
prolongée» (faite de lutte de guérilla) plus des
négociations, voire une guerre conventionnelle plus des
négociations. Quelle que soit la vérité sur les
positions précises adoptées par tel ou tel leader du PCV,
ce débat est absolument compréhensible et ressemble en
fait clairement à ceux qui ont traversé la direction
sandiniste au Nicaragua avant 1979, ou à ceux du FMLN pendant le
soulèvement au Salvador.7
A la mi-1967, la direction du Parti avait opté pour la
ligne «offensive générale —
soulèvement généralisé». Cela
impliquait des attaques tous azimuths contre les militaires US, mais
aussi une pénétration des villes dans la perspective de
provoquer un soulèvement urbain contre les Américains et
leurs alliés sud-vietnamiens. Dans son livre Vietnam: Anatomy of
a War, Gabriel Kolko relève que des exilés non
communistes auraient été approchés quant à
la possibilité de former un gouvernement provisoire avec le FNL
dans le cas où l’offensive remporterait un succès
majeur (ce qui aurait probablement impliqué la capture
d’au moins une capitale de province).
L’offensive est décidée
Gabriel Kolko affirme que l’Offensive du Tet n’a pas
été lancée en pensant qu’un
soulèvement général était certain, mais
seulement qu’il était possible. Il estime en revanche, que
les dirigeants du PCV espéraient un soulèvement, mais
considéraient dans tous les cas qu’une offensive porterait
un coup fatal à Washington et aux Sud-Vietnamiens sur le plan
militaire, dont ils ne se relèveraient jamais totalement.8
Depuis septembre 1967, les commandants du FNL et de
l’Armée populaire commencent à être
briefés sur l’offensive qui vient. Des articles de la
presse vietnamienne analysent l’état de la guerre et les
perspectives militaires; selon des observateurs, une lecture attentive
de ces articles révèle la possibilité d’une
offensive généralisée. De vastes quantités
de matériels sont expédiées au Sud et de nouvelles
unités de l’Armée populaire sont
déployées le long de la piste Ho Chi Minh.
L’espionnage états-unien — aidé par des
documents saisis à l’issue de batailles —
établit qu’une offensive majeure était en
préparation, mais l’armée US avait de la peine
à en saisir la dimension et le timing. Personne ne pensait que
l’offensive — si elle se déclarait — ne serait
de la dimension de celle qui allait se dérouler finalement.
Les Etats-Unis pris par surprise
Le chef de l’Armée populaire, Vo Nguyen Giap, vainqueur de Dien Bien Phu9,
planifia une série d’attaques dans les régions
frontières en octobre et novembre 1967, pour attirer les troupes
US et sud-vietnamiennes hors des villes. Au même moment, le
siège de la base de Khe Sanh par l’Armée populaire,
qui allait se prolonger jusqu’en avril 1968, causait la mort de
centaines de soldats US. Les responsables américains se
demandaient alors si ces batailles étaient
«l’offensive»; or, ce n’était pas le
cas, et lorsque la réelle offensive fut déclarée,
ce fut pour eux un choc complet.
L’offensive du Tet commence le 30 janvier 1968, lorsque six
capitales de province et de nombreuses bases US sont attaquées.
Cette première vague semble avoir été une
monumentale erreur, due à l’utilisation de calendriers
différents par un certain nombre de bataillons du FNL et de
l’Armée populaire. La nuit suivante, le 31 janvier, le
véritable coup est asséné, avec l’attaque
simultanée de centaines de cibles au Sud Vietnam. Des
combattants du FNL frappent des points stratégiques à
Saigon et envahissaient l’ambassade US. La police militaire va
devoir se battre pendant six heures pour reprendre le contrôle du
symbole de la puissance US dans le pays. L’affaire fait sensation
dans les médias du monde entier.
Des percées symboliques
La plupart des attaques sont cependant contrées, causant parfois
de lourdes pertes au FNL et à l’Armée populaire.
