Encourager le solaire en Belgique: pour la planète ou pour les riches?

Encourager le solaire en Belgique: pour la planète ou pour les riches?

C’est la ruée sur le
photovoltaïque en Belgique francophone. De 36 installations en
2007, on devrait passer à plus de 1400 fin 2008. Un bond en
avant spectaculaire dû aux incitants du plan Solwatt…, bon
pour le portefeuille et bon pour la planète, comme le dit le
ministre Antoine. En réalité, ce plan va remplir un peu
plus le portefeuille des riches… Quant à la
planète, si elle pouvait donner son avis, elle dirait
qu’il y a mieux à faire pour diminuer les émissions
de gaz à effet de serre! Une impasse à méditer,
à quelques semaines de la Journée mondiale du climat, le
8 décembre.

«La Région wallonne met un système
particulièrement généreux à votre
disposition», dit la brochure de présentation de Solwatt.
Prime à l’investissement de 20% plafonnée à
3500 €; réduction d’impôt de 40%,
plafonnée à 3440 € (en étalant le paiement
sur deux années on en bénéficie deux fois);
certificats verts garantis pendant 15 ans à 65 € minimum
(retournables au régulateur, la Commission wallone pour
l’énergie – CWAPE, au prix du marché: actuellement
92 €). Sans oublier le revenu généré par la
vente de l’électricité mise sur le réseau
(car le compteur «tourne à l’envers» lorsque
l’électricité produite n’est pas
consommée sur place) et l’exonération des frais de
distribution.

Concrètement? Pour une installation générant 2550
kWh d’électricité par an – consommation
d’un ménage –, l’investissement sera environ
de 17 500 €, TVA comprise. L’heureux propriétaire
touchera la prime maximale (3500 €) et bénéficiera
deux fois de la réduction d’impôt de 3440 €. En
outre, il-elle recevra de la CWAPE 17 certificats verts, qu’il
pourra vendre aux fournisseurs d’électricité (ou
remettre au régulateur), contre un revenu variant entre 1105
€/an (prix minimum garanti) et 1564 €/an (prix de
marché actuel). Quant à la vente
d’électricité au fournisseur, elle fera baisser sa
facture de courant de 430 €/an environ. L’investissement est
amorti en quatre ans. Moins, si la commune offre une prime
supplémentaire. […]

Pour les propriétaires de logements qui ont 18 000 euros
à investir, le jeu en vaut la chandelle. Car, une fois
écoulées les quatre années d’amortissement,
la vente des certificats verts continuera à rapporter au moins
1105 €/an pendant 11 ans (plus si le système est
prolongé). Les frais de maintenance sont extrêmement
faibles. Quant à la diminution de la facture
d’électricité, elle deviendra de plus en plus
intéressante, au fur et à mesure des hausses de prix
à venir. On sait par exemple que l’Union
européenne, au-delà de 2012, souhaite que la distribution
des quotas d’émission de gaz à effet de serre
cède la place à une vente aux enchères: à
elle seule, vu la libéralisation de l’énergie,
cette mesure devrait entraîner une hausse des tarifs de 10
à 15% d’ici 2020…

Le ministre a raison: Solwatt est bon pour le portefeuille… des
bien nantis. En plus, leur maison gagnera en valeur. Mais qui va payer
tout cela? Pour 1500 propriétaires d’une installation de
3000 Wc [Watt crête = unité de puissance d’un
panneau photovoltaïque correspondant à la puissance
maximale d’une installation dans les conditions
d’ensoleillement standard, NDLR], comme dans l’exemple
ci-dessus, les primes et réductions d’impôts
grèveraient les budgets publics de 1,5 million d’euros.
C’est peu au regard de ce que l’Etat a injecté pour
sauver Fortis. Mais ce n’est pas rien, pour une mesure
bénéficiant seulement à un peu plus d’un
ménage sur mille. D’autant que les certificats verts (Cv)
sont payés par les consommateurs-trices. Les fournisseurs de
courant en reportent le prix sur les factures. En dernière
instance, c’est vous et moi qui paierons l’addition.
Astucieux: les locataires et les propriétaires qui n’ont
pas 18 000 € à investir dans une installation PV paient
leur électricité plus cher pour que les riches
arrondissent leur bas de laine.

856 €/tonne de CO2 évitée!

Mais foin de mesquinerie. Voyons l’affaire du point de vue
environnemental. En Belgique, le fonctionnement d’une
installation PV de 3000 Wc pendant 30 ans permet de réduire les
émissions de gaz carbonique de 17,7 tonnes (environ 600 kg par
an en moyenne). C’est mieux que rien, mais ce n’est pas
grand-chose. Une maison type émet en moyenne 5,2 tonnes de
CO2/an. Il est parfaitement possible de diviser ce chiffre par deux
– et plus – par des mesures simples d’isolation et
d’efficience (ampoules économiques). A vos calculettes: en
un an, l’isolation de sept maisons retire plus de CO2 de
l’atmosphère que n’en retirera en 30 ans une belle
villa équipée de 24 m2 de panneaux PV. Gain de confort et
diminution de dépenses pour sept ménages. Conclusion: des
panneaux PV, si l’habitation est parfaitement isolée,
c’est bien: la maison devient passive, voire positive (elle
produit plus d’énergie qu’elle n’en consomme).
Sinon, c’est écologiquement irrationnel. […] Il
n’y a vraiment pas photo: pour sauver le climat, encourageons en
priorité l’isolation des maisons! Or, les aides publiques
font exactement l’inverse en encourageant les investissements les
moins efficaces.

On ne fera pas au Gouvernement wallon l’injure d’insinuer
qu’il agit à l’aveuglette. En fait, tout
dépend du but fixé. A cet égard, la brochure de la
Région est explicite: «Solwatt, c’est surtout un
système d’aide à l’investissement
particulièrement intéressant.» Voilà, tout
est dit. Sous prétexte de lutte pour le climat, il s’agit
essentiellement de faire des cadeaux aux riches, d’offrir un
marché aux PME et de remplir les carnets de commande des
fabricants (qui gonflent leurs prix en fonction des primes offertes
dans les différents pays). Le reste n’est que
littérature… et posture électoraliste.

Le quatrième rapport du GIEC et la feuille de route de Bali sont
sans ambiguïté. Si nous voulons avoir une chance de ne pas
trop dépasser 2°C de hausse de la température
terrestre, et sachant que le Nord est responsable du
réchauffement à plus de 75%, les pays
développés doivent réduire leurs émissions
de 25 à 40% en 2020 et de 80 à 95% en 2050. Ce formidable
défi ne peut être relevé qu’en
congédiant les impératifs de profit. Par exemple, en
créant un service public pour isoler tout le parc immobilier,
indépendamment de la solvabilité de la demande.
Espérons que Solwatt aide chacune et chacun à tirer ce
genre de conclusions. Ainsi au moins, ce plan tapageur aura servi
à quelque chose.

Daniel Tanuro



Version non abrégée sur www.europe-solidaire.org.