Les travailleurs de Nicalit: nous avons besoin de vous

Les travailleurs de Nicalit

Nous avons besoins de vous…

Après la lettre que nous ont envoyée les travailleurs de Nicalit SA, filiale d’Eternit AG au Nicaragua (voir nos articles sur l’amiante dans solidaritéS des 13 mars et 15 mai 2002), un Comité d’aide aux ouvrier·e·s victimes de l’amiante (CAOVA) a été constitué en Suisse romande. Un de ses représentants lausannois, Bruno Mauro, ouvrier du bâtiment et militant de longue date, s’est rendu au Nicaragua pour s’entretenir avec les travailleurs de Nicalit. Témoignage.


Les travailleurs m’ont informé longuement de l’historique de l’entreprise: c’est le 17 octobre 1967 qu’eut lieu l’inauguration de Nicalit, usine d’amiante-ciment ouverte à San Rafael del Sur, près de Managua. Le 60% du capital appartenaissait à la famille Schmidheiny de la multinationale Eternit AG et 40% à la fabrique de ciment Canal, propriété de la famille du dictateur Somoza. À cette époque, les ingénieurs et les responsables techniques étaient tous de nationalité suisse, secondés par un ingénieur nicaraguayen. Dès 1978, les ingénieurs suisses seront progressivement remplacés par des Nicaraguayens. L’usine a produit de l’amiante-ciment jusqu’en 1993 puis a fermé en 1996. Mais l’affaire n’est pas close: les travailleurs licenciés et contaminés par l’amiante vivent maintenant une situation très critique.

Les soi-disant mesures de protection

En 1983, a eu lieu la première inspection du Ministère du Travail sur l’hygiène et la sécurité. Auparavant, des ingénieurs suisses s’en occupaient en soumettant chaque ouvrier à une visite médicale basée sur des tests d’effort physique: ceux qui présentaient des symptômes d’asphyxie étaient renvoyés. Les ouvriers n’étaient pas au courant des raisons de ces examens, ils ne les ont comprises que bien plus tard, suite aux premiers décès.


Quant aux mesures proposées par le Ministère du Travail Nicaraguayen, elles étaient insuffisantes et pour la plupart non respectées par la direction. Les ouvriers ignoraient toujours la toxicité des fibres qu’ils manipulaient. Ce n’est qu’en 1993 que la direction informa confidentiellement les chefs et les responsables de la production que l’amiante était toxique, mais elle acheta leur silence en les payant en liquide.


Depuis 1967, les ouvriers de Nicalit ont mêlé leur vie quotidienne à l’amiante. Ils se reposaient entre midi et une heure, couchés sur les sacs qui contenaient les fibres qui plus tard causeraient leur maladie et la mort de plusieurs d’entre eux. Ils devaient même balayer les dépôts pour récupérer l’amiante que les sacs crevés laissaient échapper. Pire, ces sacs étaient ensuite utilisés sur le marché pour transporter les denrées alimentaires telles que le maïs et les haricots. Mais pour la direction, il n’était pas question de mettre au courant ces ouvriers sur ces risques. À l’intérieur de l’usine, les récipients d’eau potable, les tables du réfectoire, les accessoires, tout était couvert d’amiante. De grosses quantités de cette matière étaient répandues aussi bien à l’intérieur que hors de l’usine, à la merci du vent qui la propageait dans San Rafael del Sur. La direction avait tout de même installé des douches chaudes pour que les travailleurs puissent se débarrasser de cette poussière après le travail, mais elle ne s’inquiétait pas de celles inhalée qui encrassaient leurs poumons. En 1983, trois femmes furent engagées pour laver les habits de travail: deux d’entre elles sont mortes récemment par «asphyxie», la troisième a des difficultés respiratoires. À l’heure actuelle, on dénombre parmi les salariés de Nicalit 21 décès et quelque 400 travailleurs sérieusement atteints dans leur santé.


En 1998, suite au décès de 9 personnes qui avaient toutes travaillé à Nicalit, un groupe de 120 ex-travailleurs se regroupait et s’organisait dans l’Association des ex-travailleurs de Nicalit SA (AEXNIC). Leur but: exiger le dédommagement des dommages subits par les responsables de l’entreprise. Ils demandèrent alors à un médecin d’une clinique privée pour de contrôler l’état de santé de 420 ouvriers: des troubles consécutifs à l’inhalation de fibres d’amiante affectaient 317 d’entre eux…

Acheter leur silence

Ils ont ensuite contacté un avocat qui leur a proposé un accord de dédommagement les familles des victimes à condition que les travailleurs ne divulguent aucune information à l’extérieur. De quoi la direction avait-elle peur? Nicalit et Schmidheiny ont d’énormes moyens qui leurs permettent d’exercer des pressions et au Nicaragua la corruption est chose courante…



