OUI critique à l’initiative «Pour un âge de la retraite flexible»

OUI critique à l’initiative «Pour un âge de la retraite flexible»

L’initiative «Pour un
âge de l’AVS flexible» prévoit un droit
à une retraite anticipée pour toutes et tous avec une
rente AVS non diminuée dès 62 ans, sauf pour celles et
ceux qui disposent d’un revenu supérieur à 1,5 fois
le revenu maximum pris en compte pour calculer le montant de la rente,
soit 119 000 fr. par an (seuls 2% des femmes et 15% des hommes de 62
à 64/5 ans sont actuellement dans ce cas). Pour recevoir une
rente complète dès 62 ans, il ne faut donc remplir que
deux conditions: ne pas dépasser le revenu plafond prévu
et ne plus exercer d’activité lucrative (une
tolérance est prévue pour une activité partielle,
dont le montant devra être fixé par la loi).

Ce projet inscrit aussi dans la Constitution le droit inconditionnel
à une rente vieillesse dès 65 ans, pour les femmes comme
pour les hommes, ce qui exclut la possibilité de porter
ultérieurement l’âge inconditionnel de l’AVS
à 66 ou 67 ans sans une votation populaire à la double
majorité du peuple et des cantons. Celadit, le droit
inconditionnel à la retraite dès 64 ans pour les femmes
disparaît, ce qui va conduire immanquablement certaines
d’entre elles, parmi les plus défavorisées,
à prolonger la durée de leur activité
professionnelle jusqu’à 65 ans (voir plus loin).

Plus généralement, entre le droit de prendre une retraite
anticipée avec une rente non diminuée et la
possibilité de vivre décemment avec l’AVS
seulement, il y a une différence. C’est pourquoi, seule
une partie des salarié-e-s pourront faire usage de ce droit: 30%
à 62 ans, 50% à 63 ans et 70% à 64 ans, selon les
estimations de l’Office fédéral des assurances
sociales (OFAS). Les autres devront continuer à travailler
jusqu’à 65 ans pour obtenir une retraite suffisante avec
leur 2e pilier entier.

Les initiant-e-s calculent d’ailleurs qu’une fraction des
femmes continueront ainsi à travailler jusqu’à 65
ans (au lieu de 64 ans aujourd’hui), réduisant ainsi le
surcoût prévisible de ce nouveau système de 480
millions (!) Enfin, le risque existe que certains chômeurs-euses
à l’aide sociale, considérés comme
difficilement «replaçables», soient poussés
vers une AVS anticipée…

Contrairement aux déclarations de ses adversaires,
l’acceptation de l’initiative ne provoquerait pas des
charges insupportables pour les caisses AVS, dont la situation actuelle
est d’ailleurs tout à fait saine. Malgré une
augmentation régulière du nombre de
bénéficiaires, elle fait environ 2 milliards de
bénéfices par année depuis 2000, alors même
que le niveau de ses cotisations n’a pas augmenté depuis
plus de 30 ans.

Selon les calculs de l’OFAS, repris par l’USS, le
coût de l’initiative devrait ainsi représenter un
montant global de 779 millions de francs, ce qui équivaut
à une augmentation de cotisations de 6.50 francs par mois pour
un salaire moyen (+0,12% des cotisations actuelles). Le Conseil
fédéral parle de 919 millions en raison de frais
supplémentaires attendus pour l’A.I. et les prestations
complémentaires. Ce surcoût total serait cependant de 1316
millions, si l’âge inconditionnel de la retraite des femmes
n’était pas porté en même temps à 65
ans…

En raison de ce qui précède, solidaritéS apporte
un soutien critique à cette initiative, essentiellement parce
qu’elle va à contre-courant de la volonté continue
de la droite de péjorer les conditions de retraite (âge et
montant): elle donne droit à une AVS anticipée avec une
rente complète dès 62 ans à
l’écrasante majorité des assuré-e-s, et elle
verrouille l’âge inconditionnel de la retraite à 65
ans, mettant ainsi un cran d’arrêt à la
volonté de la droite et des milieux patronaux de relever
l’âge AVS à 67, voir 70 ans.
De surcroît, un échec de cette initiative ouvrirait la
voie à une dégradation de l’AVS et des prestations
vieillesse pour toutes et tous. Cela dit, ce projet présente des
faiblesses indéniables. D’abord, il ne permet pas aux
salarié-e-s les moins biens lotis d’en profiter. Pire, il
va même pousser une partie des femmes disposant des revenus les
plus modestes à travailler jusqu’à 65 ans. Enfin,
il risque aussi de servir de soupape de sécurité à
une aide sociale toujours plus sélective pour les
salarié-e-s les plus âgés.

Jean Batou


Le bal des menteurs

Pour se défaire de l’initiative de l’USS les partis
bourgeois ne font pas dans la dentelle et utilisent massivement la
même arme que le patronat dans les entreprises: la peur. Le
Rintintin du capitalisme suisse, Pascal Couchepin, y est allé de
ses aboiements (La Liberté et Le Courrier du 8.11.08). Et tant
pis pour l’exactitude des propos, l’essentiel étant
bien de ficher la trouille. Décryptage.

«L’AVS a perdu 4 milliards à cause de la crise»:
à moitié vrai, donc complètement faux. C’est
le Fonds de compensation de l’AVS, pas son compte
d’exploitation, qui a virtuellement perdu ces milliards. Rien
d’inattendu, ni d’exceptionnel à cela. Dans la
conception même de l’AVS, le fonds de compensation sert de
régulateur et vient, si nécessaire, combler la
différence entre les rentrées et les prestations.



«Durant les deux années
qui ont précédé la crise, l’AVS a
dégagé des surplus intéressants»
:
toujours aussi faux. Les taux de rendement du Fonds de compensation ont
été respectivement de 7,6%; 6,7%; 9,6% et 6,8% de 2003
à 2006 — en 2007, il était très
légèrement positif; les surplus du Fonds de compensation
ont ainsi dépassé les 6 milliards. Il est donc
également faux de dire que la perte de 4 milliards
représente «davantage que l’addition des
bénéfices des années
précédentes».


«Les pouvoirs publics paient
chaque année un montant de l’ordre de 20 milliards de
francs pour soutenir les assurances sociales.»
: Inexact.
Une partie de cette somme provient d’impôts sur la
consommation affectés à l’AVS (pourcentage de TVA,
tabac, maison de jeux), qui ne font que transiter par les comptes
publics.

«On ne le souligne pas assez,
cette initiative ouvre la porte à la retraite à 62 ans
pour 90% des actifs»
: Vaste galéjade. Le changement
maximal apporté par l’initiative par rapport à la
situation actuelle est de 300 francs supplémentaires de rente
AVS par mois dès 62 ans. L’ampleur de l’incitation
financière n’est de loin pas suffisante pour amener 90% de
la population active à la retraite anticipée. Sans parler
de l’absence de coordination avec le deuxième pilier.


«Nous aurons besoin de toutes
les forces de travail […] Il ne faut pas forcer les gens
à quitter le marché du travail»
:Au vu de ce
qui se passe sur le marché du travail et de ce qui va s’y
passer, c’est vraiment l’hôpital qui se fout de la
charité. Rappelons que dans la tranche d’âge 60 ans
à 64 ans, près de la moitié des personnes (46,8%)
n’exerce plus d’activité lucrative.


«Je serai toujours opposé à une date couperet»:
Pour mémoire, celui qui s’exprime ainsi n’a pas
hésité à proposer la retraite à 67 ans.
L’opposition à la date couperet ne concerne donc que
l’anticipation de la retraite, pas son ajournement…

Daniel Süri