Pérou: mobilisation populaire contre la privatisation

Pérou

Mobilisation populaire contre la privatisation

Le Pérou connaît les mêmes problèmes que nous et les citoyens péruviens se mobilisent contre «leur» loi de l’électricité qui ressemble à s’y méprendre à la nôtre. Notre camarade s’est entretenu avec des acteurs de cette lutte.


Le gouvernement péruvien, à la recherche de devises et empêtré dans une vision à court terme, a proposé de céder deux de ses entreprises d’Etat du sud du pays productrices d’électricité: «Egasa et Egesur» à un groupe belge, ainsi que d’autres centrales telles que: Etesur et Etesen dans la région du Cusco à un groupe colombien, continuant par là le cycle des privatisations commencé par le dictateur-président déchu: Alberto Fujimori. Il faut savoir que ce dernier a vendu 85% des entreprises publiques du pays, 228 très exactement, pour un montant de près de dix milliards de dollars. Faut-il rappeler ici qu’une part de l’argent public du Pérou (environ 150 millions de dollars) aVAIT été placé dans des banques suisses par l’ancien chef des services secrets péruviens: Vladimiro Montesinos? Le choc engendré par ces privatisations a été rude et des centaines de milliers de travailleurs se sont retrouvés sans emploi, dans la rue et c’est une image qui ne s’entend pas au figuré!

Arequipa, la «Ciudad blanca» vire au rouge!


Devant cette perspective, le peuple d’Arequipa particulièrement concerné par ce projet de loi envoyant des milliers de gens au chômage, mené par le leader syndical: Luis Saraya a constitué un «large front civique» et une campagne d’information a été mise en place. Une manifestation regroupant plus de trois cent mille citoyen-ne-s a été organisée en juin. Des heurts violents ont eu lieu avec la police et les manifestant-e-s ont réitéré à plusieurs reprises leurs démonstrations qui ont fait tache d’huile dans le pays. Relevons à cet égard le rôle joué par la CGTP (Confédération Générale des Travailleurs Péruviens) qui, sous l’impulsion de son secrétaire général: Victor Gorritti Candela, a mené un énorme travail d’information et de mobilisation qui a mis en ébullition l’ensemble des travailleurs du Pérou et permis, sous forme de débrayages ou de grèves, de soutenir le combat mené par les employés d’Egasa et d’Egesur. Une énorme manifestation de centaines de milliers de travailleurs a notamment défilé de la Plaza dos de Mayo, en passant par la Colmena pour aboutir au Palais du gouvernement, scandant des slogans hostiles à la privatisation des services publics et exprimant sa solidarité avec le personnel des entreprises électriques du sud du pays. De nombreuses manifestations de soutien au front civique ont eu lieu, en même temps, dans toutes les grandes villes du pays du Nord au Sud, en particulier au Cusco où une foule immense a envahi le centre de l’ancienne capitale de l’empire inca pour s’opposer fermement à la privatisation d’Etesur et d’Etesen considérée comme contraire à la constitution, l’organisme (Pro Inversion) chargé d’effectuer le transfert des charges n’ayant pas d’existence juridique reconnue. On parle, en ce qui concerne cette affaire-là, d’un dessous de table de l’ordre de 24 millions de dollars!

Les maires font la grève de la faim!


Le mouvement mené par la CGTP et par l’ensemble des travailleurs du sud a alors reçu, un soutien inespéré et assez inattendu: le Maire d’Arequipa, Juan Manuel Guillen Benavides, accompagné d’un grand nombre de maires et d’élus du département a soudain décidé, pour soutenir le juste combat mené par les travailleurs de l’électricité, d’entreprendre une grève de a faim de durée indéterminée jusqu’à ce que le projet de loi du gouvernement soit retiré! Voilà un maire qui a su écouter ses concitoyen-ne-s! On parle d’ailleurs de lui comme d’un prochain candidat à l’élection présidentielle… Ojala, comme on dit au Pérou!

Un dénouement surprenant!


Cumulant les bévues, le gouvernement, formé de représentants de la majorité présidentielle, a précipité sa chute et le nouveau président Alejandro Toledo, un an après son élection, a pris la décision de renouveler son Exécutif. C’est, sans regret que la majorité des Péruviens a vu le Premier ministre Roberto Danino ainsi que l’initiateur de la loi relative à la privatisation de l’électricité: le ministre de l’économie Pedro Pablo Kuczynski adresser leur démission au chef de l’Etat. Les choses sont revenues au point de départ: un accord national, portant sur vingt-neuf priorités politiques (poursuite des réformes démocratiques, lutte contre la pauvreté, projet de formation Huascaran) a été signé par la plupart des partis …et la loi sur l’électricité suspendue! Un fonds d’électrification rural dans lequel le gouvernement investira quelques 85 millions de dollars par an permettant d’équiper les zones reculées du pays devrait être réalisé. Il en sera de même avec le Fonds Social Electrique (FOSE) qui favorisera l’accession à l’électricité pour l’ensemble des petits consommateurs. On revient de loin!

Ne pas baisser la garde


La CGTP estime cependant qu’il convient de ne pas tomber dans un optimisme béat. Les «mondialistes» au sein de «Pérou possible», le parti présidentiel, sont toujours à l’œuvre et il ne fait aucun doute que le gouvernement attend les résultats des prochaines élections municipales et régionales pour prendre une décision définitive. Les hésitations du président Toledo, pris entre son origine indienne modeste et son éducation à Harvard inquiètent les syndicats qui dénoncent l’écart entre les engagements pris durant la campagne électorale et la politique menée par le gouvernement sortant. On parle de consultations qui auraient alors valeur de référendum mais venant du pouvoir la démarche inquiète… Cela ne nous rappelle-t-il pas les circonvolutions du Conseil Fédéral ? Décidément, pour celles et ceux qui en douteraient, nous partageons, d’un bout à l’autre de la planète, les mêmes problèmes…


Alors, instruits de l’exemple péruvien, à quand la grève de la faim des élu-e-s?


Christian ZAUGG
Conseiller municipal solidaritéS-Genève de la Ville de Genève