Santé moins chère: de qui se moque-t-on?

Santé moins chère: de qui se moque-t-on?


Les bourgeois ne cessent d’appeler aux économies et de creuser les déficits en réduisant les impôts pour les riches. Un bref tour d’horizon des options mises en oeuvre dans le domaine de la santé montre l’aberration de cette politique.



Dans l’opinion des partis de droite, les finances de l’Etat sont toujours dans une situation catastrophique. L’Etat – qui dans leur opinion devrait disparaître progressivement (rêve partagé d’ailleurs par Karl Marx) a cependant besoin d’argent pour assumer ses taches essentielles telles que le maintien d’une armée superflue, le renflouement de banques ou de grandes entreprises déficitaires, l’organisation d’expositions et d’autres réjouissances populaires («panem et circenses» criaient déjà les habitants de la Rome classique), l’allègement de la charge fiscale pesant sur les grands revenus etc.



Il conviendrait donc soit d’augmenter les revenus, soit de réaliser des revenus supplémentaires. Augmenter les revenus signifie augmenter les impôts, une mesure très impopulaire chez la clientèle aisée des partis de droite. On pourrait envisager de n’augmenter que les impôts sur les petits revenus, mais une telle mesure est peu présentable. D’autre part elle est déjà appliquée par la T.V.A. ou dans le domaine des cotisations aux caisses maladie. En l’absence de nouvelles idées originales il faut donc mettre en scène des économies.

Economies hospitalières?


Les domaines qui se prêtent particulièrement bien à cet exercice sont l’école et «la santé» donc plutôt des mesures pour la rétablir. Dans ce dernier dicastère, on a déjà essayé beaucoup de mesures – sans succès notable. On a essayé de diminuer les dépenses pour les hôpitaux en diminuant le nombre de lits au point qu’on en manque à présent. Les malades non hospitalisés obtiennent des soins à domicile et éventuellement l’aide sociale – une économie pour les caisses maladie. On a diminué le nombre de postes de personnel soignant : il y en a par conséquent trop peu :les survivants sont surmenés: on manque et l’on manquera donc de relève. On ne peut y parer qu’en attirant des étrangers: pour cela il faudrait augmenter les salaires. On a diminué le nombre de postes de médecins assistants: cette mesure n’améliore pas nécessairement les soins, et les médecins assistants surchargés commencent à protester. On est en train d’essayer de diminuer le nombre de cabinets de médecin – en bloquant de nouvelles installations. Les résultats sont de magnifiques manifs en blouse: les assistants engagés habituellement pour un maximum de 5 à 6 ans veulent apparemment tous ouvrir des cabinets: pour que ces «start-up» dans une branche sursaturée puissent survivre quelque temps, il faut que les nouveaux praticiens soient remboursés par les caisses. maladie. S’ils obtiennent satisfaction les nouveaux praticiens risquent bien de subir le même sort que les autres «start up» – celui de se faire acheter par des compagnies, comme c’est en train d’arriver aux pharmaciens. Les dépenses hospitalières restent toujours les mêmes – ou augmentent en fonction des progrès de la médecine.

Economies sur les médicaments?


On pourrait essayer d’abaisser le prix des médicaments habituellement plus chers en Suisse que dans les autres pays. Une tentative de l’OFAS de le faire a lamentablement échoué, parce que sous l’influence du lobby industriel on a adapté les prix en Suisse à ceux pratiqués dans trois pays presque aussi chers. On propage les médicaments «génériques», mais, sur le marché suisse il n’y a que très peu de vrais génériques vendus sous leur dénomination commune internationale. Les «génériques» chez nous sont presque tous des «branded generics», c’est-à-dire des copies vendues sous un ou plusieurs nouveaux noms protégés: il en résulte une magnifique source de confusions. On a autorisé la publicité pour des médicaments vendus sans prescription, dans les média – ce qui ne diminue ni les abus, ni le gaspillage. On envisage même d’autoriser la publicité pour les médicaments vendus seulement sous prescription ce qui augmenterait naturellement les dépenses, parce que la publicité auprès des consommateurs obligerait les médecins à prescrire les nouveaux médicaments chers que l’industrie veut introduire1. On pourrait essayer de diminuer les dépenses en encourageant les malades à acheter des médicaments qu’ensuite ils ne consomment pas2. L’industrie saura se défendre.

Economies sur les malades?


Il ne reste donc que des mesures pour diminuer le nombre de patients. Des fusions d’entreprises accompagnées de licenciements massifs y contribuent certainement: la peur de se faire licencier à la prochaine occasion encourage beaucoup de gens à renoncer à soigner leurs maux. Une bonne publicité pour des médicaments «naturels» habituellement dépourvus d’effets primaires ou secondaires renvoie des consultations médicales coûteuses à une date ultérieure. Une propagande de plus en plus efficace pour l’euthanasie vise aussi à diminuer le nombre de patients. Le blocage de l’immigration en provenance des pays non européens empêchera l’importation de maladies tropicales en Suisse -, mais n’empêche pas les Suisses qui en ont les moyens de les importer comme souvenirs de vacances ou de safaris. Une vive propagande pour la vertu et la morale est censée diminuer les nouveaux cas de sida, mais ne le fait pas.



L’idée de diminuer les dépenses de santé en diminuant les revenus des médecins ne sera certainement pas envisagée par les majorités de droite, pour laquelle ils votent généralement.



Ili paraît donc bien difficile d’économiser dans le domaine de la santé. Les efforts de nos néo-libéraux se porteront donc sur l’instruction. Dans les années 1920 un député radical avait proposé de fermer les écoles publiques gratuites.



Georges Peters
Professeur honoraire de pharmacologie à l’Université de Lausanne

  1. Ch.Medawar: HAI News (Amsterdam), No. 119, 2001
  2. Ch.Luthy: Pharma-Flash (Lausanne) No. 28, 13-16, 2001