Les mineurs sans-papiers et le droit à la formation
Les mineurs sans-papiers et le droit à la formation
Parler de sans-papiers est relativement inadéquat, dans la mesure où la plupart ont un
passeport valable. Ils sont en fait sans statut, puisque ce qui leur manque est un permis de
séjour, soit un statut officiel.
Jacques Mino
Le problème de la formation de ces
jeunes remonte aux années 60, lorsque
les saisonniers transgressent linterdit
au regroupement familial lié à
leur statut et font venir clandestinement
leurs enfants.
A Genève, Le CCSI1 et le CSP2 organisent
alors, dans le cadre de
lAGRES, la Petite Ecole pour les
6-11 ans. Le Département de linstruction
publique, sans la reconnaître
officiellement, accepte cependant de
fournir gratuitement le matériel scolaire.
Les plus grands prennent chaque
matin le car de Saint Julien et passent
la frontière pour être scolarisés gratuitement
sur France!
Il y a 10 ans, Dominique Föllmi
cède et accepte que les enfants, dont
les parents saisonniers sont ici depuis
2 ans, entrent officiellement à lécole
primaire et très vite le Cycle dorientation
ouvre ses portes aux 12-15 ans.
Il y a 8 ans, Martine Brunschwig-
Graf étend cette autorisation à toutes
les écoles du postobligatoire, y compris
aux écoles professionnelles à
plein temps du CEPTA, ce quil faut
parfois rappeler aujourdhui à quelques
directeurs ou doyens en mal
dinformations ou douverture desprit.
Un nouveau droit a été reconnu récemment,
celui de laccès à lassurance
maladie. Après deux ans de démarches,
un accord a été passé entre la
Ville, le CCSI, le Service de lassurance
maladie du DASS et le DIP
pour permettre à tout mineur de 0 à 20
ans davoir accès à un contrat dassurance
maladie et dobtenir un subside,
si le revenu de ses parents le justifie.
Il semble que Genève soit, à ce jour,
le seul canton qui accepte les 16-20
ans dans les formations du secondaire
supérieur et qui se préoccupe, de plus,
du droit de tous à lassurance maladie.
Ainsi lécole ne se conforme pas
aux lois et règlements appliqués par
les autorités de police (soit lOffice
Cantonal de la Population – OCP).
Elle se réfère aux conventions internationales
sur les Droits de lHomme,
notamment à celle sur les Droits des
Mineurs, que la Suisse a signées puis
ratifiées (en émettant toutefois des réserves,
notamment sur le regroupement
familial).
Pourquoi sont-ils sans statut
Lorigine de leur clandestinité est
diverse, mais elle se fonde toujours
sur une politique fédérale qui ne cesse
de multiplier les statuts et de limiter
de plus en plus le droit des étrangers.
Treize raisons dêtre un mineur sans statut:
I.- les parents ont un statut qui interdit
le regroupement familial
- les travailleurs saisonniers (A) durant les 4 ans minimum que dure leur statut;
- les travailleurs annuels (B), tant quils ne disposent pas dun appartement assez grand pour réunir tous leurs enfants en même temps;
- les permis C ou B divorcés et remariés, si leur enfant est déjà adolescent;
- les frontaliers (G) dans tous les cas;
- les employé-e-s de diplomates ou de fonctionnaires internationaux (I) si leurs enfants ne figurent pas sur leur carte de légitimation;
- les employé-e-s temporaires (L permis de 6 mois à 18 mois) dans tous les cas;
- les réfugiés de la violence (F), sils ne se sont pas présentés avec leurs enfants à leur arrivée;
- les requérant-e-s dasile (N), sils ne se sont pas présentés avec leurs enfants lors de leur demande dasile;
- le parent étranger qui épouse un Suisse ou une Suissesse et qui na pas déclaré ses enfants au moment de la notification de mariage.
II.- les parents perdent leur statut et
«deviennent» clandestins avec leurs
enfants
- les saisonniers à qui lon refuse laccès au permis B (actuellement les Kosovars et les Turcs);
- les permis annuels (B) non renouvelés suite à une mise à lassurance invalidité (A.I.) ou à un chômage prolongé;
- les requérant-e-s dasile déboutés (N) restés au-delà de leur délai de départ (Bosniaques, Kosovars, Sri- Lankais, etc.);
- les employé-e-s de diplomates ou de fonctionnaires internationaux (I) lorsquils perdent leur emploi.
III.- les parents sont victimes de la
politique fédérale raciste dite des
«trois cercles»
- cette politique se base sur un argument
de distance culturelle (comme
dans les années 30 et 40) pour exclure
définitivement tout travailleur/euse
provenant dun pays pauvre et qui ne
peut donc être ici que clandestinement,
seul ou avec ses enfants.
Mineurs sans statut
Dans le canton de Genève, il y a
quelques milliers dadultes sans statut.
Mais beaucoup ne sont pas là
avec leurs enfants. Les mineurs (de 4
à 20 ans) recensés dans les écoles du
DIP sont un peu moins de 1000 (soit 1
pour 4000 élèves). Presque
tous vivent ici avec leur mère
et/ou père et quelques-uns vivent
avec un proche parent.
