Renforcer l’action internationale des travailleurs et travailleuses agricoles !


Renforcer l’action internationale
des travailleurs et travailleuses agricoles !


Parallèlement à l’évolution des conditions de travail dans les secteurs les plus précaires de l’économie, soit les métiers que plus personne ne veut exécuter car ils sont déconsidérés, souvent sales et pénibles, la production agricole subit actuellement une terrible dégradation.

Philippe Sauvin*

La pression des marchés oblige les producteurs à produire de moins en moins cher. Les intermédiaires et grands distributeurs s’arrogent des parts de marché grandissantes, la globalisation facilite la pénétration des marchés et les transports polluent la planète à des coûts dérisoires. Résultat: les étals se remplissent de produits agricoles dont l’origine et les conditions de production échappent aux consommatrices et aux consommateurs.


Chaque pays producteur cherche à augmenter ses exportations tout en créant à l’interne des statuts d’emploi précaires, laissant les mains libres à des organisations maffieuses de racoler la main d’œuvre corvéable quand la main d’œuvre traditionnelle fait défaut. Les récents événements en Europe en sont témoins: ratonnades en Andalousie contre les travailleurs et travailleuses immigrés du nord de l’Afrique, réseaux maffieux en Grande-Bretagne (gangmasters), exploitations de travailleurs et travailleuses clandestins dans les serres en Hollande, contrats OMI en France qui ne donnent aucuns droits, système de «caporale» dans le sud de l’Italie, travail au noir en Suisse… les exemples se laissent poursuivre à travers le monde et marquent d’une sombre trace les produits que nous consommons tous les jours.


En Suisse


La main d’œuvre agricole compte aujourd’hui en Suisse quelques 40’000 personnes qui ne sont pas membre de la famille de l’exploitant. La moitié à peu près est de la main d’œuvre saisonnière, c’est à dire qu’elle travaille entre quelques semaines et 9 mois pour les récoltes diverses et les travaux d’entretien des cultures et du bétail. De l’employé isolé sur un alpage ou dans une exploitation familiale et travaillant en étroite symbiose avec son patron aux entreprises maraîchères, fruitières, viticoles ou producteurs de tabac qui emploient jusqu’à 200 personnes, les conditions de travail sont très variables.


Les 23 cantons édictent chacun un contrat-type de travail, se justifiant d’un fédéralisme qui n’a aujourd’hui plus aucune raison d’être. 23 contrats-type (auxquels il peut être dérogé par accord mutuel) qui déterminent des horaires de travail entre 49 et 66 heures hebdomadaires et qui ne contiennent, à rares exceptions près, aucunes indications sur les salaires minimums. La main-d’œuvre étrangère avec permis de travail est en théorie protégée et peut se prévaloir d’un salaire minimum de 2700.- francs brut (après déductions sociales, impôts, nourriture et logement 1300.- francs net). Quelques cantons ont des salaires minimums plus élevés, ceci grâce au travail syndical, (p. ex. Genève 3000.- brut) et un échelonnement selon les années travaillées en Suisse. L’imposition du salaire minimum, s’il n’est pas mentionné dans le contrat-type, deviendra caduque avec la mise en vigueur des accords bilatéraux dès 2004.


S’il est certain que les conditions de travail peuvent être meilleures selon le type d’exploitation il est indéniable que la main-d’œuvre saisonnière qui ne bénéficie que de droits très restreints dans la situation légale d’aujourd’hui (contrats à durées déterminées, pas de regroupement familial, obligation de quitter le pays à la fin du contrat etc.), paie le prix fort des mauvaises conditions de travail. Les difficultés de recrutement de la main d’œuvre traditionnelle venant des pays de l’Union européenne (les travailleurs et travailleuses européens «rechignent» de plus en plus à venir travailler dans ces conditions) ne fait qu’augmenter le recours au travail clandestin d’origine des anciens pays de l’Est (Pologne, Slovaquie etc.), de l’Ex-Yougoslavie ou de plus loin encore. Cette main-d’œuvre clandestine, non recensée et estimée à quelques 8000 personnes dans l’agriculture, fait évidemment pression vers le bas sur les conditions de travail, devant trop souvent accepter des salaires inférieurs. Certains producteurs s’accommodent très bien de cette situation tandis que d’autres demandent un élargissement du cercle des pays de recrutement, tout en espérant pouvoir continuer à bénéficier d’une main d’œuvre peu chère. Les autorités y aident tout en fermant les yeux, refusant la légalisation et acceptant ainsi la dégradation croissante des conditions de travail.


