Fiche et fouine: attac Vaud ciblée par l’espionnage de... L’OEIL DE NESTLÉ

Fiche et fouine: attac Vaud ciblée par l’espionnage de… L’OEIL DE NESTLÉ

L’émission «Temps
présent» de la Télévision suisse romande
diffusée le jeudi 12 juin 2008 a révélé que
la multinationale Nestlé a mandaté une
société de sécurité privée,
Securitas pour espionner des membres du groupe de travail d’attac
Vaud à Lausanne qui rédigeaient un livre sur
Nestlé (Attac contre l’Empire Nestlé, 2004).
L’espionnage a duré au moins une année, soit de
juillet 2003 à l’été 2004. Ce Temps
Présent a connu un large écho médiatique et les
auteur-e-s victimes de cet espionnage ont porté plainte
pénale et civile contre X. Deux des auteures du livre, victimes
de cette infiltration, reviennent sur les faits et les enjeux de cette
affaire scandaleuse.

Les faits: Infiltration et récolte secrète d’informations sensibles et personnelles

En utilisant une fausse identité une agente de Securitas
s’est infiltrée dans notre groupe de travail d’attac
Vaud en 2003 qui travaillait sur les multinationales puis dans un
groupe limité aux sept auteur-e-s de l’ouvrage sur
Nestlé dès l’automne de cette même
année. Elle a eu accès -en direct- en particulier par le
biais d’une liste email restreinte aux auteur-e-s à toutes
les recherches, les sources, les contacts en Suisse et à
l’étranger liés à l’élaboration
de cette recherche. La surveillance continuait durant la campagne qui a
suivi la sortie du livre «Attac contre l’empire
Nestlé» au printemps 2004 et la préparation du
Forum «Résister à l’Empire
Nestlé» qui était organisé à Vevey
avec d’autres ONG suisses et étrangères le 12 juin
2004.

L’agente de Securitas s’est également rendue au
domicile privé de plusieurs auteure-s du livre où avaient
lieu les réunions clé concernant la conduite de cette
recherche. Le livre traitait notamment de l’attitude de
Nestlé face aux OGM, à la privatisation de l’eau
mais touchait aussi des sujets plus sensibles comme des luttes de
syndicalistes et de militant-e-s engagé.e.s dans des conflits de
travail contre Nestlé dans des pays où les droits de
l’homme ne sont pas respectés, à l’exemple de
la Colombie. L’agente de Securitas a fait
régulièrement des rapports des réunions des
auteur-e-s mais aussi de réunions de préparation du forum
«Résister à l’Empire Nestlé».
Ces rapports étaient passés à Securitas qui en
informait son client: Nestlé. Par ailleurs, selon Temps
Présent, l’agente a également établi de
véritables fiches de renseignements sur les auteur-e-s et sur
certains de leurs contacts en Suisse et à
l’étranger. L’agente s’est même rendue
au moins une fois, en mars 2008, avec des responsables de Securitas au
siège de Nestlé à Vevey où elle a
rencontré notamment le chef de la sécurité de la
multinationale. Securitas a tenu au courant, du moins en partie, la
police cantonale vaudoise de cette infiltration et des informations
dont elle disposait. La police cantonale vaudoise n’a pas
jugé utile d’informer les personnes victimes de cette
surveillance scandaleuse.

Nous avons porté plainte pénale le 20 juin 2008 contre
inconnu, respectivement contre toute personne qui aurait agi
contrairement au droit employée par les entreprises de
Nestlé et Securitas, pour violation de secrets privés,
écoute et enregistrement non autorisé et violation du
devoir de discrétion. La plainte civile suivra dans les jours
qui viennent.

Le G8 à toutes les sauces: petite mise au point

Les représentants de Securitas et de la Police cantonale
vaudoise interviewés dans l’émission de Temps
présent puis plus tard dans la presse évoquent les
circonstances particulières du sommet du G8 à Evian pour
justifier ces activités. Le Département de Justice et
Police vaudois a annoncé qu’une enquête
«indépendante» serait menée au sein de la
police pour faire la lumière sur cette affaire. Nous ne pouvons
que déplorer qu’une enquête administrative
présentant beaucoup plus de garanties n’ait pas
été ouverte. Il faut souhaiter que cette enquête
«indépendante» soit accompagnée de mesures
concrètes et sérieuses.

