This is a girl-girl thing... Ani DiFranco
This is a girl-girl thing
Quelle plaise ou quelle dérange, beaucoup continuent à la juger à laulne de sa paire de chromosome XX. En réalité, Ani DiFranco refuse les clichés et cherche à saffirmer comme un être humain doué de conscience et donc révolté contre toutes les injustices de nos sociétés patriarcales et capitalistes.
Née en 1970 à Buffalo, Ani DiFranco a commencé sa carrière musicale dans des bars. De la tradition folk, elle garde lattrait de lintimité des petites salles. Aujourdhui encore, bien quétant dune productivité hors du commun (seize albums en 10 ans et un double à venir), elle considère la scène comme lessentiel de son travail, comme le lieu où elle peut réellement faire passer son message, sa poésie. Et il est vrai que cest une expérience dune toute autre intensité que dassister à un de ses concerts par rapport à lécoute de ses disques. Le 5 février dernier, à la Cigale à Paris, elle a une nouvelle fois transporté son public avec une énergie et une présence sur scène incroyable. Cest à se demander où est-ce quelle trouve les ressources pour mener à bien ses quatre à six tournées annuelles de part le monde et de continuer à, infatigablement, écrire, produire, enregistrer.
Une artiste féministe
Ani DiFranco est une artiste hors du commun. Dans la tradition des Woody Guthrie, Pete Seeger et Phil Ochs, ses textes ont un sens, ils sont socialement engagés. Féministe, elle lutte contre le patriarcat, le machisme, pour le droit des homosexuel-le-s à une reconnaissance et au respect. Mais ses textes ont également pour cible la société de consommation, les médias, les «maîtres de la guerre», le racisme ou lintolérance. Renouant avec cette tradition de «protest song», Ani DiFranco peut faire preuve de poésie, tout comme elle peut être directe et choquante. Sur la guerre, elle écrit: «tout ce que je sais, cest que ceux qui vont être tués ne sont pas ceux qui dirigent au Capitole; ne rejoins pas le front de leur guerre, ça ne vaut pas la peine de mourir pour ces trous du cul». Directe, elle lest également lorsquelle attaque les multinationales, contre lesquelles elle lutte «depuis quelle a commencé à avoir des poils pubiens»
Qui refuse toute étiquette
Combattant la peine de mort, la prolifération des armes, le rejet des immigrés et des réfugiés, Ani DiFranco lutte surtout contre larrogance et la bêtise machiste de certains hommes envers les femmes. Dénonçant lhabitude courante des hommes de voir derrière le sourire dune femme lopportunité de pouvoir posséder son corps, elle plaide pour des rapports humains (professionnels, amicaux, amoureux ou sexuels) basé sur lhonnêteté et le respect. Dans une interview lors de laquelle un journaliste lui demandait ses préférences sexuelles, à savoir, si elle était «bi», comme on dit, elle a simplement répondu quelle aimait des individus, indépendamment de leur sexe, que cétait la personne et sa personnalité qui lintéressait et quaprès, au niveau sexuel, elle trouvait toujours de quoi sépanouir
Et cest précisément en refusant toute étiquette, hétéro, homo ou bi, quelle défend le respect de chacune et de chacun au-delà de ses «préférences», le respect de lamour.
Toute la puissance des convictions féministes dAni DiFranco vient de la dénonciation de loppression des femmes, sans pour autant adopter une attitude discriminante contre les hommes en tant quhommes. Il sagit de dénoncer une société qui ne tolère pas la différence, et qui impose, tant aux hommes quaux femmes, des rôles qui ne leur correspondent pas et qui servent à lasservissement du sexe dit «faible» à celui prétendu «fort».
Righteous babe Records
Le refus de la soumission, de toute soumission, le rejet de la société capitaliste dans laquelle nous vivons, a amené Ani DiFranco à toujours repousser les offres des requins des multinationales de la musique. Elle a donc créé sa propre maison de disque, Righteous Babe Records qui, non seulement produit ses disques, mais également ceux de différents artistes engagés qui refusent de bosser pour engraisser les patrons de la CBS. Bien que peu connue en Europe, lengouement des jeunes aux Etats-Unis et au Canada pour Ani DiFranco est rassurant. Elle augure dun éveil que des Spice girls ou autre Madonna sont à mille lieues de susciter chez les jeunes. Ani DiFranco ne cherche pas à dire au femmes ce quelles doivent faire ou non, elle espère simplement que «quelque part, une femme écoute ma musique, et que ça laide dans son quotidien».
En ayant travaillé avec Utah Phillips, elle a permis à de nombreux jeunes de redécouvrir une tradition musicale engagée et anticapitaliste. Tout lattrait de cette jeune artiste est de nous faire nous poser des questions sur lordre des choses, sur la société dans laquelle nous vivons. Elle apporte un grand bol dair frais quil vous appartient de découvrir à travers ses disques, et si vous en avez lopportunité, à loccasion de ses concerts.
Discographie
Vous trouverez ci-dessous une présentation des différents albums dAni DiFranco. Il est évidemment impossible de les détailler tous et le meilleur moyen de découvrir cette artiste est de finir rapidement la lecture de cet article et daller acheter, si possible chez un petit disquaire indépendant plutôt quà City Disc ou à Fréquence Laser, un ou plusieurs de ses albums. A noter que le 10 avril sortira, aux Etats-Unis, un double album («Revelling and Reckoning»Ani DiFranco, Righteous Babe Records / Cooking Vinyl, 1990.), qui devrait être disponible en Europe quelques semaines plus tard.
Not so soft, Righteous Babe Records / Cooking Vinyl, 1991.
