Italie, reconstruire le champ de l'alternative, interview


Reconstruire le champ de l’alternative


Liberazione s’entretient avec le responsable du groupe parlementaire de Refondation Communiste, Franco Giordano. Il est question de la nature de la période et des priorités stratégiques de la gauche anticapitaliste, après la victoire de la droite, le 13 mai.

Rina Galiardi: Refondation Communiste (PRC) (à part les insultes) fait l’objet de beaucoup d’attention politique. Du sommet des Démocrates de Gauche (DS) jusqu’aux secteurs de la gauche alternative la nécessité de renouer avec le dialogue et la confrontation entre les gauches est envisagée. D’un autre côté, s’insinue un appel que je définirais comme «néo-frontiste»: du passé, des divergences et des différences, «faisons table rase», et unissons-nous contre le gouvernement. Qu’est-ce que tu en penses?


Franco Giordano: Je pense évidemment que le cadre politique national a changé et que cela nous pose de nouveaux problèmes: l’opposition au gouvernement Berlusconi sera très dure et très absorbante, avant tout pour des forces comme la nôtre, qui ont dans leur code génétique une aversion radicale aux politiques de cette droite, à la fois populiste et néolibérale. Je pense en outre, que les réponses qui émanent de l’Olivier en situation d’échec sont très éloignées des nécessités de l’heure: on raisonne encore une fois sur la restructuration des «contenants» (leadership, groupe parlementaire unique ou non, etc.), mais on n’affronte aucun nœud politique et stratégique. Pourquoi le centre gauche a-t-il perdu après cinq ans de gouvernement? Pourquoi, au cours de ces cinq ans, la droite ne s’est-elle pas affaiblie? Et à gauche, quel est le bilan à tirer, après dix ans exactement du tournant de la Bolognina1? Ces questions, selon moi, ne peuvent plus être différées.


R.G. Reste le fait que dans des secteurs très significatifs de la gauche modérée et des DS, on reste ouvert au dialogue envers le PRC…


F.G. Nous apprécions beaucoup l’a-mélioration du ton de ce dialogue comme une volonté déclarée de s’écouter: cela marque quand même une grande différence par rapport à ceux qui nous accusent de la défaite et opèrent ainsi une espèce de transfert psychologique. On n’échappe pas à une révision stratégique. Entre les gauches, en particulier entre la gauche libérale et la gauche alternative, il y avait avant le 13 mai des différences, des divisions et des distances: elles ne peuvent disparaître tout à coup, parce qu’elles ne concernent pas tel ou tel aspect contingent, mais l’analyse de la société italienne, les processus de globalisation, les politiques du travail, le plein emploi, l’Etat social. Nous devons partir de cela et non de la rhétorique. De ce point de vue, les variantes diverses de propositions qui circulent (de l’unité de l’Olivier à la «force du socialisme européen») risquent bien de conduire à une impasse2.


R.G. Certaines personnes nous accusent d’être trop satisfaits de notre résultat: avec 5% des voix, disent-ils, on n’arrive pas à faire grand chose. Le PRC est donc lui aussi parmi ceux qui ont échoué aux élections du 13 mais…


F.G. Le vrai problème est ailleurs: qu’est-ce que c’est que ces 5%? Ce sont les résistants? Les rescapés? Les durs? Je ne le crois vraiment pas. Les voix que nous avons obtenues expriment le début d’un rapport avec les mouvements avec lesquels nous avons commencé à travailler dès 1999. Elles expriment le signal d’une contre tendance qui doit être développée par la construction d’un champ alternatif que nous considérons depuis longtemps comme essentiel pour changer vraiment la société italienne, mais aussi pour battre vraiment la droite.


R.G. Comment considères-tu l’invitation pressante de Luigi Pintor3 à nous remettre dans la course?


F.G. J’aimerais tout d’abord savoir qu’est-ce que cette invitation signifie. Après l’échec aux élections européennes, nous ne sous sommes pas enfermés dans notre tour d’ivoire. Au contraire, nous avons commencé un parcours politique d’ouverture. Nous avons été parmi les premiers (peu nombreux) à dire oui à la proposition lancée justement par Pintor d’une nouvelle constituante de la gauche anticapitaliste. Nous avons défendu avec force, en somme, l’autonomie de ce parti et non sa soi-disant autosuffisance. Maintenant, comme je le disais précédemment, ce sont les questions stratégiques qui reviennent précisément au premier plan. Nous travaillons à la confrontation, au renouveau de paradigmes critiques, à la reconstruction de ce «champ» envahi de sujets conscients, que nous appelons le «champ de l’alternative». Nous construisons, dans cette perspective, un horizon unitaire que nous appelons «gauche plurielle». Nous posons comme terrain privilégié de cette confrontation le rendez-vous de Gênes, le contrat collectif de la métallurgie, le rapport avec les mouvements qui défient la globalisation. Voilà pour le PRC un moyen concret de se remettre dans la course: notre rôle, c’est celui-là; nous refusons d’être conditionnés par la gauche telle qu’elle est, qui serait l’unique gauche possible.


R.G. Et le débat qui est en train de s’ouvrir au sein des DS? Refondation peut-elle oui ou non jouer un rôle politique et dans quelle mesure?


F.G. Refondation doit rouvrir le dialogue avec les Démocrates de Gauche et avec la gauche libérale: ceci est indubitable. Mais pour que ce dialogue ait un sens, une efficacité, et un résultat positif, il ne peut se résoudre à une question de tactique. Avec les Démocrates de Gauche, nous devons discuter des contenus, remettre sur le tapis un point de vue critique sur la guerre et sur ce qui se passe au Moyen-Orient. Si on ne discute pas de cela, de quoi pourrions-nous donc discuter? Qu’est-ce d’autre, la politique?


* Tiré de Liberazione, 22 mai 2001. Traduction: Stéfanie Prezioso, notes de la rédaction.



  1. Il s’agit du dernier congrès du PCI qui marque la transformation de ce parti en deux branches: Rifondazione Comunista et le PDS, en 1991.
  2. Le leader de l’Ulivo, Francesco Rutelli, lui-même dirigeant de la coalition de centre-gauche La Margherita, annonce la formation d’un parti unitaire, Democrazia e libertà, tandis que la direction des DS veut tout à la fois constituer un groupe parlementaire unique avec La Margherita et rouvrir le dialogue avec PRC.
  3. L’un des fondateurs du quotidien Il Manifesto.