Davos, le bunker du fric


Davos, le bunker du fric


Un militant catalan, dresse un bilan politique des mobilisations anti-Davos de janvier dernier et appelle à poursuivre la mobilisation sur le thème «Wipe Out WEF!» (Balayons le WEF!).

Josep Maria Antentas*

La réunion récente du Forum Economique Mondial (WEF) de Davos, comme c’est l’habitude, depuis quelque temps, a été la cible de nouvelles protestations et mobilisations contre la globalisation capitaliste. De même que lors des mobilisations antérieures, il convient de tirer un bilan de leur développement pour identifier leurs points faibles et leurs points forts afin de pouvoir renforcer encore la dynamique actuelle de croissance des mouvements opposés à la mondialisation.


Un nouveau contexte politique


Le contexte politique dans lequel se sont développées les mobilisations était substantiellement différent de celui qui entourait les mobilisations contre Davos durant les éditions précédentes du Forum. Pour la première fois, les protestations contre le WEF se sont déroulées dans le cadre d’une dynamique de montée des mouvements sociaux antimondialisation de la période post-Seattle, et d’érosion de la légitimité sociale des principales institutions du capitalisme global.


Cela représentait une différence substantielle avec les protestations organisées précedemment qui avaient gagné cependant une importance croissante au cours de trois dernières années. De surcroît, en cette occasion, le WEF devait faire front pour la première fois à la menace idéologique du Forum Social Mondial de Porto Alegre, qui prétendait adresser au monde un message non équivoque: face à la mondialisation capitaliste, un autre monde est possible. Pour toutes ces raisons, Davos a accueilli un Forum sur la défensive, nécessitant une auto-justification publique constante.


Mobilisation régionale clé


En ce qui nous concerne, l’anti-Davos ne constituait pas une échéance de mobilisation de dimension politique et stratégique comparable à celles des grands rendez-vous internationaux de ces derniers mois en Europe (Prague et Nice), et ceci pour différentes raisons. D’une part, la localisation même de Davos, dont les accès sont aisément contrôlables par la police, handicape à l’avance la convocation de grandes mobilisations. D’autre part, l’attitude des autorités suisses ne laissait pas une grande marge de manœuvre et rendait pratiquement impossible la mise sur pied de n’importe quelle manifestation ou action revendicative. Au cours des mois antérieurs, un puissant dispositif policier avait été mis en action, le plus important de l’histoire de ce pays, de l’aveu même de la police, dans le but d’empêcher physiquement toute protestation à Davos et dans le reste de la Suisse.


L’ensemble de ces éléments ont constitué un facteur dissuasif fondamental pour l’organisation des mobilisations de l’anti-Davos. Par conséquent, celles-ci n’ont pas été choisies comme une priorité politique par les différents mouvements antimondialisation européens, comme Prague l’avait été au préalable pour des réseaux internationaux comme l’Action Mondiale des Peuples (AMP) et les mouvements anti-mondialisation de profil plus jeune, ou Nice pour des réseaux comme les Euromarches ou ATTAC.


La mobilisation était portée par les mouvements suisses et des régions frontières d’autres pays, essentiellement de France, d’Allemagne et d’Italie. De l’Etat espagnol, seulement un petit groupe d’activistes catalans était présent dans ces mobilisations. L’anti-Davos a donc constitué une mobilisation clé pour les mouvements de la région, mais il n’a pas eu la même signification au niveau international, même si l’importance propre de l’événement officiel, la réunion du WEF, a donné à ces mobilisations une importance significative en terme politique.


Autour de la Coordination anti-WTO


Sur le mot d’ordre Wipe Out WEF! (Balayons le WEF!), les mobilisations ont été organisées fondamentalement par la coordination suisse anti-WTO, articulée autour des centres sociaux les plus dynamiques du pays. La composition de ces mobilisations était à dominante jeune, avec présence forte de collectifs autonomes et présence réduite d’organisations syndicales et politiques de gauche, bien qu’en quelques endroits comme Genève, des députés de solidaritéS aient participé activement à ces mobilisations.


Parallèlement, ATTAC organisait aussi différentes activités, dont un Forum alternatif à Zurich, l’Autre Davos, avec la participation d’un millier de personnes. Des problèmes d’entente entre la Coordination anti-WTO et ATTAC ont empêché la constitution d’un cadre unitaire pour toutes ces mobilisations.