Pays de provenance
Ils arrivent principalement
des pays pauvres ou en voie de
paupérisation. Mais il faut un
minimum de moyens et une
formation de base pour venir
en Europe. Cest surtout la petite
classe moyenne, que les
ajustements structurels du
FMI réduit à la misère, qui
fournit le gros des immigrée-
s, majoritairement des femmes,
infirmières, enseignantes
ou assistantes sociales.
Le 50% des jeunes arrivent
dAmérique latine (Colombie,
Bolivie, Brésil, Argentine,
Equateur, Chili ou Pérou).
Plusieurs pays de lEst (14%)
sont représentés, ainsi que quelques
pays dAfrique (6%) et dAsie (3%).
Mais, contrairement au discours officiel,
une bonne part sont des ressortissants
de pays de la communauté
européenne (27%), à commencer par
le Portugal et lEspagne. Cela sexplique
par le fait que le nombre de permis
de travail, type B, est limité par
Berne. Ces derniers sont prioritairement
attribués aux grosses têtes recrutées
de partout dans le monde par les
entreprises multinationales qui sinstallent
chez nous. Il nen reste plus assez
pour un nombre important de travailleurs
européens qui travaillent cependant
à la vue des autorités, dans
lattente de leurs droits.
Vie quotidienne
Il ne semble pas que la police surveille
les écoles et fasse des contrôles
ciblés. Cependant, lors dun petit vol,
dun contrôle sous la gare, dune dénonciation
ou dun contrôle dans le
bus, il y a arrestation, interrogatoire et
expulsion de toute la famille.
Doù la peur de faire un faux pas, de
sortir le soir, de fréquenter les lieux
publics. Doù aussi la difficulté de faire
des projets de formation sur le long
terme et dinvestir le présent, faute
davenir assuré.
Permis B-écolier
Il peut être accordé par le canton, à
certaines conditions. Mais lOCP donne
dans lélitisme et ne veut pas entrer
en matière pour toute scolarisation qui
ne soit pas proche dune maturité menant
à luniversité. Ce nest quune
fois inscrit à lUniversité quun étudiant
peut espérer obtenir un permis B
étudiant. Par contre, si un jeune peut
se payer une école privée, le permis
écolier lui est accordé doù quil vienne!
Il y a là une revendication à mener
pour obtenir légalité de traitement.
Accès à une formation
peu scolarisée
Ceux qui nont pas le niveau exigé
pour entrer à lécole de culture
générale ou au CEPTA à plein temps
doivent sorienter vers des métiers
moins exigeants quant au niveau scolaire,
lesquels nexistent quen entreprise
privée (en formation «duale») et
sont soumis à un permis de travail.
Or lOCP se réfère aux règlements
et pratiques dictés par lOffice fédéral
des Etrangers. Non seulement il leur
refuse un tel permis mais, de plus, il
expulse ceux qui en font la demande.
Il faut donc que le DIP mette sur
pied à plein temps en école des formations
professionnelles moins exigeantes
(CEPTA métiers sur 3 ans et peu
scolarisés) à lintention de tous ceux
qui ne trouvent pas de formation adéquate
sur le marché de lapprentissage,
parce que faibles scolairement,
quils soient suisses ou étrangers,
avec ou sans statut. Il sagit là dune
demande réitérée, notamment de la
part du CCSI. Un groupe de travail
vient enfin dêtre mis sur pied, au sein
du DIP, pour aborder cette question. Il
faut parallèlement revendiquer le droit
à la formation pour tous, notamment
pour ceux qui ont un déficit scolaire,
sous forme soit dun permis
écolier soit dun nouveau permis
de formation.
Avec un statut précaire
A noter que le problème de
laccès à lapprentissage touche
aussi dautres jeunes aux statuts
précaires, à commencer par les
permis annuels B. Ces derniers
ne peuvent accéder à des apprentissages
quaprès que les
Suisses et les permis C se soient
servis et les démarches pour obtenir
un permis de travail peuvent
durer.
Les jeunes requérants dasile
admis provisoirement à titre individuel
(permis F individuel)
ne peuvent accéder à un apprentissage
que si Suisses, permis C
et B, lont délaissé. Il faut, de
plus, que le directeur du SCAI
négocie chaque cas avec lOCP.
Pour les jeunes requérants admis
provisoirement à titre collectif
(permis F collectif) et pour ceux
qui sont en attente dune décision (attestation
N), laccès à lapprentissage
est interdit. Seule une «formation élémentaire» dun an, renouvelable un
an, leur est entrouverte, après négociation
entre le directeur du SCAI et
lOCP. Dautres cantons romands
sont bien plus souples. Il faut donc obtenir
que tous puissent avoir accès à
un véritable apprentissage, sous forme
de modules annuels capitalisables, de
manière à ce que lOCP ne puisse plus
sy opposer sous prétexte de pouvoir
les mettre à la porte à sa guise.
- Centre de Contact Suisse-Immigrés
- Centre Social Protestant