Des corps sans voiles
Sexe, publicité et nudité
La publicité exploite limage du corps nu des femmes, mais aussi des hommes… pour vendre. Nos lecteurs/trices réagissent.
Des corps sans voiles
Une femme en soutien-gorge: à Paris, dans les couloirs du métro, javais été amusé par les graffitis qui couvraient ces affiches publicitaires. Je le suis beaucoup moins en lisant les deux réactions indignées de Maryelle Budry et Richard ODonovan dans le numéro du 18 janvier de SolidaritéS.
Que la publicité mercantilise tout ce quelle touche, cest une évidence; et lon sait depuis longtemps quelle est prête à tout utiliser, si cela peut faire vendre: discours politique, religieux, antiraciste, féministe au besoin – Benetton la abondamment prouvé. Quon sinsurge là-contre, japprouve tout à fait; quon sinquiète de voir certaines valeurs détournées à des fins commerciales, bana1isées, privées de tout contenu, japplaudis à tout rompre.. Mais ce qui me gêne profondément, dans les deux lettres de protestation que vous avez publiées, cest cette fixation sur le corps nu, ou même pas; en sous-vêtement; dans un costume qui est celui quon peut voir dans nimporte quelle piscine, par exemple.
II sagit «dhonneur», déclare M. ODonovan; «Ce sont celles quon aime qui sont avilies». Car la nudité nest bonne qu «en privé et avec une ambiance appropriée». Et « le bon goût» bourgeois aurait fait des musées «les plus grandes galeries de cul». On pourrait répondre que lhypocrisie bourgeoise, au contraire, a toujours voulu que la nudité soit réservée à lespace privé, secret, mais la question est ailleurs : un corps nu est-il un corps vil. Puisquil est question dart on voudrait rappeler, dabord, que la Renaissance a exalté la nudité pour défendre un idéa1 humaniste contre certaines orientations religieuses qui niaient lêtre humain dans sa chair, jouissante ou souffrante. Même certaines représentations «obscènes», qui mettaient laccent sur le sexe du Christ, (pris entre deux doigts de la Viergc ou de sainte Anne dans des Nativités ou carrément en érection dans telle Crucifixion ou dans le Christ mort de Montegna) visaient à sou.1igner lhumanité de Jésus, le fait que son message soit destiné à chacun, du seul fait quil est homme, indépendamment de tout habit, cest-à-dire de toute position sociale. Il va de soi, de même, que la nudité du kouros et de la korê grecs na rien à voir avec le désir démoustiller le bourgeois. Mais en dehors de lart, il y eut (cétait hier) un courant naturiste qui lui aussi recherchait dans le nudisme un mode de vie plus libre, plus égalitaire même, voire édénique.
Les réactions de ces lecteurs me semblent alors extrêmement révélatrices dun nouvel état desprit néo-victorien ou néo-calviniste, qui refuse, non lexploitation généralisée de tout discours et toute image par la publicité, mais très précisément la représentation du corps nu, et du beau corps. Ainsi Maryelle Budry sen prend à ces belles jeunes femmes qui constitueraient un vivant «reproche» pour «un grand nombre de femmes rondes, ridées, brunes ou grisonnantes, à la peau colorée ou fatiguée», lesquelles se croiraient obligées de courir vers le premier institut de beauté venu. Cest rendre un bel hommage au discours de la publicité, qui paraît irrésistible; cest sincliner devant un suivisme moutonnier («Je veux être comme elle, comme lui !») devant lequel on serait plutôt enclin à sourire ! Je comprends mieux ces cités américaines réservées aux seules personnes âgées, si nous sommes incapables de voir un corps jeune et beau sans se sentir soi-même vieux et laids – au lieu de se réjouir devant cette parcelle de «beauté sur terre» (comme lécrivait Ramuz) qui nous est malgré tout laissée. Et je frémis à lidée du monde corseté que paraissent nous promettre certaines mentalités de gauche. Entre le jeune homme nu dune pub Dim que censura M. Grobet et les complets vestons de Spengler, jopterais toujours pour la beauté du corps humain en son plus simple appareil ; si elle peut minciter à offrir à lautre une image pas trop décatie, je pense que cest plutôt un bien.