Chaos, l’ordre masculin

Chaos, l’ordre masculin


Elle a la haine, Coline Serreau, la haine,
comme son héroïne Malika.


La haine contre le patriarcat, qui a institué
la domination des hommes sur les
femmes. À cause de cet ordre, ou
plutôt de ce chaos, les hommes s’arrogent
le droit de mépriser, battre, torturer,
violer, même tuer les femmes.


Dans une société paysanne pauvre, en
Algérie, la femme est condamnée à la
solitude, quand son mari émigre, et
l’adultère est le grand crime. Rossée
par les voisins, vengeurs du mari, dépossédée
de ses enfants, abandonnée
par son amant, elle est poussée vers le
suicide.


Dans la société très civilisée des
Parisiens chics du XXIème siècle, les
mères de famille sont sans cesse en
butte au mépris, aux railleries, aux exigences
de leurs maris et leurs fils, en
toute bonne conscience, car ils les estiment
à leur service…


Entre l’Algérie et la France, d’autres
hommes encore, les maquereaux, vivent
de l’exploitation absolue des femmes.
Les femmes ne sont plus considérées
comme des êtres humains,
mais comme des machines à fric, qu’il
faut battre pour faire marcher.


Coline Serreau nous donne à voir ces
trois situations représentatives de la
domination masculine. Le grognement
du grand garçon gâté ( dans le film,
c’est sa remarque à l’heure du repas: « merde, encore du poisson , tu me fais
chier ») participe du même ordre que le
viol ou le tabassage. Oui, le mépris des
femmes commence là, dans cette arrogance
face au travail ménager et
Coline Serreau nous montre magistralement
que de la première grossièreté
au meurtre il y a une même ligne directrice.


Sa haine nous secoue, nous ramène à
la réalité: les femmes doivent absolument
refuser le mépris des hommes,
ce mépris conduit au chaos, au désordre
absolu, à la pire violence. Et nous
assène deux impératifs : 1) des hommes,
même aimés comme le père,
l’amant, le fils, on ne doit tolérer aucun
manque de respect, 2) la prostitution,
emblème de la violence des hommes
sur les femmes, doit être éradiquée.


Un film bien noir sur l’espèce mâle. À
première vue difficilement supportable
pour les hommes. Pourtant, à l’émission
de la TSR Fax Culture, des hommes,
et musulmans en plus, sont venus
dire tout le bien qu’ils pensent de
ce film. C’est que « Chaos » dénonce la
culture virile qui étouffe les hommes
aussi.


Le message de Coline Serreau est
clair : Les femmes ne peuvent survivre
qu’en étant radicalement féministes,
conscientes, rebelles , solidaires, et
son film conduit la logique jusqu’au but: les femmes ne peuvent plus exister
dans le chaos des hommes, elles doivent
s’en séparer… Le message aux
hommes est plus opaque, mais il existe
tout de même: retrouver les femmes,
au-delà de la sexualité. Le père
et le fils tous deux séduits par Malika,
restent amoureux, quand elle leur refuse
le sexe. On peut imaginer qu’ils
vont découvrir la personne derrière le
beau corps, objet de consommation. Et
l’amitié, relation égalitaire.


Maryelle Budry