Ce sont les deux premiers albums dAni DiFranco. De pure tradition folk, ils ont été réalisés alors quelle avait 20 ans. Sans détour, mais toujours avec poésie, Ani aborde les questions relatives aux conditions des femmes «dans un monde dhommes». Avec tendresse, elle parle damour et avec rage elle dénonce loppression du patriarcat, quelle soit sociale ou interne au couple. Elle critique également la société américaine et sen prend aux seigneurs de la guerre dans «Roll with it». Ani montre quelle nest pas une féministe «corporatiste», mais une femme consciente, rebelle et farouchement opposée à cette société qui oppresse les femmes, mais aussi les hommes.
Imperfectly, Righteous Babe Records / Cooking Vinyl, 1992.
Ce troisième album est musicalement plus puissant que les deux premiers. Le folk tranquille se muscle et soriente vers le rock, exprimant de mieux en mieux la rage de lartiste. Avec «What if no ones watching», Ani remet Dieu à sa place, saffranchissant des fantasmes religieux en défendant la libre conscience des femmes et des hommes de ce monde. «Every State line» est une critique aiguisée contre cette société américaine pleine darrogance et de mépris envers, les étrangers, les jeunes, les femmes, et toutes celles et tous ceux qui sont «différents».
Like I said, Righteous Babe Records / Cooking Vinyl, 1993.
Ce disque est une compilation de chansons de ses 3 premiers albums.
Puddle dive, Righteous Babe Records / Cooking Vinyl, 1993.
Out of range, Righteous Babe Records / Cooking Vinyl, 1994.
Folk, rock, punk? Difficile de définire le style de ces disques et de ceux qui vont suivre. Ani est arrivée à un genre musical «bien à elle», où douceur et violence se marient, où tendresse et passion ne font quun. A noter particulièrement «Blood in the Boardroom», chanson très crue sur les multinationales, dominées par les hommes, et qui ont le pouvoir de tuer au nom du profit, et les femmes qui, a défaut de pouvoir diriger le monde, ont le pouvoir de donner la vie
Les chansons «Buildings and bridges», «Letter to a John», «Face up and sing», «you had time» ou «If he tries anything» sont lexpression du ras-le-bol des femmes dêtre enfermée dans le rôle que notre société patriarcale leur impose. Les hommes et les femmes sont effectivement différents, mais ni lun ni lautre nest meilleur et, nen déplaise à certains mâles, les femmes sont libres de vivre et daimer comme elles lentendent
Not a pretty girl, Righteous Babe Records/Cooking Vinyl, 1995.
Dilate, Righteous Babe Records / Cooking Vinyl, 1996.
Résolument engagé, ces disques abordent toujours les mêmes thèmes. «Tip Toe» est un texte sur la contraception et la liberté des femmes dêtre maîtres de leur corps. «Shy», «Sorry I am» et «Light of some kind» touchent à lamour, difficile et cruel, au sexe sans lendemain, à toutes ces expériences qui ne semblent que laisser des blessures. «Not a pretty girl» est lexpression du refus dêtre, comme les autres et particulièrement les hommes souhaiteraient que les femmes soient, lexpression de la volonté dêtre soi-même, «plus quune jolie fille». Enfin, «The million you never made» et «Dilate» sont deux majestueux bras dhonneur aux multinationales de la musique qui ne gagneront jamais un centime avec Ani DiFranco.
More joy, less shame, Righteous Babe Records / Cooking Vinyl, 1996.
Cinq versions de chansons remixées («Joyful girl» et «Shameless») et une version de «Both hands» en concert.
Living in a clip, Righteous Babe Records / Cooking Vinyl, 1997.
Double album «live» excellent! Une acquisition à faire pour se rendre compte de la puissance dAni DiFranco en concert
The past didnt go anywhere, Righteous Babe Records / Cooking Vinyl, 1997.
Fellow workers, Righteous Babe Records / Cooking Vinyl, 1999.
Deux albums en collaboration avec Utah Phillips1. On y trouve des chansons telles que «Direct action», «Pie in the sky», «Bread and Roses» ou «Joe Hill».
Little Plastic castle, Righteous Babe Records / Cooking Vinyl, 1998.
Un disque plus calme que Dilate. «Fuel» est une chanson fabuleusement critique sur la société américaine, ses présidents interchangeables, quils soient démocrates ou républicains. Une critique sur les médias, sur la compétition et sur la peine de mort. Un appel à la révolution
«Theres a fire thats just waiting for fuel» !
Up, Up, Up, Up, Up, Up. Righteous Babe Records / Cooking Vinyl, 1999.
To the teeth, Righteous Babe Records / Cooking Vinyl, 2000.
De tendance plus blues, jazz et funk, les deux derniers albums dAni DiFranco contiennent des textes profonds, tels que «tis of thee», sorte dexcuse envers les pauvres, les blacks, pour tout ce que la société américaine leur a fait et continue à leur faire subire. A noter aussi «angry anymore», texte personnel où Ani sadresse à son père, et enfin «up up up up up up», qui est un appel à être debout, à saffirmer comme être humain responsable et à ne plus sagenouiller devant quelque dieux ou maîtres que ce se soit. «To the teeth» est un plaidoyer contre les armes, dans un pays «armé jusquaux dents» où les enfants sentre-tuent.
Swing set, Righteous Babe Records, 2000.
Ce disque comprend notamment des interprétations magnifiques de «do re me» de Woody Guthrie, de «When Im gone» de Phil Ochs et de «Hurricane» de Bob Dylan.
1 Voir «Its bread we fight for, but we fight for roses too», solidaritéS n°118, p. 26, 5 décembre 2000