Armée en crise: quelles chances pour la politique de paix?

Armée en crise: quelles chances pour la politique de paix?

Les accidents mortels, les limogeages
des chefs de l’aviation militaire puis du commandant en chef de
l’armée, les rebondissements de l’affaire Nef qui
n’en finissent pas d’affaiblir la position du chef du
Département de la défense: ce ne sont pas là les
causes mais plutôt des symptômes d’une crise
réelle que traverse l’armée suisse.

Cette crise naît de l’impasse dans laquelle se trouvent les
deux conceptions sur lesquelles l’armée base sa
légitimité:

•      D‘une part, l’armée
suisse a gardé une structure et des effectifs correspondants
à un rôle totalement dépassé. La
défense nationale du territoire pour faire face, et de
manière autonome, à une agression militaire lors
d’une guerre en Europe est une conception qui remonte au moins
jusqu’à 1914-18. Les réformes de
l’après guerre froide ont réduit les effectifs de
plus de moitié mais n’ont pas touché aux structures
de fond de cette conception: service militaire obligatoire,
armée de milice.

•    D’autre part, son évolution vers
la coopération militaire avec l’OTAN ou avec
l’armée européenne en train de se constituer (la
«force d’intervention rapide») se trouve
bloquée. La droite national-populiste n’en veut pas parce
que cela constituerait un désaveu cinglant de son
idéologie isolationniste. Chez les socialistes, les dirigeants
du parti plaident ouvertement pour une armée interventionniste
à l’étranger mais se heurtent encore au scepticisme
d’une large partie de la base du parti et de l’opinion
publique en général. Avec le bilan très
négatif des interventions occidentales en Afghanistan et en
Irak, l’interventionnisme militaro-humanitaire ne se vend plus
aussi bien que durant les années nonante.

Modernisation militaire mal en point

Depuis quelques années, bien avant l’éviction de
Christoph Blocher du Conseil fédéral, cette double
impasse produit au parlement des blocages partiels des projets de
renouveau de l’armée, sans toutefois amorcer une
réelle remise en question de la défense nationale
militaire. Dans la foulée de cet été
mouvementé pour l’armée et en vue des débats
sur le programme d’armement 08, on a entendu le président
du Parti Socialiste Suisse offrir sa «collaboration
constructive» en matière militaire aux partis de la droite
non-UDC.

Quant à l’Etat-major général, il pleure
déjà misère: les 4 à 5 milliards de
dépenses annuelles ne suffisent plus pour le bon fonctionnement
de l’armée, qui n’a pas assez de pilotes pour les
nouveaux avions et qui devra peut-être se contenter de 22
nouveaux avions de combat au lieu de 33…

Le point de vue pacifiste se trouve donc encore passablement
marginalisé dans les discussions qui s’ouvrent sur la
politique de sécurité.

Des initiatives pacifistes qui donnent le cap

Les initiatives pacifistes contre l’achat des nouveaux avions,
pour l’interdiction d’exporter des armes et pour
réduire la libre circulation des armes à feu (armes de
service et privées) sont donc essentielles pour
l’ouverture d’une discussion sur les choix de fond sur la
politique de sécurité.

On voit à l’exemple de la France, après la mort de
dix soldats français en Afghanistan, à quelle vitesse le
délire sécuritaire de la guerre tous azimuts
«contre le terrorisme et pour la liberté et nos
valeurs» peut s’imposer dans le discours
politico-médiatique. Les discours des dirigeants bourgeois
helvétiques «éclairés» qui plaident
pour la coopération militaire avec les armées
occidentales pour faire face aux «nouvelles menaces au niveau
international» ne sont pas très différents.

C’est pourquoi il est essentiel d’œuvrer pour une
politique de paix civile et solidaire. La priorité
aujourd’hui c’est l’aboutissement de
l’initiative contre l’achat des nouveaux avions de combat.
Le début de cette campagne est très encourageant avec 45
000 signatures récoltées en trois mois aux quatre coins
de la Suisse.

Tobia Schnebli

Loi sur les exportations d’armes: un boulevard pour les marchands de canons

Le Conseil fédéral demande au parlement de rejeter
l’initiative «Pour l’interdiction d’exporter du
matériel de guerre». La modification de l’ordonnance
sur le matériel de guerre que le Conseil fédéral a
présenté pour contrer l’initiative n’aura
aucun effet. Les exportations de matériel de guerre vers des
pays impliqués dans des guerres ou qui violent les droits
humains continueront d’être autorisées.

La modification de l’ordonnance sur le matériel de guerre
présentée avec le message de rejet de l’initiative
que le GSsA a déposée en 2007, ne prend en compte
qu’en apparence les critiques émises dans l’opinion
publique au sujet des exportations d’armes les plus
controversées de ces dernières années. La
conseillère fédérale Doris Leuthard a
spécifié que les nouveaux critères
d’exclusion n’allaient pas changer la pratique de la
politique du Conseil fédéral. La Suisse continuera donc
d’exporter du matériel de guerre dans des pays qui sont
impliqués dans des guerres et des conflits latents et/ou qui
violent les droits humains (USA, Pakistan, Emirats Arabes Unis, Arabie
Saoudite, Corée du Sud). Le Conseil fédéral se
garde l’entière liberté de définir
lui-même quels pays sont en guerre ou pas ou encore quels pays
violent les droits humains ou non.

Contribuer aux guerres pour renforcer sa propre sécurité ?

Le Conseil fédéral rejette l’initiative parce
qu’il craint un affaiblissement des industries suisses des
armements, ce qui affecterait gravement la sécurité de la
Suisse. Cette motivation ne tient pas. Aujourd’hui la Suisse
importe déjà de l’étranger la plupart du
matériel de guerre pour son armée . Dans le cas plus
qu’improbable d’une guerre, l’industrie des armements
suisse n’est pas en mesure d’approvisionner en armes la
Suisse de manière autonome.

En deuxième lieu, le Conseil fédéral argumente en
invoquant  la perte d’au moins 5000 places de travail. Ce
chiffre paraît exagéré et il ne tient pas compte
des possibilités pour les entreprises de reconvertir la
production de matériel de guerre et de biens militaires
spéciaux vers des productions civiles. Par exemple la RUAG, la
principale entreprise de production d’armements suisse, annonce
fièrement que le pourcentage de son chiffre d’affaires
lié à la production non militaire a passé de 7% du
total en 1999 à 51% en 2007.

Seule une interdiction générale d’exporter du
matériel de guerre est à même de mettre fin au
soutien de la Suisse aux guerres dans le monde ainsi que pour rendre
plus crédibles et cohérents les efforts de la Suisse pour
un monde qui respecte les droits humains.  (ts)