Au bout de deux ans, ne voyant rien venir, ils ont rompu l’accord qu’ils avaient tous signé auparavant. Ils se sont mis alors à la recherche d’autres avocats qui leur ont proposé que sept d’entre eux soient soumis à une visite médicale effectuée officiellement par l’Institut de Médecine Légale Nicaraguayen: cinq cas étaient positifs, un douteux, un seul négatif. Cette démarche n’a pourtant rien donné puisque la Junta médica , inféodée à la direction de Nicalit, déclarait que les sept cas étaient négatifs. Suite aux menaces de dénonciation de la part des travailleurs qui voulaient inviter les médias, la direction tenta de faire disparaître les preuves de sa culpabilité en enterrant les déchets d’amiante qui traînaient autour de l’usine. Mais les travailleurs avaient pu prendre des photos, comme preuves à l’appui. Grâce à cela, la presse et la télévision sont entrées en matière et ont suivi la conférence de presse appelée par les travailleurs.

L’organisation des travailleurs

Depuis la fondation d’AEXNIC, les travailleurs ont fait du chemin et ils ont acquis de l’expérience. Ils ont appris, en participant aux colloques internationaux sur l’amiante tel celui qui s’est tenu dernièrement au Brésil, que leur condition était semblable à celles de milliers de dizaine de milliers travailleurs dans les au-tres pays où Eternit s’était implanté. Ils sont con-scients qu’isolés ils auront beaucoup de difficultés à mener à bien leur lutte, que l’amiante doit être l’affaire de tous et de toutes dans le monde et que c’est seulement par la solidarité, l’échange d’informations et des initiatives communes, coordonnées au niveau international, qu’ils pourront espérer gagner.


Leurs nouveaux avocats indépendants – que j’ai personnellement rencontrés – sont de leur avis. L’enthousiasme et la détermination qu’on peut lire sur leur visage sont une preuve d’espoir. Le 17 août dernier, ils ont tenu leur assemblée générale où ils ont pu préciser leur nouvelle orientation consistant à resserrer leurs rangs de sorte à rester unis face à leur ancien employeur qui cherche par tous les moyens de les diviser pour gagner du temps. Ils ont ainsi réussi à gagner à leur cause les techadores, les couvreurs chargés de manipuler, percer, scier et poser les plaques d’amiante-ciment fabriquées par Nicalit.



Les Assemblées générales des travailleurs sont quasi mensuelles et la participation est très élevée, parfois jusqu’à 300 personnes. Le soutien international et l’apport financier leur sont très importants car cela leur permet, par exemple, de préparer les dossiers individuels qui leur seront nécessaires pour confondre la direction suisse et obtenir réparation pour les préjudices d’une maladie professionnelle dont ils ne sont pas responsables. Pour obtenir cette réparation, ils devront entreprendre toute sorte de démarches coûteuses. Il leur faut payer les médicaments, acheter du papier pour les tracts, couvrir les frais de propagande et des déplacements à Managua pour rencontrer avocats, médecins et d’autres travailleurs susceptibles d’appuyer leur cause. N’oublions pas que la majorité des membres de AEXNIC ont perdu leur emploi et sont de plus en plus précarisés. Ce qui les unit, c’est l’espoir d’une issue favorable avec la solidarité des travailleurs des autres pays touchés par la même injustice. La première contribution financière de 1325 $ que je leur ai apporté au nom de CAOVA constitue un soutien très important, tant il est vrai que les nécessités sont considérables à tous les niveaux. Pour le moment, ils paient tous une cotisation qui leur permet de se procurer quelques médicaments, d’apporter une aide aux veuves et aux familles les plus démunies. Cette grande solidarité qu’ils développent entre eux réclame notre soutien immédiat. Leur démarche qui vise à réclamer à Nicalit SA, dont les propriétaires sont suisses, des indemnités pour la dégradation de leur santé et les préjudices subis doit être soutenue. En effet, les responsables de l’entreprise ne veulent pas reconnaître les causes professionnelles de leur maladie et cherchent à gagner du temps en refusant d’entrer en matière: ils savent parfaitement que les jours des AEXNIC sont comptés…


Bruno Mauro



Ceux et celles qui désirent participer ou être informé-e-s de la longue campagne qui s’annonce peuvent nous faire part de leur intérêt en nous faisant parvenir leurs coordonnées à l’adresse vaudoise du journal solidaritéS: case Postale 2475, 1002 Lausanne. Vous pouvez aussi soutenir financièrement les travailleurs de NICALIT en versant sur le CCP 10-25551-5 du Comité de soutien à l’Amérique centrale, mention «Victimes d’Eternit»