Comment les PME sélectionnent les apprenti-e-s
Comment les PME sélectionnent les apprenti-e-s
Campagne pour la réforme II de
la fiscalité des entreprises oblige, les PME sont lobjet
dun flot dappréciations flatteuses. Emplois,
dynamisme, réactivité: les PME sont capables de tout et
forment la «colonne vertébrale de
léconomie» selon Hans-Rudolf Merz. Une
enquête menée dans le cadre dun programme national
de recherche (PNR 51 «Intégration et exclusion»)
vient récemment mettre un sérieux bémol à
ce concert de louanges, du moins en ce qui concerne le recrutement des
apprenti-e-s.
Lune des caractéristiques principales de la formation
duale celle qui se déroule à la fois en
entreprise et dans les cours des écoles professionnelles
réside dans le fait que pour accéder à la
formation, lapprenant-e doit dabord avoir
été engagée par une entreprise. Comme il ny
a ni droit à la formation, ni droit à lembauche,
un rôle décisif est dévolu aux procédures de
sélection et aux choix effectués par les «gardiens
de porte», comme létude1 désigne les
personnes responsables de la sélection dans les entreprises.
Pour accéder à la formation, les futurs apprenant-e-s
doivent répondre à leurs attentes. Mais quelles
sont-elles?
Première constatation de létude: les
critères de sélection ne sont pas clairement
reconnaissables: «on constate plutôt quil
sagit dune mosaïque de ressources difficilement
identifiables qui joue un rôle décisif dans la
sélection. Pour les jeunes il est par conséquent
difficile de se préparer de façon ciblée aux
procédures de sélection. Ils nont souvent pas
dinfluence sur léchec de leur candidature.»
Larbitraire règne ici en maître, amenant, par
exemple, une entreprise à attribuer, dès la prise de
contact téléphonique, des difficultés de langue
à une personne plurilingue parlant avec un accent.
Mais surtout cette pluralité des procédures et
lopacité des critères appliqués
amènent une bonne partie des candidat-e-s à essuyer
nombre de récusations. Certain-e-s ne trouvent une place
quaux alentours de leur 100e candidature! Ces refus
récurrents affligent et frustrent évidemment les jeunes,
qui ont alors besoin de personnes de référence pour les
motiver et les conseiller dans cette quête constamment
recommencée. Il faut surtout les protéger, en
évitant quils ne se considèrent eux-mêmes
comme la principale cause de leur échec. Dès les premiers
pas dans le monde du travail, le dégât social est en
marche
Scolarité: la banalité est recommandée
Les compétences scolaires jouent un rôle mineur dans
lattribution des places dapprentissage dans les PME. La
conformité aux attentes de lentreprise (essentiellement:
contribuer à la production et ne pas porter atteinte à
son bon déroulement) est prioritaire. Le certificat de fin
détudes sera simplement interprété comme un
indicateur de laptitude du candidat à suivre
lécole professionnelle. Dans lexamen global des
notes, de lécole et de la filière suivie,
létude met en lumière la règle suivante:
«éviter le plus possible ce qui sort de
lordinaire». Les bons élèves sont en effet
traités avec scepticisme, soupçonnés
dentretenir de plus hautes aspirations et de ne pouvoir
être gardés à la longue dans lentreprise.
Systématiquement relativisées, les performances scolaires
passent après lintérêt pour
lentreprise et la place dapprentissage, voire même
lapparence physique et le domicile du candidat ou de la
candidate. La «compétence sociale» et
lentente avec léquipe de travail, la
nationalité peuvent aussi passer en priorité.
Il est même des caractéristiques scolaires quil
vaut mieux ne pas trop exhiber dentrée: cest le
cas pour les jeunes issus de lenseignement
spécialisé, dont la mention nourrit les
préjugés sur la personnalité du jeune et sur son
environnement familial. Pour éviter dêtre
systématiquement recalés, ces jeunes postulent donc
dès labord aux places dapprentissage aux exigences
inférieures. Là où les doutes sur leurs
capacités à suivre lenseignement professionnel
sont les plus bas et là où la prégnance de la
priorité à ladaptation à lentreprise
est la plus forte.
Lexclusion des jeunes dorigine étrangère
Les discriminations à lembauche en fonction du patronyme
sont bien connues (voir larticle Discrimination à
lembauche: ces invisibles visas pour lemploi,
solidaritéS no 67 du 17.05.2005). Elles existent aussi en ce qui
concerne laccès à la formation, puisque la
règle numéro 1 des PME semble bien être «On
écarte simplement du chemin tout ce qui pourrait causer des
problèmes», comme lexplique un dentiste
interrogé. Donc pas de travail supplémentaire
daccompagnement, pas de réduction trop forte des
tâches productives, ni mise en danger de la vente dun
produit ou dune prestation de services. Et les
préjugés xénophobes jouent à plein dans
lanticipation de ces éventuelles perturbations: les
jeunes originaires de pays ne faisant pas partie de lUnion
européenne (Kosovo, Serbie, Monténégro,
Macédoine, Bosnie, Croatie et Turquie), les «vrais
étrangers», sont les premiers concernés par cette
mise à lécart. Si les «déficits
linguistiques ou scolaires» sont ici souvent
évoqués pour justifier cette discrimination, la
priorité donnée à lembauche
dautochtones est aussi avancée. Cela permettrait une
meilleure entente dans lentreprise ou relèverait de la
tradition familiale et helvétique. Dautres justifications
sont plus perverses encore. Ainsi, ce cabinet dentaire qui voulait
éviter dattirer une clientèle albanaise en
engageant une apprenante de même origine.
Lenquête atteste de labsence de tout fondement
objectif ou logique des reproches ainsi faits aux apprentis
dorigine étrangère. Les célèbres
«mauvaises expériences» invoquées à
tout bout de champ, se sont dans lécrasante
majorité des cas passées ailleurs et relèvent bien
davantage du colportage xénophobe que de la connaissance directe.
Cette ségrégation enclenche un cercle vicieux: les jeunes
migrants doivent faire davantage de postulations, avec moins de temps
pour les affiner, pour des places plus éloignées de leur
lieu de domicile (facteur négatif pour les entreprises), durant
une plus longue période et toujours plus tardivement dans
lannée. Au moment donc où les offres
dapprentissage sont au plus bas. Lidéologie de la
performance vient alors constamment leur susurrer à
loreille que sils ne trouvent rien, cest
quils sont mauvais. A partir de là,
«lexclusion pratiquée par les entreprises peut
mener les personnes concernées à une
auto-exclusion».
Ainsi va la vie réelle dans les PME dont on voudrait que dépende notre bonheur.
Labrégé de la recherche «La sélection
des apprentis dans les PME» rédigé par lun
des auteurs, Christian Imhof, a été publié par
lInstitut de Pédagogie Curative de
lUniversité de Fribourg: www.lehrlingsselektion.info/