La direction de Nestlé dans la déclaration donnée
à la TSR fait également référence au besoin
de protéger ses bâtiments et ses employés durant le
sommet du G8. Le sommet du G8 a eu lieu du 1er au 3 juin 2003. Or, la
rédaction du livre sur Nestlé et les réunions du
groupe de travail restreint dans lequel s’est infiltrée
l’agente de Securitas n’ont débuté
qu’en automne 2003, donc bien après le sommet du G8, et
l’agente a surveillé le groupe jusqu’en
été 2004. Ce n’est donc manifestement pas pour
protéger ses bâtiments que Nestlé a
commandité cette surveillance, mais bien pour être
renseigné sur la recherche menée et sur les personnes qui
la conduisaient. Evoquer le G8 dans l’affaire qui concerne le
groupe d’auteur-e-s est ainsi absurde, vu que ce dernier qui a
fait l’objet de l’infiltration n’était
même pas encore constitué.

Cependant, lors du Temps Présent, Securitas admet que plusieurs
groupes ont été infiltrés pour le compte de
multinationales durant le G8 et que la police en était
informée. Pour ces entités cette infiltration ne pose
aucun problème étant donné «les
circonstances particulières du G8». Nestlé admet
avoir fait recours à Securitas lors du G8. Les responsables de
la police, de Securitas, et de multinationales comme Nestlé
semblent avoir la mémoire courte quand ils agitent le G8 comme
un bouclier imparable à chacune de leurs déclarations.
Lors du G8 à Evian en juin 2003 nous avions toutes et tous
encore en tête les actes de violence du sommet du G8 qui a eu
lieu à Gênes en juillet 2001. Or, à Gênes,
des abus scandaleux par la police se sont produits et se sont
soldés par un mort et 600 blessé-e-s du côté
des manifestant-e-s. En outre, lors de ce même G8, des centaines
de manifestant-e-s ont été arbitrairement
arrêté-e-s, frappé-e-s, torturé-e-s,
humilié-e-s, insulté-e-s par des policiers italiens avec
la complicité du gouvernement de Berlusconi.

Amnesty International déclarait après avoir
interrogé des témoins de ces événements
venant de 15 pays différents que «les droits de
l’homme avaient été bafoués à
Gênes à un point jamais atteint dans l’histoire
récente de l’Europe.»1
C’était donc surtout logique pour les militant-e-s
réuni-e-s à Evian, Genève ou Lausanne
d’avoir peur en ce juin 2003.

Enfin, lors de ce sommet, comme en d’autres occasions, des
dizaines de milliers de personnes ont manifesté contre la
violence d’un système qui profite à une
élite de plus en plus restreinte au détriment d’une
grande majorité de la population planétaire. Ils
manifestaient dans ce cadre contre la violence des multinationales,
notamment: la violence consistant à sous-payer et à
licencier des salarié-e-s alors que ces mêmes
multinationales font des milliards de bénéfices, la
privatisation de l’eau alors que des millions de personnes
n’ont pas accès à l’eau potable. Ces
violences-là, les responsables politiques, la police,
Nestlé, Securitas et d’autres ont une fâcheuse
tendance à les oublier quand ils évoquent les
circonstances «particulières» du G8 pour justifier
des pratiques inadmissibles.

Des enjeux graves et inquiétants

Actares, actionnariat pour une économie durable, qu’on ne
peut pas soupçonner de gauchisme, déclare avoir pris
connaissance «avec consternation et indignation» de cet
espionnage pratiqué contre attac.2
L’association questionne très justement: «Ce cas
est-il unique, ou la pointe d’un iceberg?»Au-delà de
cette pratique immonde dont nous avons été victimes,
cette infiltration pose de graves questions qui nous touchent toutes et
tous. Combien d’organisations ont été ou sont
surveillées de la même manière? A cet égard
il faut éviter le piège de prétendre que le seul
problème dans cette affaire est que cela ait été
Securitas et non la police elle-même qui s’est
chargée de l’espionnage.

Bien sûr ce nouveau rôle donné à Securitas –
une société privée qui échappe à un
vrai contrôle par la société – est très
inquiétant. Mais un espionnage par la police des militant-e-s et
organisations critiques n’est évidemment pas plus
souhaitable. Rappelons la surveillance menée à large
échelle par la police fédérale durant les
années de guerre froide révélée par le
«scandale des fiches» en 1989. Plus de 10% de la population
suisse étaient alors contrôlé-e-s,
espionné-e-s et fiché-e-s par la police
fédérale!

Il faut donc dénoncer toute tentative de contrôler,
d’espionner, de surveiller des personnes
considérées comme trop critiques par les autorités
ou les multinationales. Il doit être possible de s’engager
pour une société plus juste, de lutter contre les
inégalités criantes dans le monde, de mener des
recherches indépendantes sur les activités des
entreprises, sans être espionné et infiltré.

