Solution du délai : quelle campagne ?


Solution du délai : quelle campagne ?


Les Chambres ont voté en mars une nouvelle loi sur l’avortement. Si cette loi introduit le principe de la solution du délai et que certaines propositions réactionnaires du PDC ont été écartées, elle a toujours des aspects restrictifs scandaleux.
Les milieux les plus réactionnaires (PDC, OUI à la Vie, Association Suisse pour la Mère et l’Enfant, etc.) ont néanmoins lancé une campagne référendaire brutale avec par ex. le slogan «Non à la solution des délais! Infanticide comme solution!»
Nous publions ici un texte, de l’Association Suisse pour le Droit à l’Avortement et la Contraception (ASDAC), proposé par la coalition féministe FemCo comme base de discussion pour un débat national le 16 juin, sur comment intervenir dans cette campagne.
Quant à solidaritéS, nous devons discuter de cette question, centrale pour un mouvement qui s’est donné pour objectif d’être féministe. Notre coordination y a consacré un premier débat, qui doit être étendu. Dans ce sens, le sujet sera à l’ordre du jour d’une coordination élargie le 28 mai 2001 à 20h30 au local (25 rue des Gares). Tous/Toutes nos membres/sympathisant-e-s y sont bienvenu-e-s, comme le sont les contributions au débat dans nos colonnes.

Rédaction

Le «libre choix» signifie que la femme est seule juge de ce qu’elle décide. Le projet de loi sur lequel le Parlement s’est prononcé le 23 mars 2001, est bien éloigné de ce principe de libre choix, pour trois raisons:



  • La femme devra invoquer une situation de détresse.
  • Les médecins seront obligés de conseiller la femme de manière approfondie, de lui remettre une liste des centres de conseil existants et de lui donner les informations sur les conditions pour l’adoption.
  • Les cantons désigneront les cabinets et établissements autorisés à pratiquer les interruptions de grossesse.

Certes l’avortement ne sera plus punissable s’il est pratiqué pendant les [12] premières semaines de la grossesse. C’est une avancée importante, à nos yeux le seul vrai progrès du projet de loi: en effet, dans la loi actuelle, l’avortement est punissable sauf dans certaines circonstances qui mettent la santé ou la vie de la femme en danger (art. 118 à 120 CPS)


Mais le projet pour lequel nous nous battions a été dénaturé:



  • On contraint les femmes qui veulent interrompre une grossesse à déclarer une situation de détresse, on inscrit cette obligation dans la loi pénale, on justifie cette contrainte par la nécessité de donner un message éthique à la femme. Ce faisant on répète l’humiliation, on confirme que l’on ne juge pas la femme apte à assumer la décision de mener ou non une grossesse à terme alors même que cette décision engage toute sa vie, on insiste sur le fait que la femme est dénuée de morale personnelle.
  • Nous nous étonnons de ce que les médecins acceptent qu’on leur dicte dans une loi pénale l’obligation de faire ce qui n’est somme toute que leur devoir en toute circonstance: informer et conseiller leurs patientes, leurs patients. Nous avions décidé à l’époque de ne pas nous battre à la place des médecins sur cet objet. Si la loi entre en vigueur par contre nous porterons notre vigilance sur la manière dont ce conseil sera donné. Nous craignons en effet que la double contrainte, pour les femmes d’invoquer une situation de détresse et pour les médecins d’intervenir d’une manière dictée par la loi, ne favorise des situations où les médecins se donneront le droit de faire intervenir un jugement moral dans leurs conseils.
  • La désignation par les cantons des lieux où l’on pourra pratiquer des interruptions de grossesse stigmatise l’interruption de grossesse comme faisant partie d’une médecine d’exception. Une telle mesure est inique et dangereuse:




  1. Inique parce que cela permettra de maintenir les inégalités d’aujourd’hui qui font que les femmes n’ont pas accès aux mêmes possibilités selon qu’elles habitent à Genève ou à Uri.
  2. Dangereuse parce que cela exposera les femmes et le personnel soignant des endroits concernés. La discrétion ne sera pas garantie et les brimades, voire les attaques des mouvements fondamentalistes seront facilitées.

Nous avons clairement conscience que toutes ces conditions ont été mises en place en fait pour une seule raison: mettre des garde-fous, ou plutôt des garde-folles, aux femmes. Parce qu’il faut les conserver sous une tutelle qui permette de les contrôler. Dans ce pays, le libre choix d’une partie importante de la population n’est pas reconnu, dans ce pays lorsque l’on donne quelque chose aux femmes, on leur fait immédiatement payer le prix du «cadeau». Celui à payer pour la dépénalisation de l’avortement est particulièrement élevé.


La position de l’ASDAC interpelle toutes les féministes radicales: comment allons-nous faire campagne sur l’avortement cette année? Peut-on défendre un projet de loi qui continue à mettre les femmes sous tutelle (détresse)? Peut-on se battre pour une loi qui va moins loin que la pratique actuelle? Faut-il stratégiquement défendre l’avancée juridique que constituerait l’adoption du régime du délai dans le code pénal dans ces conditions?


Lorsque l’on sait que les milieux conservateurs ont lancé un référendum, que les ultra-conservateurs ont déposé une initiative qui interdit tout avortement (Initiative pour la mère et l’enfant), comment prendre position? Comment rappeler ce pourquoi se battent les féministes depuis des années?