Flocage d'amiante: Berne étouffe le scandale

Flocage d´amiante

Berne étouffe le scandale


Le bâtiment de L’Office des constructions fédérales et de la logistique (OFCL) du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC), situé à la Schwarztorstrasse 59 à Berne a été fermé inopinément lundi 12 août par la SUVA (exCNA). Ses 80 fonctionnaires, interdits d’accès – y compris pour y récupérer les dossiers – devront travailler hors de leurs bureaux pendant les nombreux mois nécessaires au déflocage de l’amiante qui en isole les plafonds. Cette affaire est très grave, non seulement à cause des risques que ces fonctionnaires ont encourus, mais parce qu’elle révèle crûment l’apathie des institutions en matière de prévention de la santé publique.



Explications:

  • Que ce bâtiment soit floqué à l’amiante, son propriétaire (la Nationale Suisse Assurances), la Confédération, la SUVA le savaient depuis la publication, il y a 17 ans, de la liste des 4000 bâtiments floqués en Suisse (Inventaire établi par l’Office fédéral de la protection de l’environnement, Registre des constructions traitées avec du flocage d’amiante, 15 août 1985). Cette information était d’autant plus accessible aux responsables de l’OFCL qui occupe l’immeuble qu’il s’agit d’une institution rattachée au département qui avait établi la fameuse liste!
  • Les flocages à l’amiante ayant été interdits en Suisse en 1975 et leurs risques largement dénoncés par les médias, le propriétaire du bâtiment devait savoir depuis 27 ans, bien avant la parution de la fameuse liste, que ses employés et locataires étaient en danger et qu’il avait le devoir – l’obligation, s’il s’était agi d’un bâtiment public – de protéger ou d’enlever les flocages dont il avait commandé et payé l’application.
  • Il n’était donc pas nécessaire d’attendre qu’un employé observe cet été la chute d’un paquet d’amiante d’un caisson de stores pour agir. Ni d’en faire l’analyse, puisque la liste des 4000 donnait toutes les informations nécessaires (voir fac-similé). Elle indique en effet que le «Buerogebaude Schweizerische National Versicherung Basel, Bern» avait été floqué en 1971, par l’entreprise CTW-Spray AG à Morat, que le flocage contenait 11 à 25% d’amiante, qu’il servait d’isolation thermique et qu’il était «inaccessible», soit caché par un plafond suspendu ou autre revêtement.
  • Disposant de ces informations, il n’était donc pas nécessaire de boucler durablement le bâtiment, solution qui peut être évitée – comme par exemple, lors de la neutralisation des flocages de la tour de la TSR à Genève – en confinant l’un après l’autre, les étages et salles à traiter. Cette mesure ne pouvait que provoquer une panique inutile et des retards dans le traitement des dossiers urgents dont l’OFCL a la charge, les enquêtes sur les accidents aériens, notamment.
  • Plus inquiétant, rien n’est dit quant au suivi médical des salarié-e-s de CTW-Spray – l’une des quatre entreprises de flocage en Suisse – exposés à l’amiante et des employés de la Nationale Suisse Assurances puis des fonctionnaires fédéraux exposés pendant plus de 30 années d’occupation des locaux. Si l’existence de l’inventaire des 4000 bâtiments à assainir s’avère avoir été oubliée, on peut craindre que celui des dizaines de milliers de salarié-e-s exposés à l’amiante en Suisse n’ait jamais été établi. Pourtant, il est bien plus facile de retrouver les fiches de paie des salarié·e·s exposé·e·s à l’amiante que les factures des entreprises qui l’ont utilisé.


Cette affaire révèle que malgré tous les efforts de recherche, d’enquête, d’inventaire et d’information (voir chapitre relatif aux flocages dans PSO, Eternit, Poison et domination, 1983) entrepris durant les années 70 et 80, les pouvoirs publics et la SUVA ont continué à minimiser les risques des flocages et se sont soustraits à leur responsabilité, espérant probablement, qu’après plusieurs années de silence et d’apathie, la population oublierait les risques que nous avions contribué à lui révéler.



Il suffit que les travailleurs et la population se démobilisent pour que la bourgeoisie renonce à prévenir les risques pour la santé publique de celles et ceux qu’elle exploite. La raison en est simple: en Suisse, dans ce berceau d’Eternit, où l’amiante a été utilisée, plus longtemps et plus massivement que dans tout autre pays au monde, le coût social des dégâts occasionnés s’élèverait à 1, voire 2 milliards de francs. Cette estimation découle de la situation en France: «L’amiante coûtera de 8 à 10 milliards d’euros dans les vingt prochaines années» (Le Monde 26.06.2002). Le non paiement de cette facture (contrôles médicaux préventifs, indemnisation des victimes, assainissement des bâtiments, etc) représente une économie de taille pour les propriétaires de bâtiment floqués, les entreprises de construction, les fabriquants de produits en amiante – dont Eternit – et les assureurs. Ceci, à condition, bien sûr, que les futurs 100000 morts annuels victimes de l’amiante dans le Monde (BIT, Les accidents du travail et les maladies professionnelles font 2 millions de victime chaque année, 24.05.2002) ne parlent pas…



François Iselin