Accueil des enfants? Le marché y pourvoira...
Accueil des enfants? Le marché y pourvoira…
Sous le titre, pour le moins
surprenant, de «Loi réglant le placement denfants
à des fins dentretien et instituant le bon
daccueil», le Conseil dEtat met en consultation un
projet – très attendu par les femmes et les familles
neuchâteloises! -, censé répondre au manque criant
de places dans les crèches et les structures daccueil
parascolaires. solidaritéS ne peut que vertement critiquer cette
proposition. Voici pourquoi.
La loi cantonale précédente, votée en 2001 par 80%
des électrices et électeurs, prévoyait la
création de 2000 places de qualité en structure
daccueil préscolaire. Elle a été
sabotée par le Conseil dEtat qui, malgré plusieurs
manifestations populaires, des interpellations au Grand Conseil et le
dépôt dune initiative cantonale «Un enfant,
une place», a opposé à la loi actuelle un moratoire
de fait. Dans la perspective des prochaines élections cantonales
(avril 2009), le voilà qui fait mine de changer son fusil
dépaule en proposant une «nouvelle» approche
de cette question reconnue comme urgente. A suivre le Conseil
dEtat, il sagirait, pour répondre aux besoins, de
passer de la subvention des structures daccueil à la
subvention des parents qui auront trouvé une place dans une
structure répondant aux exigences de la loi. Lintention
est explicite et reprend le dogme libéral: le marché
répond à toutes les demandes solvables, il suffit donc de
subventionner la demande, les initiatives privées jailliront
pour y répondre.
Bon daccueil ou bon accueil?
Cest le Conseil Fédéral, par la voix de Couchepin,
qui a instauré un programme daides financières
à des projets-pilotes daccueil de la petite enfance
(préscolaire), basé sur un système de bons
daccueil. Le canton de Neuchâtel, bon élève
du Conseil Fédéral, ne se contente pas dun projet
pilote, il propose carrément dinstaurer une loi
réglant tout laccueil préscolaire (0-4 ans) et
parascolaire (4 12 ans) sur le principe du bon daccueil.
Le projet de financement proposé, très complexe, implique
également les employeurs; cest la nouveauté
censée appâter la gauche. Pour bénéficier
dun bon daccueil, qui lui permettra de payer une partie
des frais de crèche, un-e salarié-e sadressera
à sa commune qui devra sassurer que les conditions
prévues par la loi sont remplies: avoir un enfant de moins de 12
ans et avoir droit aux allocations familiales, exercer une
activité salariée à 20% au moins pour le parent
ayant le plus faible taux doccupation professionnelle,
être au bénéfice dune place dans une
structure daccueil et avoir déposé une demande
auprès de son employeur. Ce montage complexe, loin de garantir
davantage de places de crèches et daccueil parascolaire
pour les enfants que la loi actuelle, amènera à coup
sûr des discriminations supplémentaires et une
augmentation des coûts de garde pour les parents:
- pour toucher un bon de garde et avoir accès aux structures
daccueil, il faudra avoir une activité professionnelle
salariée. Les enfants de parents à laide sociale,
ou de femmes ayant une activité bénévole, en
seront exclus. Les parents au chômage, qui doivent faire garder
leur enfant pour être aptes au placement, verront-ils
lassurance- chômage payer les bons de
garde? - Les barèmes annoncés, avec leur projection
jusquen 2012, indiquent que ce sont les parents, suivis des
communes et des employeurs, qui devraient supporter la plus large part
de laugmentation des coûts générés
par laugmentation du nombre de places annoncée. Les
communes deviendront le financeur principal des structures
daccueil, mais nauront plus rien à dire. - Les structures daccueil, qui pourront être des
entreprises privées à but lucratif, devront
établir trois factures mensuelles par enfant: une pour la
commune, une pour les parents, une pour le canton. Une lourdeur
administrative dautant plus absurde que le projet du Conseil
dEtat prévoit la suppression pure et simple du
contrôle du budget, du prix de journée et des comptes. - Le nombre de places en crèche annoncé pour 2012
(objectif) est de 2000. Cétait le nombre
déjà prévu par la loi actuelle… pour 2006! - LEtat perd son rôle de planificateur et
dorganisateur. Il ny a plus daménagement du
territoire permettant de placer les structures daccueil
là où elles seraient nécessaires, dessayer
dorganiser un peu les quartiers et les constructions.
Cest le marché qui décide.
Offrir des places en nombre suffisant et à des coûts
correspondants aux possibilités financières des parents,
tel était lobjectif de la loi votée en 2001 (et
théoriquement toujours en vigueur…) Durant toute cette
période, il était possible (et ça lest
encore) de bénéficier de subventions
fédérales, à condition que, conformément
à la loi, le canton subventionne louverture de structures
daccueil pour la petite enfance.
Dans loptique de la privatisation
Malgré des attentes clairement manifestées par de
nombreux parents, malgré dimportantes mobilisations de
femmes et de familles ces dernières années, le projet de
loi mis en consultation par le Conseil dEtat répond
aujourdhui plus à des considérations
idéologiques (de droite) et à des plans financiers
permettant à lEtat de faire des économies
quà une tentative sérieuse de pallier le manque
flagrant – et reconnu! – de structures daccueil de
qualité pour lenfance et la petite enfance.
Ce projet de loi sera-t-il suffisamment critiqué pour que le
Conseil dEtat soit obligé de le retirer? On peut
lespérer, mais cest, à coup sûr, plus
quun simple ballon dessai: faire fonctionner le
marché, privatiser par le biais des bons éducatifs
distribués aux parents, libres ensuite dopter pour
létablissement de leur choix – public ou privé –
cette idée fait son chemin. Maintenant, cest des petits
quil sagit, demain, cest toute la scolarité
qui pourrait être abordée sous cet angle.
Le Conseil dEtat à majorité dite de gauche ne
craint décidément pas de démonter ce que plusieurs
générations de militant-e-s et de syndicalistes ont
réussi à faire exister au cours des XIXe et XXe
siècles. Serait-il trop simple, ou «vieux jeu»,
dinvestir dans la création de crèches publiques,
en faisant participer les employeurs par le biais de la
fiscalité?