Le projet initial de mobilisation prévoyait des actions dans les villes principales du pays durant la semaine du 22 au 27 janvier, ainsi qu’une manifestation le 27 à Davos. Cependant, les actions préparatoires ont été finalement assez sporadiques, partiellement en raison du climat répressif, mais aussi à cause des difficultés d’organisation de l’expédition vers Davos. Le jour «J», bien qu’un certain nombre de manifestants soient arrivés à atteindre Davos, le gros des forces a été bloqué par la police à des kilomètres de la station. Le déploiement policier était tellement massif que, semble-t-il, Georges Soros lui-même, a eu des difficultés à accéder au Forum, stoppé par un policier mal dégrossi, peu au fait du Who’s Who du capitalisme global.


Devant l’impossibilité de se rassembler à Davos même, il a été décidé de se rabattre sur Zurich pour y manifester contre le WEF et contre l’attitude des autorités suisses. La manif de Zurich s’est ainsi transformée en acte central des mobilisations, elle a été également interdite et n’a pu normalement se tenir, compte tenu de la répression très dure à laquelle ont été soumis les manifestants. Plus de 120 arrestations attestent de cela, parmi lesquelles six camarades catalans, détenus quasiment pendant trois jours, comme les autres manifestants étrangers interpellés, sans être autorisés à voir un avocat ou appeler quelqu’un de l’extérieur. On a dénombré aussi un certain nombre de blessés par les balles en caoutchouc.


Sous le feu croisé des manifs et de Porto Alegre


Le bilan politique des mobilisations est globalement positif. En dépit de la relative faiblesse des actions réelles, elles sont parvenues, de concert avec le défi lancé par le FSM, depuis Porto Alegre, à éroder l’image et la crédibilité du WEF. La spirale répressive des jours précedant le Forum et les préparatifs policiers spectaculaires ont produit un contexte très hostile à son image. Différents secteurs de la société suisse se sont sentis de plus en plus mal à l’aise dans le climat politique et policier précédant le Forum, suscitant une certaine mise en cause publique de celui-ci, de même qu’un débat autour de l’opportunité de continuer d’en abriter les futures éditions.


Pour toutes ces raisons, bien que les protestations n’aient pas atteint une force suffisante pour menacer la tenue même du Forum, comme l’OMC à Seattle, ou le FMI et le BM à Prague, la démesure des autorités suisses, de même que l’enlisement initial du WEF et de ses promoteurs, ont contribué à le délégitimer, avant même qu’il ne célèbre ses festivités officielles. Lorsque les protestations ont commencé, l’image d’un WEF retranché et sur la défensive était déjà inévitable. La forte répression policière du 27, critiquée par une bonne partie des médias et des organisations sociales et politiques, a seulement contribué à accentuer cette perception. Paradoxalement, l’exagération et la démesure de la part du pouvoir ont contribué à accroître le prestige et à renforcer la dimension politique des mobilisations, bien au-delà de leur force réelle.


Global Leaders en quête d’une nouvelle image


Avoir réussi à ce que le WEF se montre comme un réduit transformé en bunker par les grands de la planète, voilà sans doute le plus grand succès des mobilisations, ce qui nous permet d’approfondir la dynamique actuelle de délégitimation des principales institutions du capitalisme global, bien que nous n’ayons pas encore les moyens de nous opposer à ses orientations politiques.


Ceci étant, ces institutions ont réagi plus ou moins fortement face à leur crise de légitimité par des stratégies de maquillage cosmétiques, dans l’intention de coopter quelques organisations sociales afin de relégitimer leur action. Le WEF ne fait pas exception à cette tendance et, pour cette raison, après avoir constaté l’image lamentable qu’il avait donnée, des voix de plus en plus nombreuses se sont élevées, parmi ses participants, en faveur d’une auto-réforme du WEF, réclamant une ouverture de celui-ci à la «société civile».


L’un des principaux avocats de cette posture, Jacques Attali, l’ex-conseiller mittérandiste, l’a exprimé clairement par la formule démagogique de «fusionner Davos et Porto Alegre». Face à ces chants de sirène, la nécessité de défendre une rupture radicale avec l’ordre des choses actuel doit représenter un horizon stratégique de fonds pour le mouvement antimondialisation.


Ainsi, notre message aux participants à la prochaine édition du Forum Economique Mondial devra être le même qu’en janvier 2001:

Wipe Out WEF!



* Membre de Batzac (nouvelle organisation de la gauche alternative catalane) et militant du Movimiento de Resistencia Global. Tiré de Viento Sur, journal de la Gauche Alternative de l’Etat espagnol, mars 2001. Traduction et intertitres de la rédaction.