Cependant, dans le faubourg chinois de Saigon, Cholon, les combattants
du FNL tiennent bon, tandis que la bataille est filmée et
diffusée par les télévisions du monde entier. Le
FNL est finalement repoussé au prix d’un bombardement
aérien massif qui fait des centaines de morts civiles.
Les troupes de l’Armée populaire tiennent Hué, la
capitale provinciale du Nord, pendant 26 jours, une bataille qui
suscite le commentaire suivant, particulièrement inepte,
d’un commandant US: «Nous avons dû détruire la
ville pour la sauver»; en réalité, au prix
d’un grand nombre de civils tués. Après la reprise
de Hué par les troupes US, celles-ci affirmeront que
d’importants charniers avaient été
découverts, avec les corps de centaines de civils
exécutés par l’Armée populaire. Par la
suite, des recherches ont montré cependant,
qu’après la réoccupation de la ville, des
«escadrons de la revanche» sud-vietnamiens avaient
exécuté quiconque était suspecté
d’avoir collaboré avec l’Armée populaire.
Difficultés d’un soulèvement populaire
Les attaques du Tet ont été spectaculaires, mais elles
n’ont pas suscité une insurrection populaire. Pourquoi?
D’abord, parce que la propagande et l’agitation du FNL ont
plus de peine à atteindre les civils entassés dans les
villes pour fuir les bombardements US. Dans tous les cas, il
paraît extrêmement difficile pour une population urbaine de
se soulever contre un ennemi brutal et bien armé, si elle ne
peut pas compter sur des formes antérieures
d’organisation, n’a ni armes ni moyens de se
protéger physiquement, en particulier lorsqu’il n’y
a aucun signe qu’une victoire décisive des
insurgé-e-s est en vue. C’est aussi la leçon que
l’on peut tirer de la tentative de soulèvement
général du FMLN au Salvador en 1979; les
insurgé-e-s manquaient de moyens pour défendre la
population civile à laquelle ils demandaient de se soulever.
Plus généralement, l’offensive montrait la
difficulté de défaire une imposante armée
très mobile10 et disposant d’un armement
supérieur par une bataille frontale. Battre l’armée
US et sud-vietnamienne était une tâche beaucoup trop
lourde pour un seul assaut. En effet, toute l’histoire des
guerres de libération nationale, de l’Algérie au
Mozambique, montre que les puissances coloniales ont été
boutées dehors par une lutte de guérilla longue et
difficile (avec un élément urbain vital, dans le cas de
l’Algérie); elles ont été usées,
démoralisées et politiquement défaites à
long terme.
Les axes politiques de l’insurrection
Les objectifs politiques des insurgé-e-s furent proclamés
clairement par des émissions de radio Hanoi et de Dai Giai Phong
(Radio Libération), ainsi que par de nombreuses
déclarations diffusées par tracts à la population.
Ils annonçaient la formation d’un Front national
démocratique et pour la paix, mettant l’accent sur les
tâches nationales et démocratiques de la
révolution. Ils appelaient aussi à la formation de
nombreux comités de front unique, s’adressant tout
particulièrement aux travailleurs-euses qualifiés, aux
groupes religieux, aux jeunes et à d’autres, pour
qu’ils se joignent au soulèvement. Un accent particulier
était mis sur des incitations à la désertion des
soldats de l’armée sud-vietnamienne. L’annonce de
Comités insurrectionnels, formés de facto par le FNL pour
diriger la lutte militaire, jouait aussi un rôle crucial.
Le 31 janvier, le service national de la radio d’Hanoi citait
ainsi le Comité insurrectionnel de Saigon: «Le
Comité Insurrectionnel appelle l’ensemble de la population
et les forces révolutionnaires de Saigon à
résister résolument et à attaquer constamment
l’ennemi pour assurer une victoire complète. Le
Comité insurrectionnel appelle les compatriotes des
régions encore contrôlées temporairement par la
clique de Thieu-Ky-Loan à s’opposer fermement et
vigoureusement au terrorisme, à aider les forces
révolutionnaires à traquer ces laquais malhonnêtes
et cruels, à former des forces patriotiques et neutralistes pour
contribuer à libérer notre cité bien-aimée.
