Adieu Arturo !
Adieu Arturo !
Un brigadiste de la Guerre dEspagne sen va, Arthur Friedli nous a quittés quelques jours avant le printemps, il était devenu Arturo en sengageant dans les Brigades internationales.
Cétait un brigadiste au grand cur, les plis de son âme restaient marqués par les durs combats quil avait vécu, leurs traces restaient gravées dans son bras; mais aussi par le souvenir inoubliable, brûlant de son contact avec le peuple andalou.
Javais rencontré Arturo en 1986 alors que je préparais une série démissions pour la Radio Suisse Romande, consacrée à la Guerre et à la Révolution en Espagne. Il me racontait, comme sil lavait vécu hier, son passage de la frontière espagnole en décembre 1936. Depuis Perpignan, un car avait emmené des volontaires venus de toute lEurope sengager dans les Brigades internationales pour soutenir la République attaquée par Franco aidé par Hitler et Mussolini. Cest dune voix tremblante démotion quil me racontait avoir entendu chanter lInternationale en toutes les langues, dans la nuit.
Retour brutal
Né à Burgdorf il y a 87 ans, dans une famille de 13 enfants, il avait connu la misère et se souvenait encore des sanglots de sa mère qui ne parvenait pas à acheter du lait pour son petit frère en 14-18. En Espagne, il avait vu la générosité dun peuple, et parlait encore avec admiration de ce paysan andalou qui lui cédait sa nourriture!
«A notre retour, on a été accueillis comme des chiens!» racontait-il avec colère. Arthur Friedli a été condamné par les juges militaires à six mois demprisonnement et deux ans de privation de ses droits civiques! A sa sortie du pénitencier de Wizwill, un ordre de marche lattendait, la mob commençait pour lui.
Dès lors, il dut veiller à dissimuler son passé de brigadiste. Son fils mexpliquait que lorsque Arturo travaillait à la Tribune de Genève comme relieur, la direction, composée de gradés de tous poils, aurait vu dun très mauvais il le passé «espagnol» de cet employé. Même ses enfants napprirent que très tard lorigine de la blessure au bras de leur père !
A son procès, le juge ne se contenta pas dinvoquer son engagement dans une armée étrangère pour le condamner. Il lui reprocha aussi de ne pas avoir accompli ses cours de répétition, de ne pas avoir payé sa taxe militaire, de ne pas sêtre présenté à linspection annuelle, et même de ne pas avoir fait ses tirs militaires. Le juge dut reculer, Arturo navait pas de fusil dans larmée suisse, il était dans la fanfare! Arturo le pacifique savait que cette guerre, il fallait la faire, quelle pouvait être gagnée. Hitler pouvait être mis en échec; et si son allié Franco perdait en Espagne, le cours de lHistoire aurait été totalement différent!
Sa mémoire va nous manquer, à lheure où les couleurs du passé se confondent dans le moule consensuel de la pensée unique. Son esprit critique, toujours curieux de ce qui se tramait en ce monde, son humour aussi!
Arturo me racontait un épisode qui lavait stupéfié, cela se passait lors dun récent premier mai. Dans le parc des Bastions, un de ses amis le présente à lune de ses connaissances: «Arthur qui sest engagé en Espagne». Cet inconnu lui demande «dans quel camp?» Question impensable il y a peu. Mais les temps ont changé ! Au Conseil municipal de la Villes, on a entendu dernièrement, lors des débats sur la construction dun monument aux Brigadistes, un libéral déclarer que la Ville de Genève ne pouvait leur rendre hommage …étant donné que, tout compte fait, les brigadistes se battaient avec lUnion soviétique:
«Ils avaient choisi le mauvais camp! Le récent Livre noir a montré que lURSS était la pire forme de totalitarisme!»
Reconnaissance
Cest avec une grande satisfaction quil me racontait son voyage en Espagne, où il fut reçu aux Cortès, les témoignages damitié quil reçut de Ruth Dreifuss…
En 1936, la frange la plus vaillante du mouvement ouvrier suisse – ils étaient près de huit cent – répondit à lappel de la République espagnole étranglée, linternationalisme se vivait. Arturo lincarnait!
A lheure de la mondialisation cet épisode mérite dêtre gravé dans nos mémoires.