La mobilisation contre la guerre du Vietnam au cœur des mouvements de 1968 en Suisse

La mobilisation contre la guerre du Vietnam au cœur des mouvements de 1968 en Suisse

L’opposition
à l’intervention US au Vietnam est l’un des axes centraux du cycle de
contestation mondial des années 1965-1975. En Suisse aussi, la
contestation s’organise autour de la dénonciation de cette guerre et de
l’alignement helvétique sur la politique de Washington.

Aux
Etats-Unis d’abord, la convergence entre la lutte des Noirs et la
dénonciation de l’intervention au Vietnam donne lieu à un véritable
mouvement de masse. Mais l’extraordinaire brutalité de cette guerre,
qui voit la première puissance militaire du monde frapper la population
civile d’un pays pauvre, provoquera des réactions dans le monde entier.
Au Japon, les étudiant-e-s se mobilisent pour dénoncer l’utilisation de
la base américaine d’Okinawa pour le décollage des B52 qui larguent
leurs bombes sur le Nord-Vietnam; au Mexique, la contestation de
l’impérialisme américain en Indochine est au centre du mouvement de
1968; à Prague, Jan Palach s’immole pour protester contre l’invasion
soviétique, comme les bonzes de Saigon, mais il condamne dans un même
souffle les bombardements US sur le Vietnam; en Allemagne et en France,
le massacre de paysans vietnamiens sans défense, des vieillards, des
femmes et des enfants du village de My Lai, en mars 1968, est dénoncé
par d’importants rassemblements.

En Suisse aussi, l’opposition
contre la guerre du Vietnam sera un important moteur de la nouvelle
mobilisation politique. La protestation s’inscrit dans la continuation
du mouvement pacifique et anti-atomique qui avait émergé durant la
décennie précédente, notamment autour des marches de Pâques. Après des
actions et des prises de position sporadiques qui ont lieu depuis le
début de l’intrusion militaire américaine, la dénonciation devient plus
visible à partir de 1966, quand sont créés des comités Vietnam dans
plusieurs villes. Ces premières actions visent surtout à demander une
intervention du gouvernement suisse, notamment pour proposer ses bons
offices et ainsi favoriser des négociations de paix. Des campagnes
menées par des organisations humanitaires, comme la Centrale Sanitaire
Suisse ou Terre des Hommes, pour rendre attentif à la détresse de la
population vietnamienne rencontrent un écho considérable. Ainsi, le 9
mai 1968, une action de Caritas en faveur du Vietnam recueille 50 000
Fr. dans toute la Suisse.

Les nouveaux mouvements de
contestation qui émergent à partir de 1968 radicalisent leur critique
en dénonçant, à travers le conflit asiatique, la nature impérialiste et
répressive du système capitaliste. Les protestations se dirigent en
premier lieu contre le gouvernement américain et son intervention
illégitime et brutale au Vietnam. Mais l’alignement de facto de la
Suisse sur la politique américaine fait également l’objet de violentes
critiques. En effet, quelle politique est menée par la Suisse
officielle à l’égard du Vietnam? Tout d’abord, Berne reconnaît le
Vietnam du Sud en 1958 et y installe un Consulat général. Durant treize
ans, c’est-à-dire jusqu’à la reconnaissance du Vietnam du Nord en 1971,
Berne entretient des relations officielles uniquement avec le régime du
Sud, sous contrôle américain.

Etat vassal des USA…

Cette
orientation unilatérale de la politique extérieure suisse s’exprime
aussi sur le plan commercial. Les exportations suisses, dirigées quasi
exclusivement vers Saigon, s’intensifient durant le conflit; ainsi,
leur valeur se voit-elle multipliée par six, de 1965 à 1969. La Suisse
participe aussi directement à l’effort de guerre des Etats-Unis en leur
livrant différents produits stratégiques. Des avions Pilatus-Porter
sont d’abord exportés à Washington et produits ensuite sous licence sur
place; ils seront mis à contribution dans la guerre en Indochine. Un
rôle important est aussi joué par les pièces d’horlogerie exportées par
la Suisse et qui servent à la fabrication d’armes et d’explosifs que
l’armée américaine utilise au Vietnam.

C’est aussi ce soutien
helvétique à la politique américaine qui est attaqué par les
militant-e-s suisses. En avril 1968, Max Frisch écrit dans la presse
que la position officielle de neutralité affichée par la Confédération
dans le conflit du Vietnam équivaut au silence d’un Etat vassal,
enclave à l’intérieur de l’empire américain. Durant ce même printemps,
un drapeau Vietcong est hissé sur le toit des locaux de la Neue Zürcher
Zeitung. Il s’agit de dénoncer les reportages de guerre mensongers et
proaméricains de ce grand journal bourgeois. Quelques jours plus tard,
une action a lieu devant le siège zurichois de Dow Chemical, firme qui
produit le Napalm et l’Agent orange, utilisés par l’armée américaine au
Vietnam, et qui provoquent des souffrances atroces pour la population
vietnamienne. Des drapeaux Vietcong sont hissés sur les cathédrales de
Lausanne et de Berne. Dans plusieurs villes enfin, des actions
politiques sont organisées devant les cinémas qui projettent des films
apologétiques de l’armée US, tels que The Green Berets.

Rôle central de la gauche radicale

Une
très importante manifestation est organisée pour la journée nationale
du Vietnam, le 22 juin 1968, mobilisant des milliers de personnes dans
les grandes villes suisses. Malgré ce succès retentissant, le mouvement
ne retrouvera plus cette unité d’action par la suite et la tentative de
créer un Comité Vietnam national échouera. Toutefois, dans les
différentes régions, les actions se poursuivent et s’intensifient. Les
organisations de la Nouvelle Gauche, notamment les POCH en Suisse
alémanique, le PSA au Tessin, de même que la Ligue Marxiste
Révolutionnaire dans plusieurs cantons, Rupture pour le Communisme à
Lausanne ou le Centre de liaison politique à Genève, vont tous faire de
la dénonciation de la guerre et du soutien au FNL, un axe fort de leur
intervention politique. Le rôle désormais prépondérant de la gauche
radicale contribuera à radicaliser le discours sur le Vietnam.

Westmoreland au DMF

Une
nouvelle action nationale a lieu le 13 septembre 1969, à l’occasion de
la visite à Berne du Général Westmoreland, qui avait été Commandant en
chef américain au Vietnam, entre 1964 et 1968. Des centaines de
personnes protestent contre sa présence comme invité officiel du
Département militaire fédéral. En novembre 1971 enfin, le sommet de la
cathédrale de Lausanne est occupé: une immense banderole tendue entre
les deux tours proclame que l’Indochine est la clef de la révolution
mondiale.

La reprise des bombardements sur le Vietnam du Nord,
en 1972, provoque une nouvelle intensification de la mobilisation.
Ainsi, jusqu’à la signature des accords de Paris en janvier 1973,
l’intervention américaine en Indochine alimente de nombreuses actions
contestataires dans les villes suisses. L’opposition à la guerre du
Vietnam a ainsi été un facteur centripète essentiel pour les différents
acteurs – mouvements, organisations et groupes – qui ont marqué les
protestations des années 68 en Suisse.

Janick Schaufelbuehl