Le Comité insurrectionnel enjoint aussi les troupes fantoches de
la réserve, des rangers et de la police, ainsi que les forces
des corps blindés et de l’artillerie, à ne pas
mourir inutilement pour la clique traitre à la patrie et
assoifée de sang de Thieu-Ky-Loan, à faire feu sur elle,
et à rejoindre rapidement les rangs révolutionnaires pour
marquer des points pour la patrie».11
A Hué, comme dans nombre d’autres places, le Front
national démocratique et pour la paix a fait des appels
spécifiques au soulèvement populaire: «Le Front
national démocratique et pour la paix appelle tous les groupes
et toutes les forces du peuple patriote, de la jeunesse, des femmes,
des étudiant-e-s secondaires et universitaires de la ville de
Hué à se soulever afin de conduire une insurrection
armée pour renverser la clique traitre de Thieu-Ky, de forcer
les Américains à se retirer du Sud, de restituer
l’administration au peuple, de construire la paix et
l’indépendance du pays. La patrie et la nation appellent
toute la population de Hué à se lever comme un seul
homme».
Bénéfices aux vaincus
Les commentateurs anticommunistes ne sont pas longs à proclamer
que le Tet a représenté une énorme défaite
pour les communistes. Le Guardian de Londres donne deux pages à
Walter Schwartz pour expliquer que les pertes militaires subies par les
insurgé-e-s ont été si importantes qu’ils
ont virtuellement perdu la guerre. Pourtant, les proclamations des
commandants US sur le Tet souffrent alors d’un
«déficit de crédibilité». En effet, le
général Westmorland n’avait-il pas
régulièrement briefé la presse mondiale sur les
défaites majeures encourues par le FNL et l’Armée
populaire; des comptes rendu aussi optimistes excluaient la
possibilité de telles attaques d’ampleur nationale. En
particulier, l’opinion publique états-unienne avait
été extrêmement choquée, non seulement par
l’échelle de l’offenive, mais aussi par la
brutalité des scènes montrées à la
télévision à Saigon. Cet événement
transforma donc le retrait des troupes US en une certitude à
terme.
Pour les communistes vietnamiens, l’issue des combats fut
à la fois beaucoup plus et beaucoup moins importante que ce
qu’ils attendaient. Militairement, elle fut moins favorable que
prévu; l’une des conséquences semble en avoir
été le taux de pertes disproportionné parmi les
unités du FNL qui, en tant que connaisseuses du terrain local,
avaient été les premières à entrer dans les
villes. Après le Tet, le FNL ne fut jamais plus comme avant
à la pointe de combats, qui prenaient de plus en plus
l’allure d’une guerre conventionnelle dans laquelle de
nombreuses unités nord-vietnamiennes faisaient appel à
l’artillerie lourde et aux blindés — non aux armes
de la guerre de guérilla.
Une influence internationale
La fameuse photo de l’exécution d’un combatant du
FNL avait choqué l’opinion mondiale. Politiquement,
l’offensive fut couronnée de succès, au-delà
des rêves les plus fous de la direction du PCV. Non seulement, le
gouvernement US fut démoralisé et humilié, mais
l’opposition à la guerre se trouva fortement
renforcée dans l’opinion internationale.
Mieux que ça, le résultat de l’offensive du Tet
bénéficia à l’ensemble de la gauche à
l’échelle internationale, marquant un aspect essentiel de
l’atmosphère et de l’esprit politique du moment, qui
allaient déterminer les événements dans
d’autres pays cette même année. La conférence
et la manifestation internationales de Berlin, en février 1968,
se tint dans la foulée immédiate de l’offensive
sous une bannière qui proclamait: «Le devoir du
révolutionnaire est de faire la révolution».
