Centenaire de la naissance de Simone de Beauvoir

Centenaire de la naissance de Simone de Beauvoir
Inlassablement, se battre pour la liberté des femmes

En sortant du film It’s a free World de Ken Loach, nous
étions plusieurs à nous croiser ce samedi soir,
écrasé-e-s par la dure réalité du
présent. Notre temps est lourd… Il l’était
aussi en 1967, après les horreurs de la guerre
d’Algérie. Deux personnalités
célèbres l’ont éprouvé
profondément. Au colloque marquant le Centenaire de la naissance
de Simone de Beauvoir, organisé par Julia Kristeva à
l’Université Paris 7, Madeleine Gobeil, a montré
pour la première fois son reportage, réalisé en
1967 pour Radio-Canada avec Claude Lanzmann: Portrait croisé de
Simone de Beauvoir et de Jean-Paul Sartre. Un couple dans la
soixantaine, qui exprime ses désillusions, son retrait de la vie
active, se prépare à une vieillesse inutile.
Beauvoir et Sartre après 68

Nous connaissons la suite: 1968 éclate dans une «France
qui s’ennuie»; Sartre va s’engager aux
côtés des étudiant-e-s, haranguer les
ouvriers-ouvrières à Boulogne-Billancourt, distribuer La
Cause du Peuple dans la rue, se faire arrêter, etc…, et
Simone de Beauvoir va découvrir les féministes qui ont
été inspirées par Le deuxième sexe. Lors du
colloque, plusieurs de ses amies ont raconté comment, jeunes
militantes du MLF, elles étaient conviées, ravies et
intimidées, chez la grande dame de la philosophie qui leur
demandait comment militer. Un rapport très particulier
s’instaurait entre elles: l’inspiratrice de la
libération des femmes dispensait son savoir et ses analyses et
les jeunes l’entraînaient à l’action de rue.
Simone de Beauvoir prenait aussi des responsabilités de
présidence d’associations, donnait son nom comme caution,
finançait des projets, ouvrait les portes de la revue Les Temps
modernes à une rubrique sur le féminisme ordinaire.

Les images de la vieille dame si digne parmi la foule joyeuse des militantes sont parmi les plus émouvantes qui soient.

Tempête d’images

Images des films de Carole Roussopoulos, d’Alice Schwarzer, de
Delphine Seyrig et d’autres, projetées par le Centre
audiovisuel qui porte son nom. Les belles images (1966) qui cachent les
tristes réalités: son roman sur l’hypocrisie du
mariage. Une autre image d’elle, qui a provoqué la
colère lors de ce colloque: Le Nouvel Observateur a
racolé sa clientèle en publiant en couverture une photo
de Simone nue prise par surprise dans une salle de bain, en 1952, par
le photographe américain Art Shay. Photo retouchée pour
mettre les fesses de la philosophe au goût du jour!
«Combien de fesses de philosophes avez-vous déjà
vues? Quel est le premier philosophe du XXe siècle dont le corps
nu soit exposé à la vue de tous, chez les marchands de
journaux?» Les Chiennes de garde ont dénoncé cette
atteinte à la dignité de la grande penseuse et sont
allées crier leur indignation devant la porte du magazine:
«Nous demandons à Jean Daniel de nous faire des excuses
et, sinon, de nous montrer ses fesses». S’il fallait encore
se conforter sur la nécessité de lutter contre le
sexisme, la preuve en était vite faite!

Tout au long de ce colloque, chercheurs et chercheuses d’Europe,
du Canada, des Etats-Unis, du Brésil, d’Afrique du Sud et
de Chine nous ont prouvé que les études beauvoiriennes se
développaient et que Simone de Beauvoir était enfin
reconnue comme philosophe à part entière. Nombre de
jeunes universitaires travaillent actuellement sur les divers essais
autobiographiques et sur Le deuxième sexe, racines du
féminisme des MLF, mais aussi sur les écrits
littéraires de Simone de Beauvoir. On voit se dessiner dans le
monde un regain d’intérêt pour la cause des femmes.
Après le rejet des années 90, l’espoir renaît.

Enfin, ce colloque a créé un prix international Simone de
Beauvoir «pour la liberté des femmes»
attribué cette année à Ayaan Hirsi Ali et Talisma
Nasreen, deux battantes de la liberté dans des contextes
musulmans particulièrement durs.

Maryelle Budry


Beauvoir a influencé la philosophie de Sartre

Dans Ciné-journal suisse au féminin (1940-1975), un film
réalisé par Anne Cunéo et Lucienne Lanaz qui
montre comment les femmes étaient représentées en
Suisse dans les actualités filmées, on trouve une
actualité tournée en 1946, à l’occasion
d’une visite de Beauvoir et de Sartre à Genève.
Alors que l’image montre le couple du début à la
fin de cette séquence, le commentaire du journaliste ne
mentionne à aucun moment le nom de Beauvoir: «Après
d’autres écrivains de talent, la Suisse a reçu
récemment la visite de Jean-Paul Sartre». Silence
significatif, dans l’air du temps passé….

Du vivant de Sartre, mais bien après et même souvent
aujourd’hui en encore, Simone de Beauvoir est définie
comme «la compagne de Sartre». Ce n’est pas faux,
bien sûr, puisque le couple s’est formé en 1929 et a
vécu en union libre jusqu’à la mort de Sartre en
1980. Mais il ne viendrait à l’idée de personne de
présenter Sartre comme «le compagnon de Beauvoir»
pour expliquer qui il est. Qu’elle ait pu influencer ses
idées a mis plus long encore à être admis. Et
pourtant… Avec un peu de bonne foi, et de travail, on peut montrer
que Simone de Beauvoir marque non seulement l’histoire de la
philosophie et du féminisme, mais qu’elle a bel et bien
influencé la philosophie de Sartre. C’est à cette
démonstration que se sont livrés avec brio plusieurs
chercheuses et chercheurs, dont Christine Daigle et Michel Kail.

Dès son premier essai de philosophie Pyrrhus et Cinéas
(1944), Simone de Beauvoir pose la problématique de
l’altérité, en situation, dans une perspective
historique qui sera approfondie dans Pour une morale de
l’ambiguïté (1947) et dans Le Deuxième sexe
(1949). Or ce n’est qu’avec La Critique de la raison
dialectique (1960) que Sartre proposera à son tour une lecture
matérialiste de la liberté, thématisant (enfin) le
fait que notre liberté est aliénée par la
société capitaliste…, mais laissant encore à
Beauvoir le soin d’ajouter «…et patriarcale». Que
Sartre ait lui aussi influencé Beauvoir ne faisait de doute pour
personne, mais il est des influences qui mettent plus de temps à
être reconnues que d’autres.  

Marianne Ebel