Quelles réponses donner ?



  • Le syndicat SIB entreprend depuis 4 ans de grands efforts pour obliger les autorités et les patrons à faire face aux réalités. Ceci passe obligatoirement par un travail de fond avec les travailleurs et travailleuses concernés. Soit l’information sur les places de travail, dans les logements et des propositions concrètes de défense de leurs intérêts à leur égard (p.ex. améliorations des conditions de travail, sécurité et santé, formation syndicale etc.). L’absence d’un travail syndical antérieurement explique en partie les réticences des patrons de reconnaître aux travailleurs et travailleuses un droit de s’organiser syndicalement. Ceci mène évidemment parfois à des confrontations violentes qui demandent un grand courage de la part des travailleurs et travailleuses concernés.

  • Pour avoir mis à jour publiquement des scandales durant les dernières années (logements, conditions de travail infra humaines, problèmes liés à la santé et à la sécurité, cas juridiques traités aux Tribunaux etc.) le SIB (et le SIT à Genève) s’est fait reconnaître au niveau national en tant que défenseur du secteur de la main d’œuvre agricole. Il reste aujourd’hui à obliger les patrons à négocier une convention collective nationale qui mettra fin aux conditions de travail qui ne sont plus acceptables et aux disparités cantonales qui n’ont plus de raison d’être.

  • Les scandales des dernières années dans la production agricole (vache folle, viande aux hormones, fièvre aphteuse, manipulation génétique….) et les explications peu convaincantes des autorités pour légitimer le productivisme exacerbé et sa globalisation ont ouvert les yeux à de larges couches de la population de plus en plus inquiète de ce qu’elle mange tous les jours. Le volet social mondial de la production agricole a été mis au grand jour par les différentes manifestations des paysans contre l’OMC. Et les travailleurs et travailleuses agricoles ont vécu leur pogrom à El Ejido dans le sud de l’Espagne. Ces événements ont permis une large prise de conscience et le rapprochement de la société civile autour de la question agricole (producteurs, syndicats, ONG, organisations des consommateurs etc.). L’agriculture et les conditions de travail, trop souvent au deçà de la dignité humaine, sont aujourd’hui au centre de la discussion. En Suisse plusieurs organisations de la société civile ont élaboré un label social pour les produits agricoles qui devra aider dans l’information et la prise de conscience.

  • La migration de populations à la recherche de travail est une réalité planétaire. Ce sont moins les personnes à la recherche de travail qui augmentent, mais ce sont les conditions légales et entraves des pays européens envers les migrants et migrantes qui s’accentuent. L’Europe se ferme et avec ceci la Suisse. Les accords de Schengen sont un mur autour de l’Europe qui essaie de tirer uniquement un profit économique des populations. Nous devons revendiquer un droit au travail dans des conditions humaines et des contrôles pour les faire respecter!!! Nous devons revendiquer la libre circulation intégrale des personnes avec tous les droits qui en découlent (libre choix du travail et d’établissement, regroupement familial, droits citoyens etc.). Et nous devons revendiquer la légalisation immédiate de tous et toutes les «sans-papiers» !! Car les inégalités mondiales ne sont pas à faire porter aux plus démunis pour les faire travailler en tant que clandestins dans les exploitations agricoles.

  • Nous avons besoin d’une collaboration étroite au niveau international entre syndicats défendant les intérêts des travailleurs et travailleuses agricoles pour mettre fin à leur exploitation éhontée. Toutes formes de contrats précaires et discriminatoires doivent faire objet d’un rejet catégorique. Nous devons dépasser les frontières nationales !!!

* Philippe Sauvin, Coordination Terre SIB