Politiquement, le Tet montrait que les impérialistes
n’étaient pas invincibles; de plus, ceux et celles qui les
combattaient au Vietnam, à la différence de l’Irak
aujourd’hui, étaient politiquement de gauche. Des
socialistes de différents horizons pouvaient sympathiser avec
ces combattant-e-s, même s’ils avaient des critiques envers
le PCV. Le Vietnam était aussi largement perçu comme une
révolution sociale, et non comme une lutte de libération
nationale seulement. Le Tet donnait un nouvel élan à une
interprétation du monde d’un point de vue de gauche et
contribuait à développer une atmosphère favorable
à la discussion de thématiques anti-impérialistes
et socialistes révolutionnaires, spécialement parmi la
jeunesse.
Bilan à long terme
Richard Nixon prend ses fonctions en janvier 1969 et engage
immédiatement des négociations qui conduisent au retrait
de la plupart des troupes US en 1973. Depuis lors, ce n’est plus
qu’une question de temps pour que le gouvernement sud-vietnamien
s’effondre et que le pays soit réunifié, en mai
1975.
Le commentateur social britannique Will Hutton prétend que le
résultat réel de la guerre du Vietnam a
résidé dans la capacité des Etats-Unis
d’entraver la victoire du PCV jusqu’en 1975,
empêchant une série d’Etats d’Asie du Sud-Est
de succomber au communisme.12 Comme toute histoire contrefactuelle, il
n’y a aucun moyen de prouver quoi que ce soit à ce propos.
Mais même si cela était vrai, il leur en aurait
coûté un prix énorme. La capacité des
Etats-Unis d’intervenir ailleurs fut extrêmement
réduite pour une génération. Les dépenses
militaires financées par le déficit public
suscitèrent une forte inflation dans l’économie
mondiale et le déclin du dollar qui, à leur tour,
contribuèrent fortement à la récession
internationale de 1974-75. Les Etats-Unis avaient été
forcés de s’engager dans une guerre impérialiste
très choquante, contribuant à transformer les termes
«impérialisme US», d’un cliché de
gauche en une réalité vivante pour des centaines de
milliers de personnes. La guerre suscita un mouvement anti-guerre de
masse, au sein duquel les traditions de solidarité
internationales furent reconstruites, après avoir largement
disparu depuis la guerre civile d’Espagne. Et, de façon
non moins importante, elle permit aux forces socialistes
révolutionnaires des pays impérialistes de prendre la
tête d’un mouvement de masse, et ceci pour la
première fois depuis les années 30.
* Article paru dans International Viewpoint Online
Magazine, janvier 2008. Phil Hearse écrit dans Socialist
Resistance en Angleterre; il est responsable du site Marxsite
(www.marxsite.com).
1 En particulier celle dirigée par le
nationaliste radical Amilcar Cabral dans les îles du Cap Vert.
2 Environ 150 avions alliés ont
été abattus par les Irakiens dans la geurre de 1991 et
seulement une poignée en 2003.
3 Michael Maclear, Vietnam: The Ten Thousand Day War, Londres, Thames Methiuen, 1981.
4 Ibid., p. 334
5 Gabriel Kolko, Vietnam, Anatomy of a War, 1940-1975, Harper Collins, 1986, p. 200.
6 La population urbaine passa de 21% en 1960 à 43% en 1972.
7 Le Front Farabundo Marti de libération
nationale était la coordination révolutionnaire
salvadorienne.
8 Les sources de Kolko pour affirmer cela sont des
écrits de dirigeants du PCV après les
événements — qui peuvent contenir quelques
rationalisations a posteriori.
9 La bataille décisive de 1954 qui boutera finalement les Français hors du Vietnam.
10 Le Vietnam a été la première «guerre d’hélicoptères».
11 Vietnam Documents and Research Notes, Saigon, mars 1968.
12 Voir son livre The Writing On the Wall: China and the West in the 21st Cdentury, Little, Brown, 2006.