Dérégulation et renaissance nucléaire font bon ménage aux USA
Dérégulation et renaissance nucléaire font bon ménage aux USA
Outre ses projets militaristes, Bush sengage fermement dans la relance du nucléaire civil. On a vu la servilité avec laquelle des milieux de la droite patronale helvétique (Radicaux, UDC) se sont encolonnés derrière lui, pour remettre en cause les engagements pris à Kyoto en matière de limitation démission de gaz à effets de serre
On peut donc sattendre à ce que les fans du nucléaire helvétique reviennent à la charge avec des propositions «constructives», sengouffrant dans la porte ouverte par le Conseil fédéral avec son nouveau projet de loi atomique (LENu). Celui-ci sengrène admirablement avec le dispositif de privatisation/libéralisation de la Loi sur le marché de lélectricité (LME), qui – au vu de lexpérience américaine – ne pourra vraiment plus être présenté par certains verts ou sociaux- démocrates helvétiques, comme devant mettre un terme au nucléaire.
Il vaut donc la peine de revenir sur le feuilleton atomique aux USA. On y a vu une sinistre farce en trois actes:
- premièrement, lindustrie nucléaire américaine a déjà reçu des milliards de dollars en cadeau au titre de compensations pour les «investissements échoués» dans des centrales atomiques dont la survie économique était présentée comme devant être mise en péril par la libéralisation/dérégulation du marché de lélectricité. La facture à ce titre pour la seule Californie a été estimée à 28 milliards de dollars.
- ensuite, au bénéfice de cette même dérégulation néolibérale, des spéculateurs ont orchestré la pénurie électrique en Californie, notamment en mettant des installations de production hors-ligne au «bon» moment pour faire exploser les prix du mégawatt-heure et encaisser, encore une fois au détriment de la collectivité et du public, des milliards de dollars supplémentaires.
- troisième acte de la farce, prouvant que la seule teinte de vert que le team Bush/Cheney aime bien cest la couleur du dollar, celui-ci lance fin mai un «plan», pour faire face à la prétendue «pénurie» dénergie, savamment orchestrée, dans le pays qui en consomme et en gaspille le plus, en relançant massivement et la production dénergie, notamment nucléaire.
La France… au secours de lAmerican way of life
Rappelons que les USA consomment le quart de toute lélectricité produite dans le monde (chiffres de 1999) soit à eux seuls plus que la Chine, la Russie, la France, lAllemagne, lAngleterre et toute lAmérique latine.1 Le potentiel déconomies dénergie est à la hauteur de cette consommation gargantuesque, mais elles ne répondraient pas aux exigences de profit des multinationales dont Bush est un serviteur zélé.
Sur le chapitre nucléaire, Bush cite …la France en exemple «qui produit 80% de son électricité avec latome», alors que les USA en sont «seulement» à 20% et quaucun nouveau réacteur na été construit outre-Atlantique depuis laccident de Three Mile Island en 1979. Il annonce bien sûr «des nouveaux concepts et modèles de réacteurs qui sont plus sûrs et plus rentables que ceux dont on dispose aujourdhui». Au passage, relevons quil est amusant de voir le «libéral» Bush, partisan du «tout-au-marché», invoquer lexemple de la France et de son complexe nucléaire, réalisé dans le cadre dun programme étatique, aussi remarquable quant à sa mise en oeuvre …quantidémocratique et détestable quant à ses objectifs.
Retraitement: le come-back du plutonium
Sur la question des déchets, cest aussi lHexagone qui est invoqué comme modèle. Le Vice-président Dick Cheney – face à limpasse, aux USA comme ailleurs – quant au problème des déchets radioactifs, déclare que «Les Français ont très bien réussi, dans un environnement propre et sûr, et nous devrions être capables den faire autant.»2 Les milliers de manifestant-e-s aux quatre coins de la France, qui se sont dressés récemment contre les «solutions» quon cherche à leur imposer en la matière apprécieront! Jusquici, les 103 centrales américaines, le plus grand parc nucléaire du monde, stockent leur combustible usé sur site, dans leur piscines de refroidissement. Elles ont accumulé un inventaire de 42000 tonnes qui «senrichit» de 1700 tonnes par an. Les autorités prévoyent un forcing pour mettre en service un dépôt «final» à Yucca Moutain, au Nevada, malgré les protestations de plus en plus véhémentes des habitant-e-s de cet Etat.