Si Nestlé se permet de telles pratiques en Suisse, qu’en
est-il alors de ses méthodes dans des pays où les droits
humains ne sont pas respectés? Depuis le 11 septembre 2001,
beaucoup d’associations pour la défense des droits de
l’homme, des organisations politiques de gauche,
différentes ONG et mouvements ont constaté qu’au
nom de la «juste guerre» contre le terrorisme les droits
humains et les libertés étaient de plus en plus
bafoués aux quatre coins de la planète.

Sur tous les continents, les gouvernements ont augmenté de
manière drastique les dispositifs policiers et ont
développé la surveillance des populations avec notamment
des moyens technologiques impressionnants. Nous pouvons supposer que
l’espionnage dont a été victime un petit groupe
d’auteur-e-s dans le but de contrôler la recherche
qu’elles et ils menaient ne soit effectivement que la pointe de
l’iceberg d’une pratique généralisée,
qui n’est pas nouvelle, mais qui prend de l’envergure et
qui maintenant met en jeu des multinationales privées agissant
pour le compte d’autres multinationales privées, en
connaissance de cause de l’Etat.

Le cas récent d’Olivier Besancenot, qui a fait
l’objet d’un espionnage par une société de
sécurité privée, vraisemblablement pour le compte
d’une multinationale, et un cas similaire concernant Greenpeace
aux Etats-Unis3 sont là pour confirmer cette tendance.

Isabelle Paccaud et Janick Schaufelbuehl

1 Cité par Thierry
Brugvin, membre du Conseil scientifique d’attac France,
«Les violences policières du G8 à
Gênes», article daté du 12 .3.07,
www.france.attac.org/spip.php?article6939.

2 Actares, communiqué de presse, du 18 juin2008, Berne in: www.actares.ch/F/Espio_Securitas_ATTAC.html

3 Voir: www.motherjones.com/news/feature/2008/04/firm-spied-on-environmentalgroups.
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Déclaration de Susan George

J’ai eu l’honneur d’écrire la préface
du livre «Attac Contre l’Empire Nestlé» et
c’est à ce titre que je souhaite faire la
déclaration suivante, ne pouvant être physiquement
présente à la conférence de presse du 13 juin.
Depuis que j’ai commencé à suivre les
activités de Nestlé dans les années 1970,
j’ai pu constater que cette entreprise ne peut souffrir la
moindre critique et qu’elle est prête a tout pour faire
triompher son point de vue et, quand elle le peut, pour étouffer
les analyses qui lui sont défavorables. Je ne connais pas la loi
suisse applicable en l’occurrence, mais je sais que la Suisse est
un pays démocratique et cette fois, Nestlé va trop loin.
Si cet espionnage que Nestlé a mené contre les membres
d’attac Vaud – accompagne de véritables violations de
leurs domiciles et de leur vie privée – est estimé
«légal», alors plus personne n’est à
l’abri. Si Nestlé peut impunément infiltrer des
groupes de citoyen-ne-s et surveiller leurs activités
entièrement licites et nonviolentes comme s’il
était un Etat infiltrant une cellule terroriste, alors les
chercheurs en sciences sociales n’auront plus le droit de
travailler, ni les journalistes de faire des enquêtes comme
l’équipe de Temps Présent l’a très
courageusement fait. Plus personne ne pourra critiquer une entreprise
transnationale ni défendre les droits de l’homme, du
travail, de l’environnement. Si cet espionnage est
«légal»; le citoyen n’a plus de liberté
d’action et un nouveau genre de fascisme corporatiste doux et mou
deviendra lui aussi «légal», mis en oeuvre non plus
par un gouvernement ou un mouvement politique mais par des entreprises
employant des polices privées et qui, du fait de leur chiffre
d’affaires, se croient tout permis.

En tant que préfacière du livre d’attac Vaud
«Attac Contre l’Empire Nestlé»,
j’imagine que j’ai été espionnée au
même titre que mes collègues. En conséquence je
tiens à être associée a toute plainte en justice ou
autre action que attac-Vaud et attac-Suisse jugeront bon
d’entreprendre a l’encontre de Nestlé et je tiens
aussi à exprimer mon entière solidarité avec eux,
ainsi qu’avec l’équipe de Temps Présent en ce
moment pénible. Je suis d’ailleurs certaine que le peuple
Suisse jugera le comportement abject de Nestlé comme il convient.

Susan George

Ecrivaine, Présidente d’honneur d’attac France, 12 juin 2008