Le plan Bush comporte de plus la mise à létude du redémarrage du retraitement du combustible, interdit sous Carter aux USA, derrière lequel se profile la relance des surgénérateurs. Le retraitement sera étudié «en collaboration avec des partenaires internationaux expérimentés en la matière comme la France et le Japon.» Les républicains évoquent le retraitement en invoquant le mythe abusif selon lequel il permettrait de «réduire le volume des déchets».3
Cest faux! Avec le retraitement, le volume des déchets augmente et la pollution radioactive aussi. Mais surtout ils «oublient» de parler du plutonium produit par le retraitement et du danger que cette production comme facteur de relance de la prolifération des armements nucléaires. Il est vrai que cest la perspective de cette même prolifération entre les mains dEtats renâclant devant lhégémonie US qui sert de prétexte au nouveau projet de «bouclier antimissile» américain qui transférera des milliards de fonds publics aux trusts de larmement. Des «expériences» réelles des «partenaires» internationaux envisagés, en matière de retraitement, que sont le fiasco des surgénérateurs de Superphénix à Malville ou de Monju au Japon, ainsi que de la pollution radioactive de lusine de retraitement de La Hague en Normandie ou du grave accident dans linstallation de retraitement de Tokaimura au Japon, on nen parle pas… Pas plus que du scandale des falsifications du contrôle de qualité par la British Nuclear Fuels à Sellafield, qui a interrompu la production du combustible MOX, dopé au plutonium, dans lusine britannique de retraitement. (Il faut dire que BNFL est de plus en plus présent aux USA et sine des juteux contrats avec les militaires notamment…)
La vertu au placard
En avril à Toronto, Dick Cheney, a ouvert le bal productiviste en sattaquant de front à lutilisation rationnelle de lénergie. «Economiser lénergie peut être un signe de vertu personnelle, mais pas la base dune politique de lénergie saine et globale.» a-t-il déclaré.Le porte-parole de la Maison Blanche, chargé de «préparer le terrain» médiatique au plan Bush, résumait quant à lui la pensée de son chef comme suit: «Le président pense que le niveau élevé de consommation dénergie correspond au mode de vie américain, et que lune des tâches des élus est de protéger le mode de vie américain. Le mode de vie américain est béni.»4 Pourtant, dans un sondage à la mi-mai, face à lalternative entre «préservation des ressources» et «augmentation de la production», ce sont quand même 47% des Américains répondaient en approuvant le premier terme de lalternative malgré dimportantes et récentes hausses du prix de lessence à la pompe, contre 35% qui veulent relancer la production.5 Mais ladministration nen a cure et met en chantier, la liquidation systématique de tous les éléments positifs existants dans la politique énergétique américaine.
Non aux négawatts
Comme le disait récemment le porte-parole de la City Light Utility, régie municipale de Seattle: «Ces gens de ladministration Bush jouent aux durs virils, montrent leurs cornes et veulent faire croire que les économies dénergie cest pour les lopettes. Mais nous savons dexpérience que ça marche, lénergie économisée, cest de lénergie produite.»6 «Au cours des dix dernières années, nous avons économisé assez dénergie pour éviter davoir à construire une nouvelle centrale gigantesque» renchérit dans le même sens le directeur de la Sacramento Municipal Utility en rajoutant: «Nous aimons à dire que nous avons construit une centrale à économies dénergie.» Cest tout le concept des Négawatts, de Mégawatts économisés, développé par certaines compagnies américaines, et que ContrAtom, par exemple, défend depuis des années, qui est clairement dans le collimateur aujourdhui.
Un ou deux exemples parmi dautres du «cours nouveau» en question:
- Un récent rapport du Département de lénergie américain indique quune vingtaine de technologies développées par le gouvernement fédéral dans les années 1990 pour un coût de 720 millions de dollars ont permis des économies à hauteur de 30 milliards, mais dans son budget Bush prévoit de réduire le financement de la recherche dans ce domaine de 29 % (- 180 millions).7
- Bush a également réduit dun tiers les normes fixées en fin de règne par Clinton en matière de consommation électrique des climatiseurs, ceci alors que les calculs du Département de lénergie indiquent quen 30 ans la nouvelle norme permettait une économie équivalente à une année entière de consommation électrique nationale.
On pourrait multiplier les exemples…
Rien de surprenant à cette orientation favorable à lexplosion de la consommation dénergie: le président, le vice-président, deux membres du cabinet et six responsables des plus hauts postes de ladministration, sans parler du secrétaire à lénergie lié à lindustrie automobile, proviennent des milieux de lindustrie énergétique. Lan passé, les pétroliers ont contribué à hauteur de 20 millions de dollars aux cagnottes du parti républicain. Un bon investissement on laura compris!
La «régulation» ça tourne …Enron
En outre, on apprenait récemment lintervention directe, dans le cadre des nominations aux postes à la Federal Energy Regulatory Commission (FERC), chargée de «réguler» le marché US de lénergie, de la multinationale Enron, qui pèse 100 milliards de dollars dans le trading énergétique, et qui soutient becs et ongles la libéralisation/déréglementation des marchés de lélectricité, en particulier louverture des marchés des Etats aux fournisseurs extérieurs.8 Kenneth Lay, président dEnron est un «ami de la famille» de Bush, sa compagnie a versé des millions pour sa campagne, et «naturellement», avec dautres dirigeants dEnron, il a procédé a des interviews des papables et fourni à Bush une liste des candidats préférés de la compagnie pour occuper les sièges vacants à la FERC. Le président intérimaire de la FERC, Curtis Hébert, qui venait de lancer une enquête sur la politique des prix des gros traders délectricité comme Enron, a reçu quant à lui un coup de fil de M. Lay, lui offrant lappui de sa compagnie, pour une nomination définitive à ce poste, sil «adaptait ses vues» en matière de dérégulation. Hébert a refusé et rendu publique cet appel. Depuis, le Vice-président Cheney a remis en cause la nomination de cet Hébert …il na manifestement pas le profil du poste!
Libéralisation avec… cinquante réacteurs de plus
Le lobby nucléaire américain se sent, quant à lui, pousser des ailes dans ce contexte et a des plans pharaoniques pour mettre en ligne pour 2020 9: cinquante mille mégawatts issus de nouvelles centrales nucléaires (léquivalent de 50 nouveaux réacteurs de 1000 MW) ainsi que, dans le cadre de ce quils appellent des «quicker fixes»10 datteindre 10% daugmentation de la production des centrales existantes …comme le Conseil fédéral lavait inscrit dans les objectifs dEnergie 2000. En janvier déjà, le Nuclear Energy Institute, organe faîtier de lindustrie atomique US, annonçait que, selon ses calculs, lélectricité atomique, pour la première fois depuis 10 ans, remportait la palme «des coûts de production les plus bas parmi toutes les sources délectricité significatives»11 et que «Du fait du bas niveau des frais dexploitation courants, les centrales nucléaires seraient florissantes dans un marché électrique libéralisé…» Pour les autres coûts du nucléaire, pas de problème, on les fera supporter – dune manière ou dune autre – par la collectivité !
Parmi les mesures concrètes de ladministration Bush pour favoriser la «renaissance» du nucléaire on trouve:
- Une simplification des procédures dautorisation de prolongement des dexploitation des centrales existantes, ceci alors que ces procédures ont dores et déjà été «simplifiées» au point dexclure pratiquement les recours du public contre ces décisions.
- Un renouvellement de la limite de responsabilité assurée pour lensemble de lindustrie nucléaire en cas daccident à la paille de 7 milliards de dollars 12. En cas de pépin, les contribuables passeront à la caisse.
- Une classification de lindustrie nucléaire en matière de gaz à effets de serre comme étant une activité à «zéro émission». Alors que, sans parler des «émissions» radioactives à toutes les étapes du cycle, si lon prend en compte lensemble de la chaîne du combustible, de la mine, à la production du combustible, à son éventuel retraitement et au dépôt «final» des déchets, on trouve des taux démissions bien plus élevés que pour des sources renouvelables
Le nucléaire ça trompe..
Sur ce dernier point, il vaut la peine de rappeler quau moment du lancement de la construction de centrales nucléaires aux USA, plusieurs grosses centrales …au charbon, ont dû être construits pour alimenter les usines denrichissement de lUranium, indispensables pour livrer le combustible atomique nécessaire, et très grosses consommatrices délectricité. En 1998 dailleurs, la Federal Trade Commission a jugé que les publicités de lindustrie nucléaire US présentant le nucléaire comme «une source dénergie sans émission de gaz à effet de serre et qui protège lenvironnement » étaient trompeuses du fait précisément quon escamotait la consommation de charbon alimentant en courant le processus denrichissement du combustible.13 et produisant massivement du gaz carbonique.
Les nucléocrates sunissent ..les opposants aussi
Un autre facteur «favorable» à la relance nucléaire aux USA est le processus de concentration en cours dans le domaine nucléaire. Naguère on comptait dans ce pays 50 opérateurs distincts de chaudières à plutonium, aujourdhui ils ne sont plus que 33, et le processus devrait se poursuivre en direction dune dizaine dopérateurs au plus qui sauront faire valoir leurs intérêts collectifs de manière plus musclée encore. Sombre tableau donc, mais le revers de la médaille, cest que face à cette offensive sans précédent, on assiste aussi aux USA à une levée de boucliers dorganisations de défense de lenvironnement et de secteurs progressistes, qui sunissent et visent à se battre pied à pied pour des solutions alternatives, avec un radicalisme nouveau et prometteur. A suivre…
- Public Citizen organisation de consommateurs US, communiqué du 2.5.01
- Le Monde du 18.5.01
- Libération du 18.5.01
- Le Monde du 18.5.01
- Sondage de linstitut Gallup cité par lAFP dans une dépêche du 15.5.01
- New York Times 11.5.01
- Indications tirées de la revue US In these Times du 11.6.01
- Selon une enquête conjointe du NY Times et du Public Broadcasting Service (PBS) relatée dans le Guardian du 26.5.01
- From Renaissance to Reality 2020 Nuclear Energy, Nucler Energy Institute Washington 2001
- Un quick fix est une solutions rapide bricolée à la hâte
- Cité dans un communiqué de lASPEA(Association Suisse pour lEnergie Atomique) du 9.1.01
- Renouvellement du Price-Anderson Act
- Source Mother